Algérie - Emir Abdel Kader

L’Emir Abdelkader face au jeu de puissance


L’Emir Abdelkader face au jeu de puissance
L’Emir Abdelkader avait donné une dimension philosophique à la puissance dans son projet d’Etat moderne.
Malgré l’intérêt des universités, l’Emir Abdelkader est toujours peu connu aux Etats-Unis. La précision a été apportée par John Kaiser, enseignant à la Columbia University à Washington et auteur d’un livre biographique de référence, Commander of the faithful : the life and times of Emir Abdelaker (Commandeur des croyants : la vie et les temps de l’Emir Abdelkader). L’écriture de ce livre, sans doute le plus important jamais édité aux Etats-Unis, a duré six ans. «L’Emir est un modèle pour tous les musulmans. C’était un homme pieux, sincère, patient, courageux et compatissant. Son héritage doit être revendiqué par tous. Sa vie peut offrir l’exemple d’une autre version de l’éthique islamique en temps de guerre ou de paix, pour combattre la phobie occidentale grandissante à l’égard de l’Islam», a-t-il déclaré lors d’une conférence au Colloque international «Abdelkader, homme de tous les temps», organisé au Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH) au palais de la culture Imama, à Tlemcen.

Il a salué la conduite chevaleresque de l’Emir Abdelkader en temps de guerre, le comparant à George Washington. «L’Emir Abdelkader représente le genre de musulman avec qui les USA devraient engager le dialogue, conservateur, engagé dans sa foi, considéré comme non-occidentalisé, respecté pour son autorité religieuse, son intellect et son courage», a appuyé John Kaiser qui a lancé un projet universitaire pour faire connaître au niveau mondial l’œuvre du fondateur de l’Etat algérien moderne. Mohamed Tayebi, enseignant à l’université d’Oran, auteur d’un ouvrage sur l’Algérie du XIXe siècle a, pour sa part, estimé que l’Emir Abdelkader faisait face à «un jeu de puissance» lié à des défis géostratégiques. Il a rappelé que les Saâdites avaient été forcés de négocier avec les Espagnols et les Portugais, alors que les Tunisiens étaient aux prises avec les Français.

«L’Emir Abdelkader était resté authentique dans son projet. Les idées philosophiques étaient les appuis de son comportement politique et pas seulement son action militaire. Le souci de persuasion et de dialogue ont marqué également son œuvre», a-t-il déclaré. Mais, alors, comment peut-on «problématiser» et conceptualiser le projet de l’Emir ? «Il existe deux dimensions de la puissance dans le projet émirien. Il y a d’abord la construction de la légitimité du pouvoir avec la réorganisation de la société interne et la formulation de la gouvernance. Et, ensuite, l’élaboration du dialogue en imposant l’idée de dissuasion militaire. De ce point de vue là, l’Emir Abdelkader influençait toute l’aristocratie militaire française à travers les échanges d’idées et à travers la géographie politique», a expliqué Mohamed Tayebi qui a écrit également L’Emir et son Maghreb.

Selon l’universitaire, l’Emir Abdelkader n’était ni arrogant ni aventurier. «Il savait que la destruction de la puissance maritime islamique de l’Algérie avait changé la géographie politique en Méditerranée», a-t-il noté. Il a rappelé la célèbre phrase du dernier roi almohade qui avait dit à ses fidèles : «Si vous ne vous préparez pas à la mer, la mer vous avalera». Il a également cité la notion militaire britannique du «Sea power» (la puissance de la mer). «Pendant dix-sept ans, l’Emir a bâti son pouvoir en tant que négociateur et homme de guerre. Il s’est rendu parce qu’il avait compris qu’il s’était démantelé de l’intérieur et que l’extérieur était devenu puissant», a relevé Mohamed Tayebi.

L’Emir Abdelkader en entrant en Europe, (après sa déportation à Toulon), avait, selon lui, porté avec lui une partie de la souveraineté grâce à sa puissance symbolique humaniste et sa sagesse. «L’Emir Abdelkader, de par son œuvre, est un homme universel. Soufi, homme de Lettres et de paix, Abdelkader est devenu un chef militaire en raison de la menace de domination de son pays par les Français», a estimé, pour sa part, Aoua Bocar Ly-Tall, enseignante chercheuse à l’université d’Ottawa, au Canada. Elle est revenue longuement sur les actions de résistance du philosophe, savant et guerrier sénégalais cheikh Omar Tall de la Tidjania. «Omar Tall et l’Emir Abdelkader sont de la même génération, malgré une différence d’âge de douze ans. Ils étaient tous les deux de descendance noble et de grandes familles religieuses. Les deux avaient appris le Coran dès le jeune âge et étaient des explorateurs du savoir», a indiqué la conférencière.

Elle a évoqué les voyages de l’Emir Abdelkader et de Omar Tall (surnommé par les Arabes, Omar Al Fouti du nom de Fouta-Toro, ancienne appellation du Sénégal) au Moyen-Orient (Syrie, Egypte, Irak et Hidjaz). A 23 ans, Omar Tall est allé à la Mecque pour le pèlerinage. A Médine, il avait reçu le titre de khalif pour les Tidjanes du Soudan, donné par Mohamed Ghali, disciple du fondateur de la zaouia tidjania, cheikh Tidjani. De retour à son pays, Omar Tall devait jeter les bases de l’empire Toucouleur à Ségou (Mali) et mener la guerre aux conquérants occidentaux. Vladimir Bobrovnikov, de l’Académie des sciences de Russie a, de son côté, fait une comparaison entre deux «héros anti-coloniaux», l’Emir Abdelkader et l’Imam Shamil, qui avait mené les troupes caucasiennes contre les envahisseurs russes entre 1830 et 1860, presque à la même période du début de l’occupation française en Algérie.
La Russie des tsars voulait récupérer des terres prises par les Perses et les Ottomans.


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