Algérie - Sujets chauds

In Salah (Tamanrasset) - Civisme et pacifisme



In Salah (Tamanrasset) - Civisme et pacifisme




Inattendue mais nullement surprenante est cette prise de conscience d’une grande acuité pour focaliser l’attention de tout un chacun, d’autant que c’est bien du Grand Sud, du fin fond du désert, de ce désert hyper-aride de notre pays-continent, qu’ont retenti et retentissent de plus en plus ­— à plus de 1.300 km du littoral — voire bien au-delà, des leçons de sagesse. Bel et bien des leçons de civisme et de pacifisme transmises par nos concitoyens d’In Salah, plus que jamais vivement préoccupés de la préservation de leur environnement que davantage des nécessités impérieuses des générations à venir. Quotidiennement, la mobilisation dure sans arrêt depuis plus de deux mois, en demeurant aussi bien impatients que vigilants avec foi et détermination inébranlable pour repousser le fait accompli intervenu sans un large débat national.

Pacifiquement, d’une seule et même voix, des hommes mais aussi des femmes, jeunes, moins jeunes, adultes, toutes tranches d’âge confondues, anxieusement ne cessent d’appréhender les risques et dangers des énergies non conventionnelles, le gaz de schiste, dès le lancement des premières recherches en dépit des oppositions formulées par nombre de puissances économiques de toute exploitation au sein de leurs territoires nationaux mais ne les recherchant pas moins hors de leurs patries. Incontestablement, des ressources énergétiques trop hypothétiques et tant redoutées qui, dès la mise en chantier du premier forage à Ahnet, situé à 47 km d’In Salah, ont aussitôt fait réagir les habitants de ce paisible chef-lieu de daïra dépendant de la wilaya de Tamanrasset. Simultanément ont retenti des cris de détresse et d’angoisse. Spontanément la mobilisation s’est organisée. Dans la durée!

Or, l’oasis d’In Salah n’est pas sortie de l’anonymat brusquement. Comme toute autre oasis veillant depuis des millénaires sur leurs précieuses ressources en eau — la prunelle de leurs yeux — , au prix d’opiniâtres efforts doublés d’ingéniosité hydraulique pour assurer leur survie (1), In Salah a été déjà hyper-sensibilisée, traumatisée, très affectée par de graves retombées et durables séquelles au double plan, santé et environnement, durant les années de fer et de sang, provoquées par les premiers essais nucléaires déclenchés par la puissance coloniale, en février 1960. Précisément et en premier lieu, des essais nucléaires à l’origine de la prolongation même de la guerre de Libération nationale, du reste même après la renonciation à la partition du territoire algérien par le général de Gaulle, le 12 juillet 1961. Certes la condition qui a permis la reprise des négociations à Lugrin mais qui n’en ont pas moins été interrompues dès la fin du même mois, alors que d’autres obstacles ont surgi, précisément à propos de l’exploitation des ressources sahariennes au cours de cruciales phases d’ultimes pourparlers. Autant donc d’obstacles et de blocages ayant exigé des sacrifices illimités consentis par les générations de 1954-1962 …

Plus que jamais, par rapport à ce passé ayant permis à l’Algérie de disposer et de jouir pleinement de ses ressources et potentialités à l’issue des nationalisations historiques du 24 février 1971, condition nécessaire pour s’engager résolument dans la voie de profondes transformations mais sans pour autant enclencher le développement à même de valoriser et d’ optimiser les hydrocarbures en vue d’assurer un réelle et durable justice sociale devant se traduire par la résorption des disparités régionales criantes présentement, c’est toute une nouvelle donne à laquelle fait face toute la communauté nationale, plus particulièrement les habitants implantés à travers de vastes régions confrontées aux graves problèmes à la fois de désertification et de “désétatisation” (2) perceptibles à travers nombre de phénomènes concordants que tout observateur averti appréhende avec angoisse. Tel à titre d’exemple, entre autres le cas manifeste du Gourara, soit la région assez proche du Tidikelt. Spectaculaires sont les phénomènes relevés récemment sur le terrain, notamment l’assèchement de la grande sebkha, la disparition de l’artésien, indice sûr du rabattement des aquifères, la dégradation du réseau des foggaras avec baisse sensible de leur débit, alors que naguère l’habitat concentré formait de pittoresques ksour se fixant en retrait des cultures. Souvent c’est aux dépens de ces dernières que l’habitat tend à se développer, à s’extérioriser et par ricochet à réduire sensiblement, inexorablement, les ressources traditionnelles des ménages face à une croissance démographique guère maîtrisée…. à cet égard, révélateur est le nombre croissant de ces vendeurs de thé ambulants sillonnant à longueur de journée les rues d’Alger et d’autres directement attachés aux terrasses de cafétérias, tous majoritairement en provenance de Timimoune et son hinterland. Des constations qui doivent être minimes par rapport au nombre de ceux qui ont été contraints de quitter leurs terroirs, temporairement ou définitivement!

En somme, édifiant est l’exemple de cette région relativement proche d’In Salah mais somme toute mieux lotie. Il doit inciter les décideurs à plus de circonspection. Manifestement, les effets et retombées non d’une désertisation d’essence cosmique mais d’un processus d’ordre anthropique provoqué par la rupture du précaire équilibre d’antan, établi depuis des millénaires. De précaires écosystèmes qui ne peuvent plus se maintenir ni encore moins résister à des besoins en expansion exponentielle, de précaires écosystèmes ne pouvant être préservés que dans un tout autre contexte socio-économique national que l’actuel réduit dès les années 1970 à une mono-exportation d’hydrocarbures liquides et gazeux, de surcroît étroitement liée à des cours du brut très instables, avec des conséquences et retombées brutales, à l’instar du contre-choc de la décennie 1980 dont le PAS (Plan d’ajustement structurel) a durement affecté la société… De nouveau, suite à la tendance baissière persistante des cours depuis octobre 2014, nombre de signaux et de voyants virent au rouge…

Ainsi au double plan, tant national que régional, une bonne fois pour toutes, il est temps d’en tirer les enseignements, au vu de l’aggravation accrue des obstacles et blocages entravant l’optimisation de nos ressources naturelles, plus particulièrement celles des matières énergétiques conventionnelles dont des potentialités demeurent encore inexplorées. Point de tergiversations entre cet impératif incontournable compte tenu de l’expérience acquise depuis des années et la tentation hasardeuse et gravissime liée à l’exploitation de ressources énergétiques non conventionnelles. D’autant que les estimations trop alléchantes fournis par la première puissance du globe servent beaucoup plus ses intérêts géostratégiques et technologiques que notre économie nationale affectée sans relâche par de multiples liens de dépendance, indépendamment des atteintes irréversibles au triple plan de la santé, l’environnement et les ressources en eau fossiles, des deux principales nappes profondes, complexe terminal et continental intercalaire. De fait, il est à craindre toute modification des paramètres chimiques et hydro-dynamique, tôt ou tard!

Telles sont les enseignements retenus par In Salah en n’exigeant rien d’autre que la préservation de leur environnement et de leurs ressources en eau fossiles au profit des générations montantes et celles futures. Totalement fondée, leur inébranlable détermination force respect et soutien indéfectible. D’autant que dans l’immédiat, il y a d’autres alternatives au gaz de schiste, précisément des énergies renouvelables, propres et sécurisants, à l’instar du solaire et l’éolien, le géothermique et la marémotrice… des gisements inépuisables dont l’utilisation assure confort et sécurité, des gisements ouvrant de larges perspectives pour notre jeunesse impatiente de relever nombre de défis si tout est mis en œuvre pour hâter l’incontournable et bénéfique transition énergétique. La transition rassurante et rassembleuse!

* Photo: Quotidiennement, depuis plus de deux mois, les habitants inébranlables et déterminés restent mobilisés. ©D. R.

D. S.



Notes

(1) Dj. Sari (2014) : Le M’zab, une création ex-nihilo en harmonie avec les principes égalitaires de ses créateurs ; Alger, ANEP, 175 p.

(2) Suivant Henri-Noel Le Houérou, spécialiste en la matière, s’appuyant couramment sur le Sud algérien, le terme “désertification” dans son acceptation actuelle revêt au moins trois sens différents : 1- réduction du potentiel production des terres = dégradation ; 2 - abandon des terres (surtout en Europe occidentale = “déprise” = exode rural = désertion ; 3 - extension irréversible des conditions désertiques à des zones arides qui n’en présentaient que les caractères = désertisation, in Sciences et changements planétaires, Sécheresse, Paris, juin 1993, no 2, v. 4 ; p 95-112.

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