Algérie - Mohamed Dib


il était une fois Dib
Dans l'Algérie française du début des années vingt, un jeune écrivain parvenait à faire entendre, en français, des voix jusqu'alors maintenues dans le silence de l'exclusion ou transmises au travers du prisme plus ou moins déformant d'une vision exotique ou coloniale. Fils d'artisan, Né le 21 juillet 1920 à Tlemcen, dans l'Ouest algérien Mohammed DIB est Orphelin de père en 1931. Etudes primaires puis secondaires à Tlemcen avant d'entrer à l'Ecole Normale d'instituteurs d'Oran. 1939-1940, il est instituteur dans une petite école située à la frontière algéro-marocaine, puis comptable dans les bureaux des années alliées à Oujda avant d'être interprète anglais-français auprès des armées à Alger. En 1945 il revient à Tlemcen et travaille dans la corporation des tisserands. Dessinateur de maquettes de tapis et peintre, il n'a pas encore opté pour la littérature. En 1948, il participe aux journées culturelles à Sidi Madani prés de Blida et rencontre Jean Cayrol, Jean Sénac et Albert Camus. Fraternité algérienne. Il part en France en 1952 et signe le manifeste "Fraternité algérienne" avec deux cents autres Algériens. Expulsé d'Algérie en 1959, il s'installe à Mougins, ensuite Meudon, et enfin à Celle-Saint-Cloud; près de Paris. "Regent's Professor" à l'université de Californie à Los Angeles en 1975, membre d'un jury en Oklahoma en 1976, il entreprend plusieurs voyages aux Etats Unis et en Finlande. En 1994, il devient le premier écrivain étranger à recevoir le Grand Prix de la Francophonie de l'Académie française et le Grand Prix du Roman de la Ville de Paris en 1998. Le 21 Mai 2003, Mohammed DIB décède à l'âge de 83 ans laissant derrière lui des oeuvres inoubliable.

Les œuvres pionnières

Sa trilogie romanesque - publiée entre 1952 et 1957 et réunie sous le titre générique, lourd de sens pour l'époque, "Algérie" - proposait l'itinéraire douloureux d'Omar, orphelin misérable de La Grande Maison déchiré entre la résignation prônée par sa tante et la révolte qu'il entreprendra, plus tard aux côtés de fellahs dans L'Incendie, avant de partager le rude quotidien des artisans dans Le Métier à tisser. Les nouvelles du recueil intitulé Au café, publié en 1956, étaient l'occasion d'une observation minutieuse de la quotidienneté algérienne et s'inscrivaient dans cette même démarche didactique qui souhaitait avant tout "donner à voir". L'écriture, tout entière au service d'une démonstration sans néanmoins sombrer dans les pesanteurs d'un militantisme primaire, préfigurait déjà l'œuvre en devenir. Près d'un demi-siècle plus tard, ces textes pionniers conservent tout leur intérêt, grâce à leurs qualités esthétiques et littéraires, mais ont, de plus en plus, acquis la force historique du témoignage patiné par la trace du temps.

La distance et la métamorphose

Depuis, résident en France où il est arrivé en 1959, Mohammed Dib n'a cessé d'enrichir, avec régularité, cette œuvre devenue aujourd'hui, avec quelque 25 titres, un exemple majeur de la production littéraire contemporaine. Recueils de poèmes Ombre gardienne (1961), Formulaires (1970), Omneros (1975), Feu, beau feu (1979), O vive (1987), L'Aube Ismaël (1996)), pièce de théâtre (Mille hourras pour une gueuse), contes (L'Histoire du chat qui boude) alternent, se répondent, se mêlent aux romans et nouvelles et constituent une trajectoire cohérente, tout d'abord engagée dans un élan militant et servie par une écriture réaliste, puis peu à peu tournée vers des traces moins évidemment dictées par les urgences du temps.
Ainsi, Qui se souvient de la mer, paru l'année même de l'indépendance, en 1962, permet à Dib d'être à la fois à l'écoute des drames de l'histoire en marche et de prendre ses distances. Une rupture qui paraît plus radicale encore avec les itinéraires amoureux de Zohar et Radia dans Cours sur la rive sauvage (1966) et qui marque fermement la volonté de l'écrivain de ne pas être réduit au rôle de témoin de l'instant mais de s'inscrire dans la durée de l'artiste et du créateur. Après la lutte et les incertitudes des lendemains (Dieu en barbarie (1970), la quête initiatique des mendiants dans Le Maître de chasse (1973), Habel (1977), est l'occasion d'évoquer l'émigration et ses violences douloureuses mais aussi les dérives qui peuvent conduire à la déraison ; une destinée qui va bien au-delà du seul personnage mis en scène et suggère les bouleversements de l'écriture.

Les noces du sable et de la neige

Renouvelant un paysage romanesque qui multipliait les aller et retour outre-Méditerranée, Dib choisit, à la fin de années 80, d'installer ses personnages dans un Nord que l'on suppose scandinave. Bien que la terre natale ne soit pas exclue de son propos, cet éloignement donne néanmoins à l'auteur une plus grande latitude et une vision plus large du monde et de ses contingences. Les Terrasses d'Orsol, Le Sommeil d'Eve, Neiges de marbre, constituent ainsi une étape nordique, interrompue en 1992, lorsque le romancier, renouant avec l'univers maghrébin, inscrit Le Désert sans retour (titre éloquent par sa détermination) dans une actualité plus évidente et repérable, avant de revenir sur les traces de son passé dans Tlemcen ou les Lieux de l'écriture, un émouvant petit album de photos, d'intimité et de confidences, dans lequel l'écrivain va à la rencontre de ses souvenirs et des élans qui nourrissent les mots du poète d'aujourd'hui. Avec L'Infante maure, en 1994, Dib semble, de nouveau, en quête de l'impossible conciliation à travers l'énigmatique et attachant personnage de Lyyli Belle - déjà présent dans Neiges de marbre -, jeune fille sans âge, née d'un père maghrébin et d'une mère européenne, qui brise à son tour les miroirs du quotidien et s'invente un pays de merveille. Depuis son arbre refuge et dans une sorte de récit mêlant à la fois réalité quotidienne et fable surréelle, Lyyli Belle entreprend un étonnant dialogue avec les siens. Etrange mélange d'amour paternel, de craintes maternelles, d'incompréhensions et de complicité filiales, mais aussi de connivence camarade, ces dialogues ébauchés se succèdent et composent une symphonie de la déchirure malgré tout vaincue par la force des liens jamais dénoués, par cette communion d'élans fraternels et cette invitation aux noces du sable et de la neige.

A la croisée des temps de tumulte et d'espoir

Dans son roman, Si Diable veut, paru en janvier 1998, Dib compose le cahier de l'impossible retour dans l'Algérie des pères, pour un jeune fils d'émigré en France, pris dans l'engrenage des retrouvailles impossibles, des maladresses et des malentendus, et dans le tumulte d'une autre fureur, celle des chiens, "plutôt des créatures de l'enfer", qui viennent hanter les villages, attaquer les habitants et les maintenir dans la terreur. Dans ce livre aux connotations immédiates, Mohammed Dib, sans que rien ou presque n'y paraisse, emporte subrepticement personnages et lecteurs sur les chemins altiers de la fable. L'actualité y fait soudain irruption et, d'une destinée individuelle, le roman glisse peu à peu vers la tragédie communautaire. Pour vaincre les fureurs du moment, les victimes en appellent à la mémoire et au sursaut qui avait su guider les aînés lors de la guerre de libération. Entre l'échec de l'impossible retour et l'espérance de l'acte rebelle et salvateur, Si Diable veut prend une place singulière dans l'œuvre de Mohammed Dib, à la croisée des temps de tumulte et d'espoir, et dans la difficile confluence des retrouvailles.

"quand tout est dit, rien n'est encore dit"
Poursuivant ainsi une voie originale, le poète et romancier algérien a créé des personnages attachants auxquels il a su donner la force et la dimension de l'universel. Ils avouent des itinéraires et des souvenirs communs et s'inventent des destinées à la démesure de leur fracture avec la vie. Ils appartiennent aux romans de l'oubli, de l'absence et du désenchantement mais aussi du retour, de la mémoire et de l'enracinement. Ils jalonnent la ligne de rencontre entre un Nord et un Sud à peine nommés. Ils disent l'éloignement, dédouané de toute étrangeté facile et de tout exotisme de pacotille. Superbement écrite dans une langue poétique qui se joue du mot juste, l'œuvre de Mohammed Dib refuse au lecteur le confort de l'évidence pour lui offrir les subtilités et les zones d'ombre d'une symbolique qui ne sombre jamais dans l'hermétisme. Une œuvre écrite loin des rumeurs, des agitations, des feux de la rampe médiatique. Une œuvre qui, pour ses pairs et compagnons d'écriture, et dans cet immense chaos de blessures et de morts de l'Algérie, figure le poteau-mitan qui soutient l'édifice. Une œuvre exigeante et conforme à cette définition que le poète donne lui-même de sa création : "Je note ceci, et le reste, contre les hasards possibles de la vie, j'écris, mû par l'espoir d'écarter de nous ses dangers. La vie est sauvage, et la parole aussi. La parole comparée à l'écriture, l'écriture qui peut servir à apprivoiser, ou au moins à tenter de le faire, la parole et la vie". En poursuivant une quête qui ne se veut, pourtant, en aucun cas, abstraite ni détachée du réel, l'écrivain algérien souhaite cependant garder une distance avec les bruits et les fureurs de l'engagement et du militantisme immédiats. Il construit, livre après livre, une œuvre riche et exigeante, thématiquement et esthétiquement inscrite dans la durée. Sans doute afin d'être en accord avec sa conception de la littérature qu'il envisage comme le lieu privilégié du doute et de l'interrogation : "Un écrivain n'enseigne pas, il désenseigne. Il n'apporte pas de réponses, il apporte des questions", déclare-t-il, de même qu'il connaît les affres de cette question essentielle : "à quelle interrogation plus grave que celle de sa responsabilité, un écrivain pourrait-il être confronté ?" Là où d'autres ont la tranquille assurance des vérités immuables, Dib oppose, toujours et partout, ce lancinant questionnement sur l'écriture et cette terrible et seule certitude de ne jamais parvenir à trouver l'inaccessible réponse : "Quand tout est dit, rien n'est encore dit".
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