Algérie - Arts plastiques

Halim Selami. Artiste peintre de Touggourt «Je me sens un devoir d’apporter un témoignage sur un patrimoine à l’abandon voué à la disparition»






Au moment où une campagne de démolition touche le cœur de la ville de Touggourt, une destruction au nom de l’éradication de l’habitat précaire décriée par le club des anthropologues de Ouargla, Halim Selami, artiste peintre et enseignant d’arts plastiques à l’Institut de formation des cadres de la jeunesse de Ouargla, nous parle de sa passion pour Touggourt, sa ville natale et source d’inspiration.

- Comment décririez-vous Touggourt et qu’est-ce qui vous y inspire le plus?

Les ruines de Mestaoua, les mausolées, les vieilles mosquées, les tombeaux des rois Beni Djellab. Je vois Touggourt dans tous les ksour et toutes les vieilles médinas que je visite de par le monde, ce sont des facettes de ma ville natale que je préserve dans mon imagination. Dans cet imaginaire, je retrouve des flashes du ksar de Timimoun, de La Casbah d’Alger, etc. Je m’inspire de toutes les vieilles médinas pour nourrir cet imaginaire, si bien que mes tableaux reconstituent la texture des murs, quelques éléments décoratifs, des graffitis, des fenêtres et des portes, des terrasses, des couleurs qui évoquent un Touggourt qui n’existe plus. Et, depuis que l’artiste en moi s’est formé et forgé, l’instant de la création est conscient de l’empreinte de sa ville, des souvenirs d’enfance.

- Comment s’explique la dominance du bleu dans une ville saharienne à dominance ocre?

Je n’arrive pas expliquer cette dominance, ça me plaît tout simplement. Le tableau prend une certaine autonomie même par rapport à moi. Le simple citoyen se reconnaît et se retrouve dans les habits, les attitudes, car chaque tableau c’est moi, ma famille, mon entourage. Il suffit de se placer devant un tableau pour s’identifier à la scène qu’il évoque.

- Vous parlez de Touggourt au passé, qu’est-ce qui lie votre ville imaginaire à la réalité?

Je n’aspire pas à reconstituer le Touggourt réel, car la peinture est une recherche de soi, l’ancrage de la première maison, la ville natale. Les origines et l’enfance font de nous ce qu’on est, mais la suite est une recherche et une construction individuelles. Mon intérêt pour les ksour est conjoncturel, ma thèse de magistère s’y intéresse aussi. Je me suis lié aux façades, aux portes, à l’architecture simple et aux matériaux de base tels que la pierre et l’argile, mais rien ne dit que demain ce sera au tour de la géométrie et que je verse dans l’abstrait. Pour le moment, je me sens un devoir d’apporter un témoignage sur un patrimoine voué à la disparition. Je le peins à travers mes yeux, tel que je le vois, tel que je l’ai vécu, c’est un devoir de mémoire pour les générations futures. La peinture parle aux sens, et j’espère que cela suscitera des réactions.

- Comment pensez-vous transmettre ce message en l’absence de galeries dans la région?

Nous avons beaucoup d’artistes dans notre wilaya, mais à force d’être marginalisés, de ne pas voir une tradition artistique s’instaurer, les artistes se cachent et vivent dans l’anonymat. Il faut tenir compte aussi de l’absence de galeries d’art, d’acheteurs, de collectionneurs dans notre région et de critiques d’art. Comme partout ailleurs, on ne valorise pas la création, et il n’y a plus de connaisseurs. Mais les choses n’ont pas toujours été ainsi. Il y avait une association appelée Fine Art à Touggourt dans les années 1990 ; nous organisions des expositions en plein air, des ateliers pour enfants, pour les peintres naïfs afin de déceler des talents cachés, donner des matériaux aux jeunes et aux seniors pour se révéler et prendre confiance, mais ça n’a pas tardé à devenir un poids pour nous, car nous manquions de fonds et nous n’avons pas réussi à trouver des sponsors.

Nos avions loué un atelier ouvert aux personnes qui voulaient découvrir la peinture et s’y exercer, c’était un open space où cohabitaient les arts plastiques, le chant et la musique. Au bout d’un moment, nos moyens financiers se sont taris dans les charges, et nos maigres cotisations ne suffisaient plus. Nous avons tout tenté pour survivre, mais la société ne suit pas, elle a sombré dans l’indifférence et beaucoup d’artistes de Touggourt sont partis pour s’accomplir ailleurs. Certains se sont reconvertis dans la pub et les arts graphiques pour trouver du travail, d’autres ont embrassé des métiers pour vivre et fonder des familles.

Houria Alioua
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