Saida

Aoun et le grand virage à négocier



Par Fateh Merouane IBBOU*
À l'ère ou les Etats ont connu des délocalisations outrancières, avoir un ministre de l'Industrie comme Ali Aoun est une aubaine. Connu pour sa probité, ce défenseur de l'appareil national de production a raison de s'emporter face aux questions incessantes sur le dossier de l'automobile. L'actuel ministre n'est pas responsable de ce dossier dans sa conception, mais il a le devoir, en bon patriote qu'il est, de remettre les pendules à l'heure et de faire cesser toute éventuelle supercherie, qui risquerait de nous replonger dans l'ancienne version du dossier. Aoun doit bien négocier le virage. Il n'est pas à son premier challenge. Les Algériens se rappelant toujours de l'incroyable opération qu'il a menée avec brio dans le groupe Saidal. Aoun était chargé de précipiter la liquidation de ce groupe dont les rapports disaient qu'il ne pouvait plus continuer à activer. Après avoir examiné le potentiel du groupe, Ali Aoun ose le défi et promet de redresser la situation. Il n'a fallu que quelques années plus tard, pour qu'il fasse de Saidal le fleuron de l'industrie pharmaceutique nationale et qui a tenu la dragée haute à la mafia du médicament et des lobbies de l'import.
Aujourd'hui, Ali Aoun qui a la confiance du Président, peut récidiver dans le secteur automobile qui a trop traîné pour décoller.
Des véhicules de moins de 7 ans
Attendre plus de cinq ans pour concevoir un cahier des charges avec autant de concessions est loin d'être une prouesse. Au nom de quel principe, avons-nous autorisé l'importation de véhicules avant l'entrée en production' Si c'est pour encourager les producteurs locaux, l'Etat n'avait qu'à être actionnaire avec des producteurs locaux et laisser une petite partie en faveur de la firme étrangère, pour justifier son transfert de technologie et mériter son accès à un marché énorme. Au bout d'une décennie, l'Etat pourrait céder ses actions au partenaire national ou à la Bourse si ce marché viendrait à se développer. Concrètement, les responsables de Stellantis sont maîtres de leurs choix stratégiques. Néanmoins, il importe de signaler qu'au même moment où ils ont investi 200 millions de d'euros en Algérie, ils n'ont pas hésité à investir 300 millions d'euros dans une nouvelle unité de production au Maroc. C'est de bonne guerre dirions nous puisque dans les affaires c'est l'intérêt, rien que l'intérêt, qui guide et qui compte. Par ailleurs, il est fort à parier que les futurs kits des voitures viendront des unités de production de Turquie. Quant à l'argument avancé sur les 60.000 véhicules importes d'ici la fin d'année, il démontre que Stellantis aura fait au moins 1 milliard d'euros avant même l'entrée en production soit cinq fois la mise initiale dans son investissement. Cela n'est aucunement en faveur de l'Algérie si ce n'est démontrer que Carlos Tavarès, le P-DG de Stellantis mérite amplement son salaire astronomique, longtemps contesté par les actionnaires. Quant à la marque Cherry, elle montre un spot publicitaire avec des voitures qui prennent la route dans un conteneur de la Chine vers l'Algérie. Le président de la République a dénoncé publiquement cette industrie automobile qui se résumait «au gonflage des pneus». La charge du Président valait un avertissement clair et de ce fait on n'a plus le droit de rééditer les mêmes erreurs. Si aujourd'hui pour le cas de Cherry et de Stellantis on reçoit des véhicules aux pneus préalablement gonflés, ils ont largement le temps de se ressaisir avant de s'attirer les foudres du mécontentement.
Le déficit en véhicules récents est énorme en Algérie et pour rajeunir le parc automobile, il faut au moins 500.000 véhicules, voire plus. Au lieu de laisser mourir les anciennes concessions automobiles dont celles saisies par l'Etat, il serait judicieux que le gouvernement ou la représentation nationale propose la possibilité d'importer des véhicules tous carburants confondus, dans un premier temps, en exigeant un contrôle technique avant expédition et en plafonnant les marges.
Une vraie industrie automobile
Dans ce cas de figure, le taux de change appliqué sera de 180 dinars pour 1 euro pour les concessionnaires et de 200 dinars pour 1 euro pour les particuliers, de quoi porter un sérieux coup au taux de change parallèle. Quant à ceux qui voudront importer avec leur propre devise, ils devront s'acquitter d'une taxe forfaitaire supplémentaire.
Rien qu'à voir les bus increvables de la Snvi après 30 ans d'âge, on s'aperçoit qu'on a fait les choses à l'envers. Au lieu de chercher à installer des sous-traitants de pompe, roulements, courroie ou autres éléments qui constituent un moteur, la base sur laquelle nous devions commencer est le châssis ainsi que la carrosserie. En même temps, on développe sur place la production de sièges en tissus et cuirs, vitres, les intérieurs plastiques et bois ainsi que les pneus. De ce fait, nous n'allons pas nous obstiner dans un premier temps à fabriquer les pièces de moteurs. Nous allons importer les moteurs complets, en attendant de disposer d'une vraie industrie mécanique et de sous-traitance. Il y a d'énormes opportunités à saisir, notamment avec les pays asiatiques. Les ambassadeurs du Japon et de Corée du Sud ont manifesté leur intérêt pour des projets communs, n'est-il pas judicieux d'installer une grande usine de véhicules tout-terrain et SUV à Tamanrasset et d'avoir ainsi Toyota, en fournissant les pays d'Afrique. Bechar n'est pas loin de la partie Ouest censée abriter une bonne partie de l'industrie automobile, la présence d'un projet structurant permettrait de développer une grande marque sud-coréenne ou une industrie de véhicules lourds, tout en profitant d'une probable association avec l'industrie militaire, ayant déjà fait ses preuves dans la grande industrie et l'automobile.
Brics: une non-adhésion salutaire
Disons-le haut et fort la non-adhésion de l'Algérie aux Brics est une aubaine. Mieux encore, elle est salutaire pour nous. L'ambassadeur des USA à Alger a redoublé d'efforts en voulant ratisser large. La nature a horreur du vide et les USA veulent se positionner dans l'agroalimentaire de grande dimension, et le domaine ferroviaire. N'est-il pas opportun de négocier ce dernier contre le transfert de technologie entièrement pour une industrie du lait et la délocalisation d'usines entières automobiles' À ce titre, Detroit (une ville américaine connue dans l'industrie automobile) a souffert et il est possible d'étudier une délocalisation d'une certaine production en Algérie, tout en permettant l'investissement pour la relance de sites aux USA avec apport de fonds algériens. Enfin, Renault Nissan est un grand groupe et les voitures Renault sont compétitives pour l'entrée de gamme. L'intérêt économique doit primer sur le chauvinisme et il est possible de négocier le retour en force de Renault pour les petites voitures avec une vraie usine de production Nissan au Sud. L'Algérie a besoin de vrais projets structurants à coups de milliards de dollars avec effet d'entraînement au lieu d'unités de montage à 600 employés.
Une vision à 360 degrés
De nos jours, les théories basées sur l'acharnement à investir dans tous les secteurs sont révolues et il n'est plus question d'installer des usines ou d'intégrer un secteur quel que soit le prix comme un enfant qui veut absolument son jouet. La presse s'est récemment réjouie de la nomination de Zineb Ghout, Toulousaine d'origine algérienne, à la tête de Peugeot France. N'est-il pas possible pour un Etat comme l'Algérie de nommer Madame ou Monsieur Automobile avec un budget de 5 milliards de dollars et une feuille de route sur cinq ans' Oui, l'Algérie peut, oui l'Algérie a les moyens, oui l'Algérie le mérite. Ne rougissons de vouloir la lune, il nous la faut! Cette aventure consiste à installer une vraie industrie automobile en Algérie, tout en plaçant des fonds dans un grand groupe mondial en faisant partie du board de direction, contre l'importation de 500.000 véhicules sur 5 ans. Cela n'exclut pas aussi le rachat de sites de production dans certains pays, la relance de certains sites et le rachat de firmes sous-traitantes puis l'installation de leurs filiales Algérie et dans d'autres parties du monde.
La voiture de demain
Le secteur de l'automobile connaît une période de tergiversations sans précédent. L'apparition de drones, la modernisation des transports publics, la vulgarisation de l'avion et du train sont des facteurs qui réduisent le recours à l'automobile. Par ailleurs, l'apparition de biocarburants et l'abandon du moteur thermique font peur aux investisseurs. Cette industrie a besoin d'une visibilité sur plusieurs décennies. Il serait prudent de dénicher la perle rare comme Karim Zaghib. Cet Algérien qui fait les beaux jours des puissances mondiales dans les batteries ne refuserait aucunement une offre lui doublant ou triplant son salaire actuel avec un projet sur cinq ans pour asseoir l'investissement de l'Algérie dans l'électrique. Cela passera par une liberté totale d'action, allant du rachat d'une usine chinoise, au partenariat américain ou asiatique, pour finir avec l'installation d'une usine de voitures électriques en Algérie à moyen terme. De même que pour les autres projets, il faut voir grand et miser gros pour pouvoir rivaliser et rattraper le retard dans ces nouvelles technologies.
*Diplômé de l'ENA d'Alger et de la faculté de droit d'Aix En Provence.
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