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Notre alimentation actuelle : entre risques nutritionnels manifestes et risques toxicologiques invisibles



Notre alimentation actuelle : entre risques nutritionnels manifestes et risques toxicologiques invisibles
Publié le 30.01.2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie
Par le Professeur Amrouche Tahar(*)

L’art de s’alimenter nous renvoie à la célèbre citation d’Hippocrate, père de la médecine (465 avant J.-C.), «nous sommes ce que nous mangeons», laissant penser que l’alimentation et la santé sont intimement liées. En effet, on s’accorde à dire que l’acte alimentaire est le fondement de la vie et qu’une alimentation saine renforce la santé et procure le bien-être chez l’être humain.
A vrai dire, l'alimentation apporte à notre organisme les éléments nutritifs (nutriments) nécessaires à son bon fonctionnement et une bonne santé. Il faut bien savoir que l’alimentation traditionnelle, connue pour ses vertus reconnues scientifiquement, est basée sur des aliments peu ou pas transformés et contient en moyenne 10 fois plus de nutriments que notre alimentation moderne. Malheureusement, le constat actuel est que l’alimentation traditionnelle disparaît progressivement dans certains milieux en laissant la place à l’alimentation moderne.
En fait, la perception de l’alimentation moderne est devenue un paradoxe remarquable lorsqu’on voit, d’une part, une amélioration continue de l’état de santé des populations via une alimentation abondante, et d’autre part, une inquiétude manifeste liée aux risques nutritionnels et toxicologiques potentiels relatifs à l’alimentation moderne.
S’agissant de la modernité alimentaire, elle est le résultat de l’évolution de notre alimentation au gré de l’industrialisation et de la société de consommation, une évolution marquée par la course à l'innovation apportant aux consommateurs divers nouveaux produits alimentaires ayant transformé en profondeur leurs comportements et besoins. Autrement dit, la modernisation de notre alimentation, soutenue par la mondialisation des échanges commerciaux, a véritablement bouleversé certains comportements alimentaires au point de favoriser l’émergence de pathologies digestives (inflammation de l’intestin, allergies alimentaires, etc.) et métaboliques (diabète, hypertension, athérosclérose, etc.).
Par ailleurs, les nutritionnistes reconnaissent actuellement qu’il est difficile de concilier les impératifs nutritionnels et les saveurs de la table (aliments nouveaux) qui peuvent conduire à des excès morbides.
Le concept de risque alimentaire évoque la probabilité que des dangers chimiques (pesticides, antibiotiques, radioéléments, métaux lourds, perturbateurs endocriniens, etc.), biologiques (salmonelles, listeria, entérovirus, protozoaires, helminthes, etc.) ou physiques (débris de verre, de métal, de bois, etc.), présents accidentellement, via une contamination due à la pollution de l’environnement ou/et non-respect des bonnes pratiques, dans un aliment ou une eau de consommation, portent préjudice à la santé du consommateur.
Le niveau de risque dépend de la gravité, de la fréquence de l’exposition et de la détectabilité du danger.
Les effets néfastes de ces dangers peuvent être hépatoxique (atteinte du foie), néphrotoxique (altération de la fonction rénale), entérotoxique (dysfonctionnement de l’intestin), neurotoxique (atteinte du cerveau), reprototoxique (perte de la fertilité), génotoxique (altération du génome), etc. De tout cela, on peut comprendre que manger n’est pas un acte anodin, puisque l’acte alimentaire peut engendrer un risque vital si l’on considère l’incorporation possible via la bouche d’éléments nuisibles dans notre corps.
Par ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaît l’existence de 200 maladies d’origine alimentaire et estime que 600 millions de personnes dans le monde sont atteintes de ces maladies chaque année, dont 420 000 en meurent. En conséquence, les maladies d’origine alimentaire portent préjudice au système de soins de santé, à l’économie nationale (absentéisme), au tourisme et au commerce.
D’un point de vue scientifique, les données ne cessent de s’accumuler sur la sécurité des aliments et de l’eau de consommation ; à titre d’illustration, une simple recherche réalisée sur le célèbre site US National Library of Medicine (NCBI) en employant les mots clés Food Safety a permis de relever en ce mois de janvier 440 863 publications sur la sécurité ou la qualité sanitaire des aliments. Ceci montre donc toute l’importance que revêt la relation entre l’alimentation et la santé humaine.
Dans les pays en développement, il est vrai que des contrôles de la qualité sanitaire des aliments sont effectués par les services compétents à différents niveaux de la chaîne alimentaire, à savoir la production, le transport, le stockage et la distribution, mais ces contrôles sont-ils réalisés de façon satisfaisante au point de garantir un niveau de risque acceptable ? Faut-il aussi souligner que même si les contaminants chimiques sont présents dans les aliments ou l’eau de consommation à des niveaux inférieurs aux limites critiques, il peut y avoir l’effet cocktail résultant des actions combinées ou synergiques des contaminants et produisant un effet toxique redoutable non détectable ?
La biologiste française Isabelle Oswald a montré un effet de synergie des mycotoxines, des toxines produites par des moisissures, à faible dose et des interactions avec les métaux lourds présents dans l’alimentation. Selon la communauté scientifique, l’effet des contaminants chimiques sur l’apparition surprenante et inquiétante des cancers dans les pays du monde entier n’est sans doute pas à écarter.
En Algérie, les contrôles alimentaires accomplis en aval n’étant pas suffisants pour éviter définitivement les risques toxicologiques (intoxications ou les toxi-infections alimentaires), un système de prévention des risques alimentaires de l’amont à l’aval (le long du processus) s’avère indispensable. C’est la raison pour laquelle une initiative louable et salutaire est prise par les pouvoirs publics conformément au Codex Alimentarius (code alimentaire international) en mettant en vigueur ce mois de janvier l’arrêt interministériel 1442 (Jora du 31 janvier 2021) dans le cadre de la loi n°09-03 du 25 février 2009 relative à la protection du consommateur et à la répression des fraudes.
Selon cet arrêté interministériel fixant les conditions et les modalités de mise en œuvre du système d’analyse des dangers et des points critiques pour leur maîtrise (HACCP), les établissements de production des denrées alimentaires doivent mettre en œuvre des procédures permanentes fondées sur les principes du système HACCP, en vue de garantir la salubrité et la sécurité des denrées alimentaires. Ceci dit, le consommateur doit aussi jouer son rôle dans la prévention des risques alimentaires à l’échelle domestique en gardant les bonnes habitudes alimentaires, comme l’équilibre alimentaire (ni excès ni carence) et vigilance vis-à-vis des produits alimentaires (état de l’emballage, étiquetage), et surtout le respect des bonnes pratiques d’hygiène (bon lavage, cuisson suffisante, séparation au frigo des aliments cuits des non cuits, etc.). Face aux médias véhiculant des images et des idées parfois trompeuses de l’alimentation moderne et un marketing abusif, le consommateur est de plus en plus exigeant et méfiant quant au contenu et au contenant (emballage), qui sont redoutés pour leur apport en éléments ou ingrédients nouveaux, dont l’origine, la nature et l’utilisation ne sont toujours pas rassurantes ou sans susciter l’appréhension du risque.
Enfin, la question liée au risque alimentaire interpelle tout un chacun et nécessite des mesures préventives adaptées comme la sensibilisation, la formation, l’éducation, les bonnes pratiques (agricoles, vétérinaires, de fabrication, d’hygiène, etc.). Aussi, pour retrouver les vertus de l’alimentation pour notre santé, il y a nécessité d’un retour à l’alimentation durable : saine et raisonnée, locale, de saison, biologique, non raffinée, etc.
A. T.
(*) université Mouloud-Mammeri de Tizi-ouzou
Directeur du laboratoire qualité et sécurité des aliments




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