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La diplomatie algérienne du temps de guerre en Extrême-Orient Entre solidarité et sympathie avec la cause du peuple algérien


La diplomatie algérienne du temps de guerre en Extrême-Orient Entre solidarité et sympathie avec la cause du peuple algérien
Publié le 28.01.2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie

Par Mostefa Zeghlache
zeghodmus@yahoo.fr

«Montrez-moi comment une civilisation honore ses morts, et je vous dirai quelle est la morale de ce peuple.»
Winston Churchill
Pour paraphraser l’officier, stratège et théoricien militaire prussien Carl von Clausewitz qui écrivait dans son ouvrage De la guerre, publié à titre posthume entre 1832 et 1834 par sa femme, que «la guerre est une simple continuation de la politique par d’autres moyens», ou son «détracteur», le philosophe français Michel Foucault (1926-1984), pour qui c’est plutôt «la politique qui est la continuation de la guerre par d’autres moyens», il nous paraît opportun de dire, en ce qui concerne la diplomatie algérienne du temps de la lutte de Libération nationale, qu’elle a constitué l’arme idoine pour mener la guerre contre le colonialisme français, par d’autres moyens.
La diplomatie algérienne ne date pas de la naissance du FLN en 1954 ou de la constitution du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) le 19 septembre 1958, mais a acquis ses lettres de noblesse avec la proclamation du 1er Novembre 1954 et est devenue une véritable «machine» de guerre politique structurée et une école du patriotisme avec la constitution du GPRA.
La voix de l’Algérie pour l’indépendance s’est fait entendre au plan international dès la fin de la Première Guerre mondiale. Parmi les premières initiatives exploitées à cet effet par les représentants du mouvement national, rappelons qu’en 1927, le parti Etoile nord-africaine (ENA), créé en 1926, avait participé à un congrès anticolonialiste tenu à Bruxelles (Belgique) du 10 au 14 février 1927. Cette première participation internationale avait permis à l’ENA de faire connaître le problème algérien et ses liens avec le contexte maghrébin.
Jusqu’à l’indépendance en 1962, la diplomatie algérienne n’était pas l’œuvre de diplomates de carrière issus d’universités ou de grandes écoles diplomatiques, mais d’hommes de divers horizons socioprofessionnels entrés dans le vif du combat armés de leur attachement à la patrie, leur foi en un combat juste pour une cause juste et du savoir-faire politique et intellectuel acquis dans la pratique de la résistance nationale avec ses différents volets, politique, syndical, militaire et culturel. On ne naît pas diplomate. On le devient, dit-on.
Certains parmi les diplomates algériens de la période de la guerre de Libération nationale (1954-1962) nous ont légué des récits et des témoignages qui nous servent aujourd’hui de fil conducteur pour bien comprendre la problématique diplomatique algérienne durant cette période, avec ses succès et ses erreurs, ses aspirations et ses limites.
Parmi ces témoins de première ligne, figure Abderrahmane Kiouane. Avocat depuis 1947, il défendait les militants du PPA-MTLD avant d’être emprisonné en 1954. Il mit à profit sa libération provisoire en mars 1955, pour rejoindre la Délégation extérieure du FLN au Caire, en avril 1956. Il a fait partie de nombreuses délégations du FLN en mission à l’étranger et a été le représentant diplomatique du FLN et du GPRA au Japon (chef de la représentation du FLN en Extrême-Orient avec siège à Tokyo, le 6 août 1958) et en Chine (chef de mission diplomatie du GPRA, le 20 avril 1961). Kiouane retrace son itinéraire diplomatique de 1956 (avant sa désignation à Tokyo) à 1962 dans un ouvrage intitulé Les débuts d’une diplomatie de guerre - 1956-1962). (1)
De la date de son arrivée dans la capitale japonaise le 6 août 1958 à son départ à Pékin le 10 mai 1961, Kiouane, en tant que représentant d’un mouvement de libération d’un pays en guerre, assisté d’Abdelmalek Benhabilès, fera montre d’une vitalité diplomatique et d’un dynamisme «outrancier», que lui envieraient de nombreux diplomates aujourd’hui. Rappelons que la première visite d’une délégation algérienne au Japon date du mois de mars 1958. Elle a duré un mois durant lequel A. Kiouane et Abdelkader Chanderli ont sillonné le Japon pour faire connaître aux Japonais la réalité algérienne sous l’occupation coloniale et animer une «journée de l’Algérie» le 30 mars.
Le 4 juillet 1958, l’instruction n°4 du chef de département des affaires extérieures du FLN, Lamine Debaghine, le désignait «envoyé de l’Algérie au Congrès mondial contre les bombes A et H prévu à Tokyo du 15 au 20 août 1958». Dès le 9 août, il participe à ce congrès, préside la 1re partie de la séance solennelle au nom du présidium et annonce l’ouverture des travaux de la conférence. Le 16, il prononce un discours au nom de l’Algérie.
Une autre décision de Debaghine en date du 28 juillet désignait Kiouane en qualité de chef de la représentation du FLN en Extrême-Orient avec Tokyo pour siège. Abdelmalek Benhabilès était désigné second, conformément à l’ordre de mission signé par Debaghine. Du fait de l’assentiment des autorités nippones, la représentation du FLN bénéficiait ainsi d’un statut quasi officiel. Elle couvrait également les Philippines, Formose, la Corée du Sud, le Vietnam, le Laos et le Cambodge.
Malgré tous les obstacles inhérents à la mise en place d’une mission diplomatique et à son entrée en fonction, Kiouane et Benhabilès se mettent à l’œuvre dès les premiers pas franchis sur le sol japonais. En effet, le lendemain même de son arrivée à Tokyo le 6 août 1958, Kiouane est reçu discrètement au MAE par le directeur des Affaires d’Europe et d’Asie, chargé du «problème algérien». Le même jour, il rencontre un député du parti libéral au pouvoir. Le 22, il participe, avec Benhabilès, à un débat sur le Moyen-Orient organisé par un grand quotidien japonais et anime des conférences-débats sur l’Algérie.
Outre les contacts réguliers avec certains cadres du MAE japonais et quasi quotidiens avec les représentants du mouvement associatif et syndicaliste, de partis politiques et du corps diplomatique arabe, notamment maghrébin, européen socialiste et asiatique, Kiouane a tissé de solides liens avec les médias japonais (journaux, radios et TV) pour faire entendre la voix de l’Algérie combattante dans un pays qui ignorait beaucoup de la lointaine Algérie et de son combat libérateur. Dans ce contexte, le Comité japonais contre les bombes A et H et le Comité japonais de solidarité afro-asiatique ont constitué deux tribunes de première importance à nos deux diplomates pour contrecarrer la propagande franco-occidentale dans la région, sensibiliser la société japonaise à la cause algérienne et conforter la solidarité de différents segments de cette société avec la lutte du peuple algérien.
La participation au Congrès contre les bombes A et H d’août 1958 a constitué une précieuse opportunité pour Kiouane pour se familiariser avec la question nucléaire et saisir l’importance de la malheureuse expérience nucléaire japonaise de la Seconde Guerre mondiale, devenue une question hautement sensible pour la société japonaise traumatisée, pour en faire une arme contre la politique coloniale et nucléaire de la France dans notre pays.
En août 1959, Kiouane écrivait «la campagne contre les projets d’essais atomiques français au Sahara est engagée à travers tout le Japon» et «la campagne contre les projets français a ici un caractère nettement pro-algérien». De nombreuses manifestations antinucléaires sont organisées par le comité japonais contre les bombes A et H avec, à chaque fois, la participation et la prise de parole du diplomate algérien.
Dans ce contexte, il participe, notamment, le 7 septembre 1959, à un meeting où il intervient et qui s’achève par l’adoption d’une résolution condamnant les essais français au Sahara, résolution qu’une délégation remet à l’ambassade de France. A cette occasion et dans une déclaration de presse, Kiouane souligne que «les essais atomiques de la France (en Algérie) augmentent la tension internationale et font échec aux projets de désarmement. Ils font courir un grave danger à la paix mondiale…».
Il saisit l’opportunité d’un autre meeting organisé le 1er mars 1960 par le comité japonais, pour prononcer une allocution dans laquelle il prend à témoin le peuple japonais en ces termes : «Après Hiroshima et Nagasaki…, c’est notre tour, nous Algériens, d’être victimes d’un acte de folie du gouvernement français.»
L’activité débordante de nos deux diplomates s’est étendue à l’Académie des sciences du Japon qui a voté, le 23 janvier 1960, une résolution demandant à l’Académie française des sciences d’intervenir auprès du gouvernement français pour cesser ses essais nucléaires en Algérie.
L’autre cadre de mobilisation en faveur de notre pays a été le mouvement de solidarité afro-asiatique qui tire sa dynamique de la conférence de Bandoeng en avril 1955. Le comité très actif a été à l’origine de l’organisation et de l’animation de nombreux meetings auxquels étaient conviés et appelés à intervenir nos deux diplomates. Le Comité japonais de solidarité afro-asiatique a de tout temps pris fait et cause pour la lutte du peuple algérien. En témoigne le message de félicitations adressé le 21 septembre 1958 à Ferhat Abbas par Nagano, secrétaire général du Comité, à la suite de la formation du GPRA et dans lequel il écrivait notamment : «Notre comité… vous promet de faire de son mieux pour mobiliser l’opinion de la population japonaise, en collaboration avec votre délégation à Tokyo, représentée par M. Kiouane, afin que le gouvernement japonais reconnaisse le plus tôt possible votre gouvernement.»
C’est ce même comité qui a été à l’origine de la création de l’Association d’amitié algéro-nippone qui tint sa première réunion le 27 septembre 1960 élargie à la Tunisie et au Maroc sous le nom d’«Association Japon-Maghreb» ayant pour buts notamment d’«intensifier les rapports culturels et économiques entre les peuples du Maghreb et le peuple japonais et d’appuyer la cause du peuple algérien en lutte pour son indépendance».
A l’évidence, toute manifestation de soutien ou de sympathie officielle ou non officielle japonaise à l’égard de la cause algérienne était contestée par l’ambassade de France à Tokyo. Si cette attitude gênait parfois les autorités nippones, la société civile japonaise ne faisait, dans sa globalité, aucun secret de son engagement en faveur de notre pays.
Les autres aspects de la solidarité japonaise sont variés allant des messages de soutien des syndicats à l’UGTA aux journées «Algérie» organisées par les partis de gauche, en passant par les meetings animés par les diplomates algériens, les reportages de presse écrite, radiophoniques et télévisuels sur le combat du peuple algérien en armes, les pièces de théâtre, sans oublier l’assistance médicale et autres envoyée par la Croix-Rouge du Japon aux réfugiés algériens au Maroc et en Tunisie.
La constitution du GPRA le 19 septembre 1958 a représenté une étape importante pour l’action diplomatique de l’Algérie combattante. A Tokyo, Kiouane organise le 26 septembre une conférence de presse avec Benhabilès dans laquelle il déclare que «ainsi, l’Algérie a officiellement accédé au rang de pays souverain » et s’adresse à l’opinion publique japonaise en ces termes : «Nous nous tournons vers l’un des plus importants pays du groupe afro-asiatique… En cette époque où la paix et la liberté sont parmi les objectifs principaux du Japon, votre pays comprendra à coup sûr le sens de notre combat et lui apportera aide.»
Néanmoins et malgré l’engagement clair de la société civile dans toute sa diversité et de la classe politique du Japon en faveur de la cause algérienne, la position officielle a longtemps été considérée par Kiouane comme étant timorée et il en explique les raisons. Dans un rapport à l’autorité du GPRA en date du 6 juillet 1959, Kiouane, qui venait d’être reçu au MAE japonais, après les réserves du Japon sur une résolution de l’AG de l’ONU sur la question algérienne, écrit que «la diplomatie japonaise est très subtile et en même temps attentiste. Elle est au service d’une politique étrangère guidée essentiellement par des mobiles économiques.
Elle refuse, par conséquent, les positions tranchées, même sur des problèmes qui sensibilisent ici l’opinion…». Il explique qu’en ce qui concerne l’Algérie, le gouvernement japonais demeure «attentif aux positions de pays tels que les Etats-Unis». Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les Etats- Unis maintenaient une forte présence militaire et une influence économique dominante sur le Japon. Ce qui explique que ce pays se positionne sur le bloc occidental dominé par les Etats-Unis et dont faisait partie la France.
Mais lorsque les circonstances le permettaient, les officiels japonais exprimaient aux représentants algériens, notamment lors de contacts discrets au MAE, leur désapprobation de la politique coloniale de la France et s’engageaient ouvertement contre les essais nucléaires français. C’est ainsi que le 3 septembre 1959, lors de la 14e session de l’Assemblée générale de l’ONU (15 septembre - 13 décembre 1959) et pour la première fois, la délégation japonaise a voté la résolution afro-asiatique dirigée contre les essais nucléaires français au Sahara. Kiouane rappelle que le gouvernement japonais a protesté le 3 septembre 1959, le 13 février 1960 et le 1er avril 1960 auprès du gouvernement français contre ses essais nucléaires au Sahara algérien.
En marge de ses activités au Japon, à Tokyo comme dans d’autres villes du Japon, la mission diplomatique algérienne couvrait d’autres pays de la région où, note Kiouane, nos deux diplomates déployaient d’intenses énergies pour faire connaître la cause algérienne auprès des officiels comme du grand public de ces pays, contrecarrer la politique coloniale répressive de la France en Algérie, gagner un soutien politique notamment officiel au sein du mouvement afro-asiatique et des Nations unies et obtenir une assistance matérielle pour nos réfugiés, aussi symbolique soit-elle.
Après le Japon, ce fut en Chine que Kiouane a mis son expérience diplomatique au service de son pays. En effet, le 20 avril 1961, F. Abbas, Président du GPRA, et K. Belkacem, vice-président du Conseil et ministre des Relations extérieures, signaient le décret de nomination d’Abderrahmane Kiouane en qualité de chef de mission diplomatique du GPRA auprès de la République populaire de Chine. Le 10 mai 1961, il quitte Le Caire pour Pékin, lieu de sa nouvelle affectation. La mission diplomatique dont le siège était à Pékin couvrait également la République populaire du Vietnam, la République populaire de Mongolie et la République démocratique et populaire de Corée (Nord).
Tout comme à Tokyo, le combat diplomatique en faveur de l’Algérie est riche en enseignements sur l’efficacité de l’appareil diplomatique de l’Algérie en guerre pour faire entendre haut la voix de la cause nationale en Extrême-Orient.
Pour rappel, trois délégations officielles algériennes avaient auparavant visité la Chine. La 1re du 3 au 13 septembre 1958, dirigée par Mahmoud Cherif, ministre de l’Armement ; la 2e dirigée par Krim Belkacem, vice-pdt du Conseil et MRE du GPRA en mai 1960 et la 3e du 19 septembre au 6 octobre 1960, dirigée par F. Abbas, président du GPRA. Les trois délégations avaient été reçues par les plus hauts responsables de l’Etat chinois.
Cependant, les conditions de travail à Pékin différaient totalement de celles qui prévalaient à Tokyo. Le régime communiste installé depuis 1949 en Chine était fondamentalement et résolument anticolonialiste. Les contacts diplomatiques avec les autorités chinoises obéissaient à un certain nombre de règles et à un protocole différents de ceux en cours à Tokyo. Le point commun entre les deux pays asiatiques qu’utilisaient à bon escient les diplomates algériens était leur participation à la conférence afro-asiatique de Bandoeng en avril 1955 et leur engagement – quoique nuancé – envers le mouvement de solidarité afro-asiatique qui en est issu.
Si à Tokyo, pour les raisons expliquées plus haut, les contacts avec les officiels japonais étaient discrets, à Pékin, il n’en était pas de même. Pour preuve, le lendemain de son arrivée à Pékin le 15 mai 1961, Kiouane avait une entrevue le 17 mai 1961 avec le vice-ministre des Affaires étrangères chinois et le 21 mai, il présentait ses lettres de créances au Président Liou Chao-Chi (Président du 27 avril 1959 au 31 octobre 1968).
L’aide chinoise à la Révolution algérienne était multiforme et continue et reposait essentiellement sur le protocole sur l’aide économique, financière, militaire et sociale au GPRA, «sans contrepartie ni aucune condition», signé à Pékin le 19 mai 1960. Le protocole en question a été effectivement et intégralement mis en œuvre et s’est poursuivi après l’indépendance de notre pays.
Lors de la cérémonie de présentation des lettres de créances du diplomate algérien, le Président Liou Chao-Chi a résumé la position ferme et stable de son pays à l’égard de l’Algérie en guerre en ces termes : «Le développement continu de l’amitié de combat entre nos deux pays, le soutien et l’aide réciproques entre nos deux peuples sont, non seulement, conformes aux intérêts de nos deux peuples, mais revêtent aussi une importante signification pour la conquête et la sauvegarde de l’indépendance nationale des pays d’Asie et d’Afrique et pour la défense de la paix mondiale.»
L’engagement de la Chine en faveur de l’Algérie combattante était sans concession, comme l’avait souligné le chef de département de l’Asie occidentale et de l’Afrique au MAE chinois lors d’un entretien avec Kiouane le 23 mai 1961. A cette occasion, le diplomate chinois avait rappelé que lors de la visite officielle en Chine du Président F. Abbas en octobre 1960, «notre Président Mao-Tsé-toung lui a déclaré que nous vous soutenons très fermement ; même si la France nous demande d’établir les relations diplomatiques à condition de ne plus aider le peuple algérien, nous choisirons plutôt l’aide au peuple algérien de préférence aux relations diplomatiques».
La Chine a été un des premiers pays à reconnaître le GPRA. Dès la proclamation de l’indépendance le 3 juillet 1962, le MAE chinois Tchen Yi envoyait un message de félicitations à son homologue algérien Saad Dahlab et annonçait la reconnaissance de la République algérienne par le gouvernement chinois. A cette même date, le Président Liou Chao-Chi et le Premier ministre Chou En-Lai avaient adressé un télégramme de félicitations au Président du Conseil du GPRA Benyoucef Benkhedda, soulignant que «l’accession de l’Algérie à l’indépendance constitue un grand événement pour le mouvement de libération national d’Afrique».
Pour sa part, Kiouane résumait le 5 juillet 1962, lors d’un meeting organisé par les «organisations nationales de Chine», le «programme» de l’Algérie indépendante : «L’Algérie est aujourd’hui un Etat indépendant… Nous engagerons l’œuvre immense de reconstruction et nous poursuivrons la libération du pays dans tous les domaines pour garantir l’indépendance nationale, la liberté, la démocratie, la prospérité et la paix, dans le cadre de la République algérienne démocratique et sociale.» Il ajoutait à l’intention de la Chine : «Le peuple algérien n’oublie pas que le peuple chinois s’est toujours trouvé fidèlement et effectivement à ses côtés au cours de sa lutte de Libération nationale.» L’ouvrage d’Abderrahmane Kiouane sur la diplomatie algérienne en Extrême-Orient nous enseigne que dans cette région éloignée de l’Algérie, la cause algérienne était appréciée à l’aune d’un certain nombre de paramètres spécifiques à chacun des pays visités par Kiouane.
Si, en Chine, en Mongolie et en République populaire du Vietnam (Nord), les régimes communistes se déclarent ouvertement solidaires de la lutte du peuple algérien sans se soucier de l’attitude de la France à leur égard, la position officielle d’autres pays comme le Japon, le Cambodge, le Laos et les Philippines est plus nuancée, malgré le soutien des peuples de ces pays à l’Algérie. Néanmoins, les contacts de nos diplomates avec les autorités de tous ces pays étaient quasi continus. La tournée effectuée par Kiouane au Cambodge, au Laos et aux Philippines en avril 1960, sur instruction du GPRA, a été très instructive sur les raisons de l’engagement discret ou des réticences de ces Etats. Au Laos et au Cambodge, anciennes colonies françaises où la France exerçait toujours une importante influence politique, économique et culturelle, la position des dirigeants politiques se limitait à la désolation de ne «pouvoir faire autre chose» qu’exprimer la sympathie avec l’Algérie.
Au Cambodge, le ministre de l’Information reçoit Kiouane et lui déclare : «La France continue à nous tenir par l’économie... Néanmoins, nous nous efforçons, dans nos contacts avec les Français, de les convaincre de la stupidité de leur position et de les amener à résoudre le problème conformément à la volonté du peuple algérien.» Au Laos, Kiouane entend pratiquement les mêmes arguments concernant la position officielle. Aux Philippines, Kiouane a été reçu par le directeur «Europe» du MAE qui l’a assuré de l’engagement de son pays en faveur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais rappelle que son pays est un allié de la France au sein de l’Organisation du Traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE). Malgré leurs réticences, les autorités de ces trois pays asiatiques ont toutes tenu à exprimer leur sympathie avec la cause du peuple algérien.
Soutien décisif de la résistance du peuple algérien en armes, l’action diplomatique algérienne du temps de guerre s’est déployée dans l’ensemble des régions du monde dont l’Extrême-Orient, notamment depuis la conférence de Bandoeng en avril 1955 et la naissance du mouvement afro-asiatique dont l’engagement pour les causes de la lutte anticoloniale et du droit des peuples colonisés à l’autodétermination a, parfois, été déterminant, en particulier à l’ONU. Car, il faut le rappeler, c’est à l’initiative de 14 pays afro-asiatiques (lettre du 26 juillet 1955 au Secrétaire général de l’ONU, accompagnée d’un mémoire-A-2924)(2), que la «question algérienne» a été inscrite à la 10e cession de l’Assemblée générale, le 30 septembre 1955, moins de 6 mois après Bandoeng. En conséquence, Aït Ahmed ouvrait, en avril 1956, le bureau de représentation du FLN à l’ONU.
En internationalisant la question algérienne et en contraignant la France à la négociation pour l’autodétermination, notamment à Evian, durant laquelle les membres de la délégation mandatée par le GPRA ont fait preuve d’une compétence diplomatique exceptionnelle(3), la diplomatie algérienne a réussi à atteindre plusieurs objectifs dont : rendre nulle et non avenue la thèse française de l’«affaire intérieure» et de la souveraineté de la France sur l’Algérie, imposer le FLN comme représentant exclusif du peuple algérien et balayer l’accusation française contre le FLN d’organisation «terroriste et communiste» au service de Moscou et du Caire.
C’est l’activité diplomatique exercée dans un cadre bilatéral (pays d’accréditation) qui a déterminé l’issue de l’action diplomatique internationale, notamment aux Nations unies. A la veille des négociations d’Evian, le GPRA est déjà reconnu «de jure par 19 Etats (dont la Chine)» qui reconnaissent le GPRA comme «un Etat nouveau au sens du droit international» et de facto par 6 autres (dont le Japon) qui évitent de «se prononcer, au point de vue du droit, sur la volonté d’indépendance»(4). Ce nombre atteint 36 à la proclamation de l’indépendance(5).
La consécration de ce processus fut le vote, par le Conseil de sécurité, de la résolution 176 , le 4 octobre 1962, qui recommandait à l'Assemblée générale de l’ONU d'admettre l'Algérie comme nouveau membre. Le 8 octobre 1962, l'Algérie devenait le 109e membre de l'Organisation des Nations unies(6). Un long chemin parcouru par la diplomatie algérienne qui a abouti ce 8 octobre 1962 à une victoire politique et diplomatique façonnée par des diplomates de stature internationale, souvent dans l’anonymat, et dont l’Algérie a honoré la mémoire, le 8 octobre 2022…
M. Z. 

1- Abderrahmane Kiouane Les débuts d’une diplomatie de guerre – 1956-1962 éd. Dahlab 2000
2- Khalfa Mammeri Les Nations unies face à la question algérienne 1954-1962) Sned, Alger 1969
3- Lire à ce sujet notre contribution «Les négociations d’Evian : la diplomatie au service de la paix»
4- Abdelmadjid Belkherroubi : La naissance et la reconnaissance de la République algérienne Sned. Alger 1982.
5- Mouloud Aouimeur : Propagande et diplomatie au service de la guerre de Libération nationale Université d’Alger-https://www.asjp.cerist.dz/en/downArticle/ 29/6/2/145362
6- Mohamed Debbah : «La diplomatie algérienne à travers l’histoire contemporaine (1830-1962)» 23 octobre 2006.


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