aladhimi

L’Egypte et la France, des acteurs directs



L’été 1962, ou l’été de tous les bouleversements, a marqué la naissance d’un système politique qui a confisqué la lutte de tout un peuple pour la liberté. Sitôt l’acte d’indépendance scellé avec la France, un autre acte est scellé en comité restreint entre des hommes qui ont décidé de prendre le pouvoir de force.


Amar Mohand-Amer, historien, maître de recherches au Crasc d’Oran, s’est intéressé à cette période charnière de la vie du pays et notamment aux institutions politiques et militaires du FLN qui se sont livré bataille, à l’heure où le peuple s’est débarrassé du joug colonial. GPRA, CNRA, Bureau politique, UGTA, que de sigles et de destins croisés entre ces institutions dont certaines se sont éteintes cet été 1962 sur l’autel des luttes fratricides. «Une nouvelle recomposition politique a vu le jour en 1962 et les raisons sont les suivantes : l’unité du FLN, qui a constitué un socle durant la guerre de Libération malgré les graves crises qui l’ont traversé, n’est plus un facteur déterminant. Aussi le processus d’indépendance a créé ses propres logiques et principes.

La reconnaissance internationale dont jouissait le GPRA n’est plus une garantie comme le soutien direct de certains Etats non pas à l’institution officielle mais à celle détentrice d’un pouvoir politique ou militaire. Les positionnements avaient aussi leur poids. Ils se réalisent dans le cadre de nouvelles configurations politiques ou militaires qui obéissent à de nouvelles règles, comme l’apparition d’une nouvelle primauté, celle du leader sur l’institution», explique Mohand-Amer qui met l’accent sur l’ingérence étrangère durant cette crise de l’été 62 en soutenant une institution par rapport à une autre. «Il y a eu une ingérence directe des pays ou puissances étrangères (France et Egypte) et à un degré moindre, la Tunisie et le Maroc. Ironie de l’histoire, une des caractéristiques du FLN historique, c’était son nationalisme ombrageux. A l’indépendance, cette digue s’effondre, l’Egypte de Nasser et la Tunisie de Bourguiba sont des acteurs directs de la crise de l’été 1962», note le conférencier en précisant que Nasser intervient dès avril 1962 en envoyant des armes à Ben Bella et Boumediène.

Des livraisons d’armes qui reprendront en août 1962 «quand l’armée des frontières marche sur Alger contre les Wilayas III et IV».
La France, explique Mohand-Amer, prendra position pour le groupe de Tlemcen et l’armée des frontières avec ses 35 000 hommes, en considérant que «le GPRA de Ben Khedda n’est pas apte à assurer la transition et la sécurité, notamment de ses ressortissants, et à protéger ses intérêts politiques et militaires». Concernant le CNRA, qui, contrairement au GPRA, est sous la coupe des militaires, le conférencier souligne que sur un plan plus objectif, des dirigeants du FLN plaidaient pour sa dissolution à la fin de la guerre.

«Hocine Aït Ahmed appelle à sa dissolution en raison de sa composition qu’il considère comme inadéquate à penser le projet Algérie indépendante et appelle à la mobilisation des compétences politiques et techniques. Dans la même optique, lui et certains dirigeants du FLN remettent en cause la légitimité historique ou révolutionnaire et appellent à l’ouverture du champ politique aux jeunes, aux syndicalistes, aux femmes : à une nouvelle génération de dirigeants», note le conférencier qui tient à préciser qu’avec la création du PRS le 20 septembre 1962, le jour de l’élection de l’Assemblée nationale, Boudiaf rompt le pacte que lui et le groupe des 9 avaient scellé en 1954. Il y a eu une opération de légitimation et délégitimation des institutions en 62.

Le groupe de Tlemcen se présente donc cet été 1962 comme le plus puissant et se légitime par le nombre de soutiens, même le GPRA lui cède le pouvoir le 23 juillet. Le BP quant à lui «se légitime par ses leaders Ben Bella, Khider et Bitat, mais aussi par le pèlerinage politique de Tlemcen entre lse 12 et 22 juillet 1962 où les ralliements politiques qui ressemblent parfois à des rituels d’allégeance El Bayaa finissent par donner à Tlemcen la qualité d’une capitale lieu du pouvoir effectif». Le groupe de Tizi Ouzou se légitime par deux chefs historiques, Boudiaf et Krim, et par la conservation par Mohand Oulhadj de son commandement.

La Wilaya IV, par ailleurs, passe d’institution militaire à politique, légitimée par son contrôle sur la capitale, lieu de pouvoir par excellence. Par contre, l’armée des frontières, qui souffrait de légitimité du fait de son absence du territoire national, trouve une issue de légitimation par son ralliement «tactique» à Ben Bella. «L’armée des frontières est la seule institution qui présente de solides atouts : troupes bien formées, loyalisme autour de ses chefs, aspirations politiques et stratégie pragmatique de prise de pouvoir», indique l’historien, en ajoutant cette précision que la reconversion de l’ALN en ANP s’achève en 1967 à la suite du putsch avorté du colonel Tahar Zbiri. «Jusqu’à cette date de 1967, l’ANP est confrontée à des oppositions, frondes, rebellions (Wilayas IV et III en septembre 1962, Larbi Berredjel El Mili à Constantine, le FFS avec la Wilaya III en 1963, la Wilaya VI, avec le colonel Chabani)».

Mohand-Amer explique que «la désacralisation est plus abrupte, profonde et violente : les héros d’hier sont cloués au pilori, Ben Khedda, accueilli en liesse le 3 juillet à Alger, devient quelques jours après ’’un valet du colonialisme’’». Des tracts sont distribués par toutes les fractions, appelant les populations au ralliement de l’un ou l’autre camp. Le conférencier conclut en notant que le peuple n’a pas pris le parti de l’un des chefs de l’ALN-FLN. 




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