dhiab

Il était une fois la placette



….. quartier des artistes jadis.
par farouk Zahi

Discrète, elle est blottie dans la courbure intérieure d’un grand virage en fer à cheval. On la découvre à la fin de la première moitié du chemin Mohamed Zekkal, ex Fontaine bleue. Ce chemin part des Groupes laïques jusqu’au boulevard des Martyrs, en direction de Diar-EL-Mahçoul. Ce dernier groupe d’habitation, un des fleurons architecturaux de Fernand Pouillon(1953-1954), grégaire encore, réservait « Le Confort » à la communauté européenne et « le simple Confort » à la communauté musulmane. Il prenait la précaution de faire séparer les deux groupements de population par un large boulevard. La cité Mahieddine, était cette immense favela qui a cédé la place au complexe sportif Hassen Harcha. Sur les hauteurs de Belcourt en contrebas du boulevard des Martyrs (ex.Bru : maire de l’ancien Mustapha), enserrée par Dar-EL-Babor, le Panorama et la rue Zaâtcha la Placette, de forme semi circulaire, est un petit square jadis ombragé par des troènes. Il offrait aux personnes âgées, une pause sur ses bancs maçonnés. Un immense pin d’Alep trônait à l’entrée inférieure. Les enfants étaient amusés par ses cordons de chenilles processionnaires qu’ils taquinaient avec un bout de bois. Ils savaient que le contact de la peau avec la chenille pouvait « faire gratter ». La murette en béton armé ajouré, le ceinturait sur tout son périmètre. La placette avec ces trois accès, est à la fois un espace vert et un passage de piétons qui montent de / ou descendent vers l’Akiba ou le centre ville (qu’on appelait Dzair). L’accès central donne sur la rue de la paix. En pente raide cette ruelle tortueuse en courbe, aboutit près de Dar-El-Babor. Elle est reliée en son milieu au « Boulevard » par escalier qui fait aboutir au Panorama d’où la vue sur la baie d’Alger est imprenable. Tout au début de la rue de la paix, se trouvait un bidonville appartenant aux défunts Cheikh Delssi et Ammar Guernouti. Des familles venues de l’intérieur du pays, fuyant la guerre, s’y entassaient pour survivre.

A droite de la placette une falaise abrupte, abritait des petites villas coloniales tournées sur la rue Zaâtcha. Ce nom étrange, ne disait rien à l’époque. Ce n’est qu’à l’âge adulte qu’on apprenait, qu’il s’agissait de la tribu des Ziban, massacrée en novembre 1849 par l’armée d’Afrique sous les ordres du criminel de guerre Herbillion. Après l’abdication sanglante de l’oasis, la tête de Cheikh Bouziane fut honteusement exhibée à l’Exposition universelle de Paris. Le siècle des Lumières se nourrissait d’hécatombes génocidaires dans les colonies. En remontant ce chemin résidentiel, on aboutit au « Château cassé ». Il devait s’agir de la villa Mahieddine occupée par la section administrative urbaine (SAU), l’équivalent de la SAS à l’intérieur du pays. Ces structures militaires coloniales se substituèrent aux autorités civiles, pour les affaires des Indigènes. Il fallait à l’époque s’y présenter pour signaler tout nouveau venu ( famille ou visiteur). A gauche en remonte vers le Clos-Salembier (El Madania) par Dar-El-Babor. La jonction avec le « Boulevard » se fait au niveau du terminus de la T.A (Tramway Algérois) ancêtre de la RSTA. Les vitres des bus étaient grillagées ; on craignait les grenades lancées par « les fellagas ». Deux gardes territoriaux embarquaient avec les passagers pour la protection des Pieds noirs sur tous les trajets qu’ils empruntaient.
Les tramways et les trolleys bus étaient équipés de perches qui alimentaient le moteur électrique ; on ne parlait pas encore de pollution et du trou fait, à la couche d’ozone. Le terminus était creusé dans la falaise de tuf. Les trolleys tournaient dans le tunnel pour repartir sur la place du Gouvernement (Place des Martyrs) ou la Grand poste. L’endroit empestait l’odeur âcre de purin de cheval et pour cause, des champignonnières étaient creusées dans la falaise. De sous la placette, part une rue en pente, qui fait aboutir à la grande mosquée de la Médersa où officiait CheiKh Zoubir, à la rue Mustapha Pacha pour déboucher au Monoprix de Belcourt. On pouvait encore dévaler à Cervantès par la rue Cheikh El Kamel à hauteur de Dar-El-Babor.
En pleine guerre de libération nationale, à la fin de la bataille d’Alger, ce petit quartier avait ses déportés à « Tefeschoun », actuel Khemisti près de Bou-Ismail. Ammi Mohamed Zekkal était le premier martyr du quartier. Homme affable, d’une grande prestance avec sa chéchia « stamboul », il conduisait sa « traction-avant noire 15/6 »Citroen comme seuls, les taximen savaient le faire. Emprisonné par l’armée coloniale, il n’eut pas la joie d’assister à l’Indépendance nationale. Ahmed Roumani par contre, a été relâché quelques mois avant le cessez-le-feu ; il eut quand même le bonheur de revoir sa famille. Son neveu Mustapha âgé à peine de 4 ou 5 ans, mourait dans cette même rue de la paix, écrasé par une voiture qui revenait en arrière. Au moment de l’accident, assis sur une marche de maison, il chantait le tube châabi de l’époque, « Chehlat layani ». Khalti Fadhéla, (oui ! il s’agissait bien de Fadhéla Dziria), habitait à quelques mètre du lieu du drame. Dans son haïk « m’rama », le visage dévoilé et souriant, elle dévalait quasi quotidiennement la rue de la paix. Mahi et « Géant » enfourchant, chacun sa « Harley Davidson », offraient aux adolescents des moments de plaisir intense en faisant ronfler le moteur de leur « mustang ». Si pour le premier, la corpulence n’était pas en rapport avec l’engin, par contre celle de « Géant », était au dessus de la normale. Avec son Levi’s Strauss, son ceinturon et ses bottes de cuir, il rappelait étrangement Rock Hudson.

Les enfants du quartier fréquentaient tous l’école Vignard ou l’école Chazot au Champ de manœuvres ou le collège de Diar-Essaâda sur les hauteurs. Une partie de la placette, était le stade communal. Les passants empruntant les escaliers qui la traversent, faisaient souvent les frais de « ballon perdu ». Autour des années 1958/59, Guerrouabi émergeait sur la scène artistique. Habitant le quartier, il était la coqueluche des jeunes. Son élégance n’avait d’égale, que son charme auprès des filles, pieds-noirs comprises. Son costard grenat et sa coupe de cheveux en « coup de vent » typique, le singularisaient du reste des jeunes premiers de l’époque. Larbi Zekkal, de taille longiligne au teint très clair, rappelait les pères tranquilles des westerns : John wayne ou Grégory Peck. On trouvait que la comparaison n’était pas excessive, il débutait sa carrière de comédien …c’était tout naturel. Didi Krimo de Dar-Essbitar (La grande maison) de Mustapha Badi, habite toujours le quartier. Vif et superbement élégant, il ne parlait presque jamais, on ne le voyait que passer. Les jeunes Teenagers, s’essayaient au Rock n’roll en imitant en se trémoussant, Bill Haley, Little Richard, Eddy Cochran et Elvis. C’était dans l’air du temps. Près de l’ancienne fontaine publique, une murette qui surplombait une pissotière publique servait de « cercle » aux adolescents qui s’essayaient à la drague. Le « patte d’éléphant » avec dorure sur le côté et les chemises à fleurs d’Antoine, suscitaient la moquerie des adultes. La jeunesse dorée pied- noire, ne faisait que vite passer. Des jeunes gens et des jeunes filles en mini jupe « vichy », juchés sur des « Vespa » ou affalés dans des « Floride » décapotables, faisaient crisser les pneus de leurs engins. Ils narguaient les bougnoules avec l’image et le son. La musique à fond la caisse, les rugissements d’Eddy Mitchell ou autre Rivers, faisaient digression. Les pattes et les cheveux longs ouvraient durablement le débat. Az….et Mo…. étaient les rois du petit larcin. Aucune maison coloniale ne leur résistait. Ils choisissaient le moment des vacances, pour opérer leurs descentes. Le vieux « Tartara » faisait partie du décor ambiant. Tirant son engin à deux roues par son brancard, il vendait ses légumes à la criée. Son assistant l’aidait à pousser « le char ». C’est à posteriori que l’on mesure à sa juste valeur, l’effort physique que devaient consentir quotidiennement ces deux hommes, pour assurer leur subsistance. Rabah en trench-coat gris, sur son scooter « Lambretta » inspectait quotidiennement les lieux ; il était inspecteur de la voirie à la Ville d’Alger. Les Samai, faisaient dans le négoce des fruits et légumes, les Fertik et Khellaf étaient dans les viandes. Les Zekri et les Tounsi étaient quant à eux, lycéens ou étudiants. Les Benabed, les Kanoun, les Hamidi les Brakni et autres Zikara, hantaient tous les lieux. La télévision qui faisait ses premiers pas, diffusait un programme horaire de 4 à 5 heures à peine. On s’agglutinait, les jeudi et les lundi chez « Godzilla »qui avait le seul téléviseur du quartier, pour regarder des épisodes de « Ivanhoé » ou de « Cros blanc ». Un autre habitant du quartier, à l’allure de gentleman malgré son bleu de chauffe, conduisait un camion Simca des « Transports Lionel Massini ». Les camions livreurs de Hamoud Boualem, frappés de la publicité « Slim…le citron qui prime » faisaient partie du paysage. La laiterie « Betouche Frères » de Birkhadem livrait tôt ses bouteilles à gros goulot. Les caisses déposées devant les portes encore fermées des commerces, ne subissaient aucun dommage. Le salon du coiffeur, livrait des informations dites « Top-secret », on s’y informait sur le cours de ce qui était appelé les « Evénements d’Algérie ». Toute le pays vivait dans ce quartier, mais aucun ne posait de question à l’autre, sur son patelin d’origine. Chacun disait de sa ville ou de son village « leb’led ». C’était suffisant.

Le premier hammam des Lalmi, ouvrait ces portes ces années là. Le jardin y attenant allait vivre un drame social ; une mère de famille se donnait la mort, en s’immolant par le feu. Cette rue de la paix, si tranquille vivra encore d’autres moments tragiques. Le jeune Nabil, enfant âgé à peine de 3 ou 4 ans se faisait écrasé par un camion chargé de sable qui remontait la côte en marche arrière. Il mourait dans les bras de sa mère, au seuil de sa maison. Le dernier drame fut la mort accidentelle de Farouk, tué par son camarade. La balle du 6/35 que manipulait son compagnon, lui traversait le front. Ce jeune Kabyle venu des Béni Ourthilane, jouait admirablement au ballon. Cela se passait juste après l’Indépendance. Les armes à feu étaient encore à la portée du premier venu.
Ammi Didi, le laitier- boulanger était le gardien du temple. En bras de chemise été comme hiver, son tablier bleu sur le ventre, ses cheveux blancs coupés en brosse, rappelait Jean Gabin dans ses films populaires. Au bas des escaliers, il appelait à tue tête Aldjia ou Abderrahmane, ses enfants à l’étage. Quand tout le monde partait à l’école pour les uns et au travail pour les autres, lui, gardait la rue. Il perdait l’un de ses fils, cycliste amateur mort de tétanos. Ce jeune qui eut une petite blessure au genou, n’avait pas reçu les soins nécessaires pour prévenir cette infection mortelle. Le quartier avait ses dockers, les Ayat, ses camionneurs les Sabouni, ses maçons les Guernouti, son ferrailleur Ammi Abdelkader et son tôlier. Ce dernier à l’élégance dominicaine européenne, possédait une rutilante Simca P60. Un épicier tunisien vivait paisiblement de son commerce d’épicerie. Les kahouadji tenaient un café, qui ne résista pas à la récession économique de l’époque. Point de pâtisserie, ni de marchand de glace. On attendait le marchand ambulant pour prendre un créponé placé entre deux gaufres, sortant d’une archaïque machine à main ou celui de la barbe à papa. Les groupes se constituaient le samedi soir, pour une séance de cinéma. Les plages estivales, étaient les Sablettes pour les désargentés et Padovani (El Kettani) pour les nantis.

L’aïeul des Roumani et une autre personne à l’allure de cheikh Hamada, étaient parmi les seuls personnages à avoir gardé leur tenue traditionnelle régionale. Hadj Benaissa, ancien officier d’Indochine, venu se réfugier dans le quartier à sa sortie de prison pour délit politique, portait lui aussi, une tenue traditionnelle dans toute sa splendeur. Barika était ce personnage, qui avait toujours la paume de la main sur l’œil gauche qu’il faisait bouger dans un geste d’impatience, comme pour s’essuyer le visage. Il intriguait les enfants.
Youcef un des jeunes du quartier, se faisait heurter par une traction. Sa jambe droite brisée, était plâtrée à l’hôpital Mustapha. Les soins pour les Arabes, n’étaient pas des meilleurs. Après un mois de putréfaction, on conseillait de lui amputer la jambe. Sorti contre avis médical, il se faisait soigner par une vieille guérisseuse. Le traitement par les herbes médicinales, lui sauvait la jambe. La cicatrice inesthétique valait mieux pour lui, qu’une amputation. Adulte plus tard, il devenait élément de la Gendarmerie nationale. Le seul mécanicien du quartier, était pied noir. Il marquait sa différence en tirant son arme en décembre, lors de la grande manifestation. Il ruminait sa vengeance contre les Fida, qui lui avaient lancé une grenade, dans son garage. Un vieux couple pied-noir tranquille, tenait une fabrique de marmites et chaudrons en alliage d’aluminium et de fonte. Ils avaient quitté les lieux bien avant le cessez-le-feu.

Fanfan était ce jeune de bonne famille, qui perdait son unique sœur Nacéra. Elle recevait, par l’entrebâillement de leur porte, une balle en plein front, tirée par un ultra, à partir de sa voiture qui passait en trombe. La villa Sésuni de Bigeard et consorts n’était pas loin, les criminels de l’OAS leurs forfaits accomplis, s’y réfugiaient. Les enfants de décembre faisaient entendre leur voix. L’incendie du Monoprix, le saccage de « Bata » et de « André » à la rue de Lyon (Belouizdad) furent leur belle œuvre.
Les soldats du contingent voulant s’attirer les faveurs des enfants de la guerre, palabraient gentiment avec eux. Au moment où la vigilance se relâche, un jeune du quartier leur subtilise une Mat 49, posée négligemment sous la tourelle d’un char. Un journaliste de « France Soir » qui couvrait un jour, un autre événement de pacification, déclenchait sans s’y attendre une pluie de pierres lancées sur les militaires non loin de là. Les enfants lui démontraient, qu’on était toujours en guerre. Des rafles épisodiques se déroulaient à la placette. Les coups de filet ne faisaient pas le distinguo entre les adultes et les enfants, les hommes et les femmes. Une maman qui négociait la « libération » de son fils avec un troufion entendit son chef le rappeler à l’ordre par : « On ne parle pas aux brouettes…on les pousse ! ».
A l’Indépendance, le quartier vivait avec ses héros. Les Fida en civil, l’arme au ceinturon, régentaient les affaires courantes. Un an plus tard, on regardait pour la première fois, un film algérien. Il s’agissait de « Fous de musique » avec Fatiha, la speakrine et Mahieddine Bentir le rocker national. Les Alger’s faisaient oublier, les « Chats sauvages » et les « Chaussettes noires ». Le « oud » de Maati Bachir offrait de temps à autre des préludes musicaux en plein air. On n’était pas loin de la R.T.A, sur le boulevard au n° 21…Lalmi Mabrouk, du quartier lui aussi, devenait son premier directeur. On était heureux, parcequ’on était encore jeune probablement.










SALUT LES ANCIENS
ARAR DAHMANE - RETRAITE - BELOUIZDED, Algérie

16/08/2012 - 37990

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