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En milieu défavorisé, l’échec scolaire n’est pas un fait divers, mais un fait de société.


En milieu défavorisé, l’échec scolaire n’est pas un fait divers, mais un fait de société.
Montréal, Quartier Saint-Henri. Un élève de première année reçoit début novembre son bulletin. Échec généralisé. Il ne veut plus aller à l’école. Intervenant social, je rencontre sa mère. Elle lui a parlé plusieurs fois, en vain, et a décidé de l’amener manu militari à l’école. Pleurs, cris sur la rue. Après une dizaine de jours, il décide de s’y rendre seul. En classe, il fait ce qu’il peut, cherche à se faire oublier. Sa détresse n’est pas feinte. Ses notes sont très faibles. Son image de soi est durablement affectée.
Il n’est pas seul dans cette classe à avoir de tels résultats.
Quartier Hochelaga. Un adolescent de troisième secondaire, premier de classe, s’absente de plus en plus souvent. Il m’explique que durant les cours, les enseignants répètent trois fois, parfois plus, ce que lui comprend du premier coup. C’est ainsi pour lui depuis le début de sa scolarité : il passe son temps à attendre. Ses absences s’accumulent. Ses parents, inquiets, lui promirent mer et monde si je puis dire. En vain. Il se trouva un emploi.
Quartier centre-sud. Un élève de première année, à son premier bulletin, a obtenu 100 % dans toutes ses matières, mais ne vient à l’école que les jours d’examen. La mère et son fils me reçoivent avec amabilité. Leur logement se compose d’une pièce dans un vieil immeuble en bois de six chambres. Un lit double, un comptoir avec lavabo, rien d’autre.
Le milieu de vie de cet enfant et son absentéisme scolaire m’inquiètent. J’adresse un courrier au service de la protection de la jeunesse. Ils complétèrent l’évaluation et soumirent le tout au tribunal concerné. L’enfant est pris en charge par un centre d’accueil. La psychologue m’informa qu’au niveau affectif, cet enfant ne présentait aucun problème. Au niveau intellectuel, il était un enfant surdoué. Et plus encore. Une dizaine d’années plus tard sur Facebook, il plaisantait à propos de son emploi à temps plein dans une manufacture.
En milieu défavorisé, l’échec scolaire n’est pas un fait divers, mais un fait de société.
Explications
Pierre Bourdieu, sociologue, a mis en évidence le fait suivant : « en traitant tous les enseignés, aussi inégaux soient-ils en fait comme égaux en droits et en devoirs, le système scolaire est conduit en fait à donner sa sanction aux inégalités devant la culture. » Philippe Perrenoud, également sociologue, a montré que le curriculum imposé aux gens d’écoles prescrit deux normes. La première concerne l’âge de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture : 6 ans pour tous les élèves, qu’ils soient prêts ou non. La seconde est liée à la structure du curriculum. Chaque discipline est divisée en programmes annuels, de là une règle : que chaque élève progresse au même rythme d’apprentissage. Tous doivent apprendre à la même cadence et dans le même temps.
C’est l’indifférence aux différences entre les élèves et la violence pédagogique que l’on impose aux gens d’écoles, aux élèves et à leurs parents. C’est à vrai dire un cache-misère. Rien de moins.
Tous les signes sont là, de tous les malaises inexprimés, souvent inexprimables, qui touchent à l’idée que les parents et les élèves se font de leur identité et de leur dignité devant l’école.
Est-ce qu’on s’interroge vraiment sur les effets que produit cette structure de l’enseignement, sur les résultats scolaires, sur les élèves et sur les parents en milieu défavorisé ?
De plus, beaucoup d’élèves de milieu défavorisé ne disposent pas du capital culturel que l’école requiert pour réussir. Ainsi, depuis toujours, l’échec scolaire y est concentré, année après année, d’une façon tellement disproportionnée que c’en est révoltant et profondément injuste.
Devant les difficultés des élèves liées à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture dans une banlieue défavorisée près de Paris, le psychologue André Inizan a développé un matériel didactique qui s’appuie sur ses nombreuses recherches.
Première partie : des activités préalables qui développent en amont les savoirs et savoir-faire requis pour assurer un engagement gratifiant dans l’apprentissage de la lecture. Deuxième partie : l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
Chaque élève est engagé dans ces apprentissages lorsqu’il est prêt (à son heure) et il progresse à son rythme avec succès. La qualité de ce matériel didactique a été soulignée dans des publications spécialisées. Tous les élèves réussissent.
Les déterminants scolaires qui conduisent à l’échec et à l’exclusion sont bien connus. Et ces déterminants mènent de facto les élèves aux renoncements à leur légitime aspiration, à leur réussite sociale et à leur propre accomplissement.
Les sanctions scolaires qui rendent des scolarités si douloureuses ne sont pas imputables aux élèves et à leurs familles, mais à l’école. On ne peut l’ignorer comme on ne peut continuer ainsi.
J’en appelle à une nouvelle politique scolaire réellement démocratique qui doit donner à l’école en milieu défavorisé l’élan et les moyens nécessaires afin de répondre aux espérances, certes diffuses mais bien réelles et légitimes, des élèves et de leurs parents, trop souvent peu considérés et exclus des débats.
Devant l’école en milieu défavorisé, le monde politique, depuis de nombreuses années, s’est refermé sur soi, ses problèmes, ses rivalités et enjeux. Or, la misère scolaire existe toujours.



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