Ain Témouchent

Revue algérienne des lettres Relire le monument Rachid Boudjedra



Revue algérienne des lettres Relire le monument Rachid Boudjedra
Publié le 13.04.2024 dans le Quotidien l’Expression

L’université de Aïn Temouchent vient de consacrer tout un numéro spécial au monument de la littérature algérienne Rachid Boudjedra.
Il s'agit d'un dossier spécial de la Revue Algérienne des Lettres, consacré à l'auteur du roman culte «La répudiation». La revue en question, est pour rappel, semestrielle éditée par l'université de Aïn Temouchent depuis 2017. La revue propose des analyses et des études réalisées par des universitaires chevronnés et maîtrisant parfaitement l'oeuvre littéraire de Rachid Boudjedra. Ismail Slimani, coordonnateur de ladite revue, de haute facture, rappelle que c'est à vingt-quatre ans, que Rachid Boudjedra fait paraître un recueil de poésie intitulé «Pour ne plus rêver», titre d'un pessimisme extrême pour un jeune à la fleur de l'âge, vivant dans un pays qui venait d'arracher son indépendance du joug colonial après une révolution armée de sept longues années: «révolution à laquelle ce jeune participa d'ailleurs dès ses 17 ans avant d'être blessé et évacué en Espagne d'où il assura d'autres missions». Pourtant, ajoute le même chercheur, la même année, ce jeune encore inconnu, nommé Rachid Boudjedra, venait de décrocher une agrégation de philosophie. «Ne plus rêver», comme devise d'un projet philosophico-littéraire encore à l'état embryonnaire, serait donc une ligne de conduite: celle d'appréhender le réel sans aucun prisme déformant, sans aucun écran dissimulateur et sans aucune démagogie. «C'est ce qui expliquerait peut-être le sujet du mémoire de recherche du jeune Boudjedra qui abordait Praxis et catharsis chez Céline et son Voyage au bout de la nuit», explique Slimani. Ce dernier rappelle qu'il s'agit d'un travail qui lui valut un DES de la Sorbonne en 1967, et qui lui permit d'entamer alors une carrière d'enseignant de philosophie et de mathématiques dans différents lycées et dans d'autres institutions, en Algérie et ailleurs, avant de se consacrer pleinement à l'écriture.

Une carrière exceptionnelle

C'est en 1969 que Rachid Boudjedra fit paraître «La Répudiation», un roman iconoclaste qui lui valut le «Prix des enfants terribles» en 1970. «Terrible, dans le sens d'élément turbulent qui se détache de son groupe d'appartenance, Boudjedra le restera jusqu'à ce jour après une carrière aux facettes multiples de plus de cinquante années». Le coordonnateur de la même revue rappelle que Boudjedra est à la fois romancier, scénariste, poète, dramaturge, essayiste, critique d'art, chroniqueur, pamphlétaire, avant-gardiste, conseiller au ministère de la Culture et des Arts, activiste à l’Union des écrivains algériens, etc. Une carrière tellement exceptionnelle qu'elle fit réagir l'universitaire Afifa Bererhi: «Par quel bout tenir ce fou passionné des arts, amoureux de la chair des mots, de leur levure, de leur pulpe jusqu'à la souffrance jubilatoire? Son oeuvre si prolifique soit-elle, serait-elle un seul et même livre nomade qui chemine sur les parterres de la poésie, les terres de la fiction, les territoires de la philosophie, dans les tranchées de l'histoire, les sables de la mémoire, les profondeurs de l'inconscient?». Le numéro spécial qui sort au moment où Rachid Boudjedra observe une éclipse de plus de cinq années, se propose, selon ses initiateurs et concepteurs, de lancer une réflexion sur de nouvelles clés pour le lire ou le relire. Par lire Boudjedra, Les co-auteurs de la revue entendent aborder son oeuvre dans toute sa diversité générique et artistique; ce qui permettrait de nouvelles possibilités, de nouvelles perspectives. Ce même corpus englobant sa fresque romanesque avec une attention particulière à accorder aux publications des années 2000 assez peu étudiées d'ailleurs.

Un rapport particulier aux mots et aux langues

À cela s'ajouterait ses pamphlets, ses treize scénarii, ses essais comme «La vie quotidienne en Algérie» (1971) ou «Peindre l'Orient» (1996), ses chroniques dont certaines ont été réunies dans un recueil: «Chroniques d'un monde introuvable» (2018), sa poésie, son unique pièce de théâtre (Mines de rien, 1995). Les rédacteurs expliquent qu'ils incluent de surcroît, la possibilité de relire Boudjedra sous de nouveaux éclairages que pourraient engendrer de nouvelles approches dotées de nouveaux concepts opératoires. «L'image et l'espace tiennent une place particulière dans certains romans comme ‘'La Macération'' (1984) et ‘'Timimoun'' (1995); les arts se côtoient et s'interpénètrent dans le dernier roman en date'' La dépossession ‘'(2017). Par ailleurs, l'analyse des dessins de Mohamed Khadda dans le recueil ‘Pour ne plus rêver'' (1965), de Georges Wolinsky dans ‘'L'escargot entêté'' (1977) ou celles de Rachid Koraichi de ‘'Cinq fragments du désert'' (2001) est sans doute pertinente», explique-t-on encore. De ««Pour ne plus rêver» (1965) jusqu'à «La Dépossession» (2017), l'oeuvre de Rachid Boudjedra peut être considérée comme un ensemble textuel porté par une scénographie pamphlétaire à analyser en termes de procédés et de constantes, apprend-on. Il est en outre précisé, dans l'introduction de la revue, que l'oeuvre de Boudjedra pourrait être le matériau d'un modèle littéraire d'exploration psychobiographique, voire sociocritique qui trouve son reflet dans la création de son propre mythe littéraire: «l'écriture de Boudjedra, à travers une série de métaphores obsédantes ne serait-elle pas une manière de mettre à nu les tares de son univers personnel afin de se libérer et, du même mouvement, libérer la conscience historique et rompre avec l'imaginaire populaire? Être ouvert par le dynamisme d'un texte hallucinant dans un espace clos, ne serait-il qu'une stratégie narrative exprimant une réalité sociale?». Il est également rappelé que l'oeuvre de Boudjedra se caractérise par un travail particulier sur la forme du texte ainsi que sur sa structure. «Boudjedra a le don d'évoquer certains problèmes de la société, qui sont d'une platitude extrême, d'une manière quasi-poétique et ce, en usant du français essentiellement mais également de l'arabe avec une aisance déconcertante jusqu'à pratiquer l'auto-traduction. Ce rapport aux mots et aux langues est particulier chez Boudjedra; il mérite d'être étudié plus en profondeur», relève-t-on en outre dans la même publication universitaire. Lire cette revue permettra au lecteur d'assouvir sa curiosité notamment concernant les influences littéraires de Boudjedra, à commencer par « Nedjma» de Kateb Yacine. Ce roman est une sorte de référence suprême pour Boudjedra. Mais il y en a d'autres bien sûr: Marcel Proust, Claude Simon, William Faulkner, John Roderigo Dos Passos, James Joyce. «Influences qui, de par sa culture francophone mais aussi et surtout arabo-berbérophone (lui l'enfant des Aurès bercé par la culture orale et lui l'adolescent scolarisé au lycée Sadikia à Tunis avec des enseignements bilingues), s'étendent aux écrits de la culture savante et même populaire arabe avec en particulier « Les Prolégomènes» d'Ibn Khaldoun et «Les Mille et Une nuits». Son oeuvre regorge de ces influences qu'il serait judicieux de mettre en lumière», souligne-t-on avant de conclure que, lire ou relire l'auteur de «La Dépossession» est une aventure d'écriture académique car il est un des auteurs majeurs de la littérature algérienne: ce numéro spécial aspirerait à une relecture de l'oeuvre de Boudjedra, oeuvre qui pourrait encore s'enrichir d'une autre publication dès la rentrée littéraire prochaine.

Aomar MOHELLEBI



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