Tlemcen - Ephraïm Aln'Kaoua

Tlemcen Ville Sainte Le pèlerinage du Rab



Tlemcen Ville Sainte Le pèlerinage du Rab
Au milieu de splendides jardins embaumés s'élève l'antique Pomaria des Romains.
Le voyageur est séduit par ce pittoresque décor. Des minarets se dressent sous un ciel
bleu, semblables à de gigantesques gardiens au milieu d'une agglomération de maisons
blanches qu'éclairent les rayons dorés du soleil.
On peut dire de Tlemcen, que seule parmi les villes d'Algérie, elle conserve encore, à
travers les âges, les mœurs et les coutumes de ses anciens habitants. Aussi, est-elle
souvent visitée par les touristes curieux.
Par la réunion de ses avantages, Tlemcen est une cité dont la vue fascine l'esprit et la
beauté séduit le cœur… Telle est la pensée du poète arabe.
Les habitants, par leur costume bizarre, aux couleurs voyantes, ajoutent à ce tableau
un charme particulier.
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Chaussée de fines mules, drapée dans son haïk blanc et laissant apercevoir un cil
démesurément agrandi par le kehol, la femme arabe semble un fantôme et ajoute une
note mystérieuse à cette foule multicolore.
Les juives, moins avares de leur beauté, laissent tomber négligemment un châle rouge
écarlate (1) qui donne un je ne sais quoi de captivant à leur long visage émacié, et
quelques-unes rappellent les belles juives de Bethléem antique.
D'une démarche nonchalante, la jeune juive fait résonner des kebkab.
(1) Aujourd'hui la plupart des jeunes femmes Israélites ont abandonné ce costume
pittoresque pour suivre les modes françaises.
Tlemcen, ville sainte !... dernier foyer des vieilles traditions, sommeille encerclée dans
ses murailles. Elle reste pour les pieux musulmans la ville des Saints et pour les
Israélites une nouvelle Jérusalem.
Au-dessus de ces vestiges du passé, la voix stridente du Muezzin se déroule en ondes
sonores et appelle encore et toujours comme autrefois les fidèles à la prière.
Et là-bas, à l'Occident, Mansourah érige sa vieille tour ébréchée, rappelant d'héroïques
souvenirs et de terribles invasions.
Le Grand Rab Ephraïm Encaoua
On peut dire que la communauté de Tlemcen et la plus ancienne de l'Afrique du
Nord. Nous savons déjà qu'elle existait avant 1392, sous le règne de Béni Zvan. Il est
probable qu'après la destruction du second temple de Jérusalem, les Israélites vinrent
s'établir à Pomaria, l'ancienne cité romaine.
Au début, ils durent habiter Agadir (village-arabe aujourd'hui en dehors de Tlemcen).
En 1393, il leur fut permis de s'établir en ville, dans un quartier spécial (appelé
quartier juif), où ils élevèrent une synagogue, grâce à l'heureuse intervention du Rab.
Rabbi Ephraïm Encaoua, fils de Rabbi Israël Hakkadousch (le saint, le sacré), fut un
de ces nombreux savants juifs qui, persécutés en Espagne, vinrent chercher un refuge
en Afrique en 1391, en l'an 5151 du monde, année de la grande émeute en Espagne.
Après avoir traversé la mer, il gagna le Maroc où il séjourna à Merrakesch, puis se
dirigea à Onaïn et enfin entra à Tlemcen, monté, dit la légende, sur un lion ayant un
énorme serpent en guise de licou. En arrivant, il s'arrêta aux portes de la ville, à
l'endroit où se trouve aujourd'hui la grotte appelée «Source du Rab». Frappés de
stupeur par ce spectacle surnaturel d'un homme conduisant un lion avec un serpent
vivant, les indigènes et le Sultan même respectèrent le nouveau venu, lui donnant
droit de séjour.
Rabbi Ephraïm s'installa alors dans une ruine de la rue qui reçut plus tard son nom,
rue du Rab, et se remit à ses éludes talmudiques interrompues par sa fuite de Castille.
Il exerça en même temps la médecine dans le voisinage et obtint plusieurs cures
merveilleuses, au cours desquelles il donna une preuve éclatante de son talent
médical.
Le sultan Abou-Tachalin avait une fille (1) unique qui tomba gravement malade au
moment de l'arrivée du Rab. Tous les médecins de la ville et du Meghreb furent
impuissants à guérir celte jeune fille. C'est alors que le Sultan, sur les conseils de ses
amis, eut recours à la science du Rab qu'on considérait déjà comme un envoyé de
Dieu.
Le Roi fit venir dans son palais Rabbi Ephraïm qui prescrivit un remède très simple
qui sauva la jeune fille. Le désespoir du Roi fit alors place à la plus grande joie et il
manda le Grand Rab. Auquel il dit, après l'avoir embrassé : «Messager divin, quelle
récompense doit donner un père à celui qui a sauvé sa fille ?» Grand Roi, lui répondit
le rabbin, si ton serviteur a pu trouver un remède qui a dérobé à la mort ta fille bien
aimée, c'est que son Dieu l'a inspiré. Aussi, pour toute récompense son serviteur ne te
demandera autre chose que la permission de faire venir à Tlemcen les Israélites
établis à Agadir et en d'autres lieux, pour pouvoir ensemble adorer librement notre
Dieu qui est aussi le tien, dans une modeste Maison de Prière, que nous construirons
à nos frais, mais avec ton autorisation. Le Roi acquiesça au désir du Rab, lui faisant,
en outre, de nombreux cadeaux.
C'est alors que Rabbi Ephraïm fit venir peu à peu ses coreligionnaires établis hors de
Tlemcen, auxquels se joignirent les nombreux réfugiés espagnols ainsi que les juifs
marocains. Tous ensemble construisirent une petite synagogue à l'endroit même où
fut plus tard édifiée la grande synagogue du Rab. La communauté de Tlemcen était
désormais fondée, et Rabbi Aïn Caoua en fut le rabbin et le chef, fonctions qu'il
conserva jusqu'à sa mort en 1445, sous le règne d'Abou Malek Oualed.
(1) Cette princesse serait enterrée à Sidi-Yacoub, a l'endroit appelé tombeau de la Sultane
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A l'entrée de la grande synagogue, dite du Rab, restaurée et agrandie en 1875 et 1890,
se trouve un
Petit monument d'une forme spéciale, peint et ciselé. Une lampe, dont l'huile est
gracieusement offerte par les fidèles, y brûle toute l'année.
Pendant les offices du samedi on récite une prière pour le repos de l'âme de l'éminent
rabbin. Les jours de fête et tous les ans, le soir du « Rosch Hodesch kislew», on
célèbre la Hiboula du Rab.
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Le Rab laissa deux fils qui suivirent fidèlement les traces de leur vénérable père.
Israël, l'aîné, pour qui il écrivit la « Porte de la Splendeur », et Youda qui fut rabbin
distingué et le chef de la communauté. Il habita Oran, Mostaganem et Tlemcen.
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C'est un mois après la Pâque, c'est-à-dire le 33e
jour de l'Omer, que les Israélites de
l'Afrique du Nord se rendent en foule à Tlemcen pour accomplir un pèlerinage au
Grand Rab.
Une route bordée d'arbres touffus qui tamisent la lumière du soleil, conduit le pèlerin
devant la Sainte Sépulture. Un simple portail en fer forgé en défend l'entrée. Puis on
s'engage dans une longue allée formée de roseaux, de vigne vierge et de clématites.
A l'extrémité, dans une excavation circulaire, on découvre une énorme pierre blanchie
à la chaux. C'est là que reposent depuis plus de quatre siècles, les restes du Grand
Rab. Combien de générations sont venues se prosterner devant cette pierre qui,
longtemps encore, conservera son puissant prestige !
De l'épitaphe, il ne reste que des caractères indéchiffrables.
Voici, néanmoins, le résumé d'une vieille traduction :
Ici repose le Grand Rabbin Ephraïm Aïn Caoua qui fut notre orgueil, notre appui et
la gloire d'Israël. Que le Grand faiseur de miracles nous protège ! Qu'il nous envoie le
Messie!...
Enseveli le 1
er Kislew de l'an 5202.
Un feuillage touffu forme une mystérieuse charmille autour du tombeau, et le parfum
des fleurs grise le fervent recueilli et absorbé dans sa méditation. Trente-deux pierres
posées ça et là, indiquent les trente-deux descendants de la famille du grand Rabbin.
Au milieu de ce religieux recueillement que troublent seules la mélodie des oiseaux et
la prière des rabbins, le pèlerin qu'un bain a purifié la veille, quitte ses chaussures,
descend lentement vers le tombeau, se prosterne et formule son vœu. Après avoir bu
de l'eau de la source sanctifiée par la terre où repose le Saint, le pénitent remonte à
reculons et dirige ses regards vers la pieuse sépulture, semblant jeter une dernière
supplication à celui qui vient de recueillir son acte de contrition. Désormais, purifié, il
est reçu par les siens qui lui prodiguent à cette occasion des marques de profonde
vénération et l'embrassent en lui disant : «Que ton vœu soit exaucé !»
Et, comme à Jérusalem, devant le vieux mur du Temple détruit, les juifs prient
ardemment et nourrissent le secret espoir de voir l'arrivée prochaine du Messie qui
les réunira dans une nouvelle terre promise.
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Près de la pépinière se trouve une source dont la renommée s'étend au loin, par la
limpidité et la constante fraîcheur de son eau. La légende veut que Rabbi Ephraïm,
arrivé de voyage, la veille du Sabbat, altéré par une chaleur suffocante, et, ne
trouvant nulle part de l'eau pour étancher sa soif, touchât de sa main droite un roc,
comme Moïse frappa de son bâton le rocher du désert, et qu'une source en jaillit
aussitôt. Elle n'a cessé de couler depuis, et les Israélites de Tlemcen lui attribuent un
grand nombre de vertus.
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Dans les jardins qui avoisinent la sainte nécropole, les visiteurs, par groupes, se
rendent sous l'ombre des arbres et se livrent à de copieuses libations, tandis que les
accords de la musique indigène ajoutent une note originale à ce décor captivant et
bercent l'âme dans une douce volupté. Les fêtes se prolongent pendant la nuit.
Des lanternes vénitiennes semées ça et là éclairent les visages réguliers des femmes et
des jeunes filles et rendent plus chatoyant l'éclat de leurs riches vêlements.
Et parmi le luxe des toilettes modernes, les chapeaux immenses de la plupart des
jeunes filles tout un étrange contraste avec la toilette originale des juives qui, fidèles
aux vieilles traditions, conservent encore leur ancien costume. Leur visage gracieux
sous un foulard frangé d'or donne plus d'éclat à leur teint mat et s'harmonise
agréablement avec le mystérieux châle qui cache leur ample éden (robe) broché,
légèrement serré à la taille.
Pendant la durée des fêtes, Tlemcen revêt un caractère particulier et prend une
animation inaccoutumée : la foule circule, s'installe dans les calés où la musique ne
cesse de jouer.
Et c'est à regret que les pèlerins quittent Tlemcen, emportant de ces fêtes le
réconfort de leur foi sincère.



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