Suite et fin
Plus qu'un chef d'orchestre, Cheïkh Ahmed
Mellouk était en fait l'homme orchestre qui portait plusieurs casquettes,
alliait divers titres: chanteur (moutrib), «lombardiste» (zernadji),
parolier(cha'ir), compositeur (moulahine), luthier (facteur d'instruments de
musique), muezzin (mouadhine)… Il fera des émules au sein même de sa famille à
travers ses fils Nasreddine (mandoliniste), Talib (idem), Abderrahim
(violoniste), Abdelouahab (banjoïste), Sid Ahmed (claviste) qu'il sollicitait
par ailleurs pour la zorna ainsi que ses deux frères Mohamed (nayati) et Habib
(luthiste) outre son petit-fils Imad (percussionniste)… A l'hôpital Dr Tidjani
Damerdji où il était soigné des blessures suite à l'attentat de Bab Zir (1997),
il recevra la visite de la ministre de la solidarité de l'époque Mme Rabi'a Merchernène
(Kerzabi) qui le réconfortera par ces paroles: «Tu sortiras bientôt ya Cheïkh
et tu reprendras comme à l'accoutumée ta ghaïta». Son vÅ“u sera exaucé puisque
la victime reprit ses prestations avant de retomber malade, selon le témoignage
de son fils Nasreddine.
Citons dans ce sillage quelques noms
d'anciens zernadjia: Nay Nay (ancien claironsiste, lors de la 2è GM),
Bentriqui, Brixi, Bouras, Boudghène, Sid Ahmed La'ma, Khouane, Bekhti, Sid
Ahmed (Bouchaour) dit San'i, Mellouk, El Oujdi… qui feront des émules tels les
Maârouf, Lemrini, Bensahla, Belkacem, Fouzi, Moussa, Sari, Mustapha (dit le
saxophoniste), Abdelghani, Guerni, Brixi(dit El Ghoul), Krabchi,Achour…
L'interprète
de «Ya tlemcen el djawhara» fit ses premières armes au «cercle des Amis algériens»
situé à El Mawqaf où il côtoyait dans les années 50, Ammi Bendimered (poète),
Dahaoui, Abderrahmane Mamoun (avec sa troupe El Hilal), Abdelkrim Dali, et
d'autres musiciens. Nonobstant, il est considéré comme un musicien autodidacte,
estime-t-on.
En matière de répertoire, il puisait ses
«chghal» auprès de Si Mohamed, le fils de Cheïkh Larbi Bensari. Par ailleurs,
il avait un penchant pour la musique orientale chantée à l'époque par les
Mohamed Abdelouahab, Leïla Mourad, Farid El Atrache dont il exploita même une
mélodie comme «f'titahia»( prélude musical) pour son orchestre. A noter que
parallèlement à Cheïkh Mellouk, évoluaient sur la scène musicale locale,
d'autres chouyoukh populaires comme Benzerga, Mamoun, Sellem, Abdelkader,
Moulay el Hbib, Mustapha el Moghrabi, Hamid Texas «Tapez les mains», El
Hbouchi, Benazza, Lemrini, Larbi El Ouazani, Abdesslem, Fefhikhri, Ghaffour,
Nekkache sans oublier Cheïkh Bouchenak, Si Brahim et Djilali d'Oujda ainsi que
Maâti Belkacem de Casablanca qui étaient souvent invités à Tlemcen pour animer
des soirées de mariage. Sur ce registre, même Dali, Driassa, Guerrouabi et
Fergani furent les hôtes de familles tlemceniennes. Par ailleurs, plusieurs
artistes marocains se sont produits dans les années 70 à Tlemcen (au cinéma Lux
et au stade des trois frères Zerga). Il s'agit de Abdelouahab Doukkali,
Abdelhadi Belkhayat, Mohamed el Hayani, Hadja el Hamdaouiya, Nass el Ghiwane…
C'était Saïm el Hadj de l'ex-RTA d'Oran (le prédécesseur de Bentorki) qui les
accompagnait dans leur tournée artistique et touristique…
Il
convient de noter dans ce contexte que le regretté Mourad Hamidou, musicologue,
un véritable samaritain de l'art, avait créé à l'époque (1972) une troupe
artistique qu'il baptisa «Adeb oua alhane» qui comptait une vingtaine
d'éléments. En fait, un grand orchestre professionnel de variétés, version
«tarab el acil» ou les «mouwachahet et le charqi occupaient une place de choix
lors des différentes prestations mécènes (au cinéma Colisée, à la radio locale,
à la télévision) où, en plus de la musique, le public était gratifié de
sketchs…En sa qualité de chef d'orchestre, Mourad jouait tantôt de la cithare,
tantôt du violon (son fils Réda excelle lui aussi dans le psaltérion ou
qanoun)… Un gala de solidarité avec les victimes du séisme d'El Asnam fut
organisé sur une place publique de la ville sinistrée (en voie de
reconstruction à l'époque)…
La scène andalouse s'illustrait, elle, dans
les années 70 par quatre associations musicales, à savoir «Gharnata»(Djelloul
Benkalfat), la «SLAM» (Bensalem Benkalfat), «Riad el Andalous» (Ahmed Malti) et
Mustapha Belkhodja du lycée Dr Benzerdjeb (Abdallah Bouali) ainsi que
l'orchestre relevant de l'animation scolaire (Abdelkader Bekkaï).
Dans le domaine de la percussion (tar et/ou
derbouka), des noms «résonnent» encore à l'oreille des mélomanes, tels Malti
(qalbi ma yahmel «taq taq»), Zine el Abidine, Tabet, Hadjadj, Kouka, Bendahou,
Hamsi, Miloud, Benazza, Abdeslem, Moulay, Bensahla, Mezouar, Benmansour, Boukli
(Salih), Brixi, Belkhoudja, Kahouadji, Mansour, Zerhouni, Moughlem, Redouane,
Bekkaï (Hakim)… Ziane et Benazza (Yahia), tous deux nayatis (flûtistes) étaient
spécialistes du bendir… Dans ce sillage, d'autres orchestres de variétés virent
le jour dans les années 80 qui ont pour noms (chefs), Hamsi, Mansour, Khouani,
Berrahma, Boukli (Fouad), Benosman, Benguerfi, Benzemra, Zerhouni, Berrouiguet,
Mellouk (Talib), Azzaoui, Merioua, Chikh, Belkaïd, Koufi, Benghabrit, Hadjadj
(à Sidi Bel-Abbès)…ainsi que les frères Baba Ahmed (Rachid et Fethi), Anouar,
le groupe Nass Aïssaoua des Ouled El Medjdoub (Abdelghani et Abdessamad). Sans
oublier les Barkat, Hadj Kacem, Boughazi et Taleb…
L'orchestre était payé au cachet (de 1.000 à 1.500 DA) ou via la
recette de la «ghrama» (dons en billets) qui ponctuait ou plutôt entrecoupait la
soirée musicale. Le service sono était assuré par les Hamsi (Musée), El Hassar
(dar daw) et Bouguima (Sidi Brahim). La location des chaises (métalliques
pliantes) se faisait à Bab el Hdid auprès de Krimo contre une caution…
Les préludes s'inspiraient de la musique
marocaine comme «Raqsat el Atlas» (Abdelkader Rachdi), «Mosiqat essed», «Ferhat
echâab» (Ahmed Sedji'i). Quant au répertoire, il était illustré par les
chansons d'Abdelouahab Doukkali (kata'djbni) Abdelhadi Belkhayat (sannara),
Mohamed el Hayyani (bared wa skhoune), Fethallah el Mghari (kass el ballar),
Brahim el Alami (ya li sourtak ), Bahidja Idriss (el ma yadjri qoudami), Hadja
el Hamdaouiya (mnine ana mnine), Ismaïl Ahmed (sawalt alik el oud), Abdelhamid
Zahir (ach daq tamchi lezzine), Samira Saïd (djrit ou djarit), (Ourad
Boumédiène (rani mhayer), Driassa (warda bida), Abdelhalim Hafed (djana el
hawa), Mohamed Adelouahab (mane yachari el ward)…Outre les chansons de Ahmed
Wahbi et le répertoire hawzi , aroubi, melhoune… L'orchestre était annoncé par
le vocable moderne «djawq» ou plus vieux «el haliyine » (en référence aux
chants religieux interprétés durant la nuit éclairée par le «halo» de la lune).
Le jargon professionnel des musiciens se caractérisait par une antinomie dès
lors que certains disaient, à l'occasion d'une soirée musicale: «on va
travailler dans un mariage» (hna machyine nakhadmou ors), d'autres: «on va
jouer dans un mariage»(hna machyine na' labou fi ors)… Il faut savoir que
l'orchestre était astreint à une discipline: répétition, ponctualité, tenue
présentable, modération à table, discrétion sur scène. Néanmoins, et pour ce
qui est toujours des conditions de travail, il n'est pas rare que des incidents
ou défaillances émaillent ce genre de soirée comme la défection d'un élément de
l'orchestre pour cause de «détournement» ou de retard, le problème de cachet
(solvabilité de l'organisateur), le partage de la somme (différence entre les
instrumentistes), la rupture des cordes musicales, la question de la prise en
charge (transport et restauration), la location de la sono, les aléas
techniques de la sono, l'extinction de la voix, la précarité de la scène en
plein air (échafaudage, caprices de la météo), l'intervention de la police
(nuisance sonore), la conduite «immorale» d'un membre de l'orchestre (regard
indiscret vers les convives femmes), les inconvénients de la «ghrama»
(parasitage du répertoire par le berrah, commande «inopportune» d'une chanson),
l'intrusion de trouble-fête (en état d'ébriété), l'omission de noms de famille
lors de l'exécution du «chghel» (narcissique) de clôture «Tab'qaw ala khir»… A
ce propos, une anecdote a été racontée par Cheïkh Mellouk lui-même. La plupart
des soirées de mariage se déroulaient dans les «hwaz», notamment à Aïn el Hout
et Ouzidane. «Une fois, on nous a abandonnés à la fin de la soirée, il fallait
se taper le chemin du retour à pied (7 km, n.d.l.r).
De forte corpulence, Si Mohamed ould Cheïkh
Larbi Bensari exigera même un âne pour le voyage. Comme compensation, on s'est
gavé de figues fraîches pulpeuses, gorgées de miel qui s'offraient dans les
champs. Si Mohamed nous «accompagnera» même avec son rebab dans ce festin
matinal… Arrivés du côté de Quebassa, nous tombâmes sur un barrage militaire
français. Si Mohamed avait dans un sac une quantité de «rommane» que les Hwata
lui avaient offerts. Qu'est-ce que vous avez dans ce sac ? lui
demanda le soldat. Des grenades, lui répondit le plus naturellement du monde le
vieux musicien. Et cet objet, c'est quoi, l'interrogea-t-il en montrant le
rebeb. C'est un Matt musical, le renseigna l'«indigène» avec humour… Lors de la
soirée, il arrivait que le Cheïkh accorde une «dérogation» à un chanteur
amateur ou en herbe pour se produire sur scène… A l'exemple de Hamsi (Brahim el
Alami), Bekhti (Farid el Attrache), Kaïd Slimane ( Mohamed el Hayyani),
Mustapha le saxophoniste (Fethallah el Mghari), Sfirioui (chaâbi), Douidi
(muwachahat)…
L'inénarrable boutentrain Baba Ould Fréha
assistait invariablement aux soirées musicales où ses «mawawil» charqia et ses
«olé» andalous (flamenco) étaient très prisés pour la circonstance… Le berrah,
version ghrama, le plus connu sur la place publique était le regretté Sid Ahmed
Koudjati, un garçon de café qui roula sa bosse chez les Tizaoui, Tchouar,
Bensalem. Lors de la soirée, il cumulait deux tâches, arborant gilet noir et
papillon au cou: servir le café (ou le thé) pour les invités et lancer ses
rituelles «tabrihate» dont lui seul en avait le secret. Il faut savoir que ce
service protocolaire spécial était confié dans la région du Cham (Orient) au
coiffeur qu'on affublait du titre de «chalabi» qui veut dire jovial ou affable
en turc.
Son fils Noureddine, vitrier de son état,
nous évoquera avec une note de nostalgie et non sans émotion les envolées
poétiques que son défunt père dédiait à cette occasion: «F'khatar el kass wa'l
warda/ sbitar wa'l marda/F'khater l'essence wa'l briqui/snitra wa yedd'ha/el
machina wa sbika/lima t'zeghret/lah ya ti'a chrika/F'khater n'djara wa'l
khsara/amm'a li abi ya'bi bnet n'sara/a'mma bnet el arab fihoum el
khsara/F'khater el ourit wa djbalou/wa ricard wa'hbalou/a'mma el birra ma' dir
walou…». Citons d'autres noms de berrah: Belkaïd de la cité des jardins (Riat
el Hammar) , Chtaïba d'Ouzidane… Il faut savoir que Cheïkh Mellouk avait son berrah
personnel en la personne de Guermouche de Sidi Saïd (qui bénéficiait d'un
cachet estimé à 30 DA) tout comme Cheïkh Ghaffour qui avait à son service
Ghomari Lâa zar de Nedroma… A l'occasion du mois de ramadhan, Cheïkh Ahmed
Mellouk animait dans les années 70 et 80 des soirées musicales au café Hadj
Allal dit café Mekkaoui à la rue basse (Medress) et au café Lagha de Souk el
Ghzel… A l'instar de Cheïkh Brixi chez Kazi (café Marhaba) à Tafrata, Benzerga
à l'hôtel Moghreb, Nekkache au café l'Espérance…
Les Hadjadj, Benazza, Moulay, Khaled,
Benmoussa, ,Ghouti, Abdellah, Adad, Hamsi, Abdeslem, Mansour, Merioua, Chikh,
Azzaoui, Jalouk, Berrahma, Korti, Hbouchi, Lemrini, Guerni, Moussaoui, Djalti,
Sfirioui, Tabet, Bendimered, Belaïd, Ramdani, Bekkaï, Belkaïd, Bekhti, Douidi,
Allal, Benosman, Khouani, Benzemra, Berrouiguet, Boughazi, Taleb… n'oublieront
jamais l'interprète de «Ya tlemcen el djawhara», Cheïkh Ahmed Mellouk.
Sur
le registre bibliographique, il faut mentionner que Cheïkh Ahmed Mellouk semble
malheureusement méconnu parmi les artistes.
Cheïkh Mellouk ? Connais pas! Pour preuve, le dictionnaire
biographique «Mémoire !? algérienne» (de Achour Cheurfi), «Les grandes figures
de la musique algérienne» de Abdelkader Bendamèche, «Voyage au cÅ“ur de la
musique andalouse» de Hadri Boughrara, «Tlemcen‚ cité des grands maîtres de la
musique arabo-andalouse» de Benali El Hassar, entre autres, ne le citent pas...
Cette triste omission ne peut rimer à nos yeux qu'avec mépris pour
cet icône de la musique à la fois populaire et classique, sinon elle traduit
une carence intellectuelle et esthétique dans le domaine de l'art, en
l'occurrence la musique…
Sur la Toile, on est encore à sa recherche
(Vitamine.dz «Cherchons biographie de Ahmed Mellouk »)…
Participant à de nombreux festivals, il
obtient des prix remarquables, notamment à Alger où il reçut le premier prix du
festival international de la musique «Sanaâ» en 1967.
Dans les années 90, la radio de Tlemcen lui dédia une émission
spéciale animée par Fatima Zohra. Pour sa part, l'ENTV lui consacra en 1997 une
page à l'occasion d'un reportage (réalisé par Mourad Senouci) sur le parcours
artistique de Cheïkh Chafik Hadjajd, disciple de Cheïkh Ahmed Mellouk. Il
convient de souligner dans ce contexte, qu'un vibrant hommage lui avait été
rendu par une pléiade d'artistes en février 2000, à la maison de la Culture
Abdelkader Alloula, une cérémonie haute en couleurs rehaussée par la présence
du wali de l'époque (Larbi Merzoug) et animée exceptionnellement par la
pétillante Rabéa Bouchaour «empruntée» pour la circonstance par radio El Bahia
d'Oran. En effet, Cheïkh Ahmed Mellouk fut accueilli en grande pompe au
Mechouar à bord d'une pittoresque calèche agrémentée de la zorna.
Lors du dernier festival national du haouzi (3e édition de juillet
2010), les organisateurs ont choisi de dérouler le tapis rouge de Sahridj Bedda
aux Serri, Darsouni, Ghaffour et Boukli qui ont été grassement gratifiés alors
que Cheïkh Ahmed Mellouk, méritait qu'on l'honore en cette occasion. Ah !
Amnésie quand tu nous tiens…
Je voudrai savoir le prénom du père de Si Ahmed Mellouk. Où était-il né Si Ahmed?
Merci pour votre réponse.
mellouk fethi - P.L - Sousse
04/10/2011 - 20220
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté par : sofiane
Ecrit par : Allal Bekkaï
Source : www.lequotidien-oran.com