En Algérie, les cafés, lieux emblématiques de la vie sociale, ont vu leur ambiance transformée par l’installation croissante de téléviseurs, particulièrement lors des matchs de football. Ce phénomène, alimenté par la passion dévorante des Algériens pour leur équipe nationale, les Fennecs, ainsi que pour les compétitions locales et internationales, s’accompagne d’un vacarme assourdissant qui perturbe souvent ceux qui souhaitent simplement profiter d’un café dans le calme. Voici une exploration de ce paradoxe culturel, entre tradition, modernité et tension sociale.
Un Rituel de Convivialité Dépassé par le Football
Les cafés algériens ont longtemps été des espaces de rencontre, où les hommes (majoritairement) se réunissaient pour discuter, jouer au dominos ou au rami, et déguster un café ou un thé à la menthe. Avec l’arrivée des téléviseurs, ces lieux se sont réinventés comme des arènes populaires où les matchs de football, notamment ceux de l’équipe nationale ou de la Ligue 1 Mobilis, sont diffusés en direct. Les grandes compétitions comme la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) ou les éliminatoires de la Coupe du Monde attirent des foules enthousiastes, transformant les cafés en extensions des stades. Ce changement reflète la popularité écrasante du football en Algérie, un sport qui transcende les classes sociales et unit les communautés.
Cependant, cette évolution n’est pas sans conséquences. Le son des téléviseurs, souvent réglé à un volume maximal pour couvrir les conversations, se mêle aux cris des supporters, aux klaxons des voitures dans la rue, et aux chants improvisés célébrant chaque but. Ce vacarme devient une norme, rendant l’expérience difficile pour ceux qui cherchent un moment de tranquillité. Les matchs, diffusés sur des chaînes comme beIN Sports ou via des abonnements locaux, sont souvent accompagnés de commentaires en arabe ou en français, ajoutant une couche sonore supplémentaire à l’ambiance déjà chaotique.
Un Conflit entre Passion et Sérénité
Pour les amateurs de football, la diffusion dans les cafés est une aubaine. Elle permet à ceux qui n’ont pas accès à une télévision chez eux – notamment dans les zones rurales ou parmi les ménages modestes – de suivre les exploits des joueurs algériens comme Riyad Mahrez ou Ismaël Bennacer. Les cafés deviennent des lieux de célébration collective, où les victoires sont fêtées avec des youyous et des salves d’applaudissements, tandis que les défaites suscitent des débats animés. Ce phénomène s’inscrit dans une tradition de visionnage public, rappelant les efforts du gouvernement algérien lors de la Coupe du Monde 2006, où des cartes d’abonnement au bouquet saoudien ART furent distribuées pour apaiser la population privée de diffusion légale.
Pourtant, ce rituel collectif nuit à une partie de la clientèle. Les habitués qui fréquentent les cafés pour lire le journal, discuter tranquillement ou simplement se détendre se retrouvent submergés par le bruit. Le contraste est frappant : là où le café devrait être un refuge de paix, il devient un espace dominé par l’excitation footballistique. Certains clients, agacés, choisissent de quitter les lieux ou de se tourner vers des cafés moins bruyants, bien que ceux-ci soient rares, surtout lors des grands matchs.
Une Réglementation Inexistante ou Mal Appliquée
L’absence de régulation claire aggrave la situation. Bien que la diffusion de programmes TV dans les lieux publics nécessite une autorisation et une souscription à une offre TV Pro (comme celles proposées par Orange ou Canal+ Business), de nombreux cafés algériens diffusent les matchs sans respecter ces règles, souvent via des décodeurs piratés ou des abonnements personnels. Cette pratique illégale, bien que courante, expose les propriétaires à des amendes, mais elle persiste en raison de la demande populaire et du manque de contrôles stricts.
De plus, aucune loi n’impose de limiter le volume sonore ou de réserver des espaces silencieux dans les cafés. Les autorités locales pourraient intervenir pour équilibrer les besoins des supporters et des clients en quête de calme, mais cela semble peu probable dans un pays où le football est une passion nationale quasi sacrée. Les initiatives comme l’Autorisation d’Occupation Temporaire (AOT) pour des diffusions en extérieur lors d’événements majeurs, telles que celles de l’UEFA en 2021, ne s’appliquent pas aux cafés, laissant le problème sans solution structurelle.
Une Réalité Culturelle à Réconcilier
Ce phénomène soulève une question de fond : comment concilier la ferveur footballistique, profondément ancrée dans l’identité algérienne, avec le besoin de préservation des espaces de tranquillité ? Une solution pourrait passer par une segmentation volontaire des cafés : certains dédiés aux matchs avec des zones sonores, d’autres réservés à une ambiance plus posée. Cependant, cette idée bute sur la réalité économique – les propriétaires préfèrent attirer les foules de supporters, qui consomment davantage.
D’un autre côté, la culture du football dans les cafés reflète une résilience sociale. Elle rappelle les années où les Algériens détournaient les signaux satellitaires (comme lors de la Coupe du Monde 2006) pour suivre les matchs, malgré les restrictions. Ce bricolage technologique et social perdure, au détriment parfois de la paix, mais il témoigne d’une créativité et d’une solidarité communautaire.
Conclusion
Les téléviseurs dans les cafés algériens, en diffusant les matchs de football, ont redéfini ces lieux comme des espaces de communion nationale, portés par la passion pour le sport roi. Cependant, le vacarme qui en découle porte atteinte à ceux qui aspirent à un café en paix, révélant un conflit entre tradition et modernité. Sans régulation effective, ce déséquilibre risque de persister, laissant les amateurs de tranquillité à la recherche d’alternatives. Peut-être qu’une sensibilisation des propriétaires et une volonté collective pourraient offrir une coexistence harmonieuse, mais dans un pays où le football rythme la vie, le silence reste un luxe rare.
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Posté par : tlemcen2011
Ecrit par : Hichem BEKHTI