Tlemcen - Mosquée Sidi Boumediene, Tlemcen



Ce fut certainement là le noyau primitif autour duquel vinrent se grouper tous les monuments d'Eubbâd supérieur (mosquée, palais, bains publics et médersa). Élevé par Mohammed en-Nâcer, un Almohade, dans les dernières années du XII siècle, sur l'emplacement que Sidi Bou-Médyen avait choisi pour son sommeil éternel, ce tombeau se trouve être l'ancêtre de tous les monuments de Tlemcen, la Grande Mosquée exceptée ; il est même antérieur d'une trentaine d'années aux premières constructions de l'Alhambra et devrait présenter un spécimen du plus grand intérêt, caractérisant une période mal connue. Malheureusement, ce qui est vrai des mosquées de Tlemcen, cette unité de conception, cette homogénéité de style, que les générations suivantes respectent, se souciant peu de remanier un sanctuaire existant et préférant en élever un autre qui attestera leur piété, n'est plus exact pour les tombeaux. On ne déplace pas un lieu de pèlerinage, force est au nouveau venu de marquer le culte qu'il lui rend en amplifiant, en embellissant l'édifice primitif(1). Que pouvons-nous, dans celui-ci, attribuer à son véritable fondateur? Que subsiste-t-il qui date de la fin du XII siècle? Peut-être le plan général de la qoubba et de la cour qui la précède. L'escalier, la petite nécropole avoisinante, sont vraisemblablement de création plus récente(2). Le tombeau d'un ami de Dieu devient le centre d'un cimetière de prédilection pour les générations suivantes. Son voisinage, comme « l'égout des toits » des églises chrétiennes est une bénédiction pour les morts. Pour ce qui est de l'ornementation, qui, sans modifier le plan initial, a complètement changé l'aspect de l'édifice, elle appartient à des âges très différents. Yarmoràsen ben-Zeiyân y travailla ; Abou El Hasen Ali leMérinide,en fondant la mosquée, y apporta de très importants remaniements, enfin la domination turque y marqua beaucoup plus récemment son empreinte. Un incendie l'ayant assez gravement endommagé, il subit, à la fin du XVIII e siècle, d'importantes restaurations.C’est même à ce point de vue un des seuls monuments de Tlemcen où l'on puisse reconnaître la trace de cette époque de décadence, qui couvrit Alger de ses productions.
La qoubba proprement dite est, suivant le plan consacré en Orient comme en Occident, une chambre carrée surmontée d'une coupole(3). Des défoncements à arcade en fer à cheval occupent les quatre murs intérieurs ; ils sont percés chacun dans la partie supérieure par une petite fenêtre terminée eu accolade, et garnie de treillis géométriques en plâtre. Des fenêtres plus petites s'ouvrent au dessus. Le mur occidental est percé d'une porte également en arc brisé outrepassé. La coupole qui couvre cette chambre est établie sur douze pans décorés de vingt-quatre petites arcades plein cintre, d'où part une combinaison de divisions géométriques aboutissant à une étoile de vingt-quatre pointes. A l'extérieur, cette coupole s'indique par un toit à quatre croupes couvert en tuiles vernissées vertes.
La décoration qui garnit le cadre de la porte du coté de la cour est l'œuvre d'un artiste turc, comme l'atteste l'inscription poétique suivante : « Louange à Dieu! Celui qui a ordonné L'embellissement de ce caveau béni, consacré à la sépulture du Chîkh Sidi Bou-Médyen (Puissions-nous avec la grâce de Dieu nous le rendre favorable!) est le serviteur de Dieu les eigneur Mohammed Bey. Que Dieu fortifie son pouvoir, lui accorde son aide protectrice et lui donne le paradis pour demeure éternelle ! Année mil deux cent huit. — Arrête ton regard sur ces perles rares et précieuses que tu vois Briller autour d'un cou charmant. Celui qui en a formé Le collier est un jeune amoureux; son nom : El Hàchmi-ben-Çarmachiq(4) ». Cette date correspond à l’année 1793 de l'ère chrétienne. C'est probablement à Çarmachîq que l'on doit attribuer la décoration intérieure ; elle est de facture empâtée et maladroite, fortement inspirée des décors arabes, combinaison de losanges festonnés analogues à ceux que nous rencontrerons tout à l'heure à la Médersa, mais décorés en partie, suivant le goût turc, d'élément floraux disposés sur une tige droite. La coupole est garnie de polygones points en différents tons (fig. 10), les plus grands décorés de motifs floraux ; les tons employés sont le blanc, le rouge, le jaune, l'orangé, le bleu et le vert. Des vitraux, les uns assez puissants, bleus, verts clairs, rouges, qui semblent colorés dans la masse, d'autres d'un ton plus douteux, orangés et vieux rouges, garnissaient les fenêtres. Un lambrissage en faïence revêt tout le bas ; il est composé de carreaux de 0 m, 13, les uns à décor en deux tons, bleu sur blanc rosé, les autres à décor polychrome où se rencontrent les bleus, le violet de manganèse, le vert de cuivre et le jaune, caractéristiques des fabrications italiennes(5). Un pavement de date récente garnit toute la chambre sépulcrale, qui contient, derrière une cloison de bois, entourés de tentures, d'étendards, d'œufs d'autruches, de lustres, de cierges, de tableaux votifs de toute nature, les deux catafalques de Sidi Bou-Médyen l'Andalou et de Sidi Abd-es-Selàm le Tunisien.
Un petit cloître carré, sorte d'atrium tétrastyle, précède le tombeau. Les colonnes d'onyx en sont surmontées d'arcades en fer à cheval plein cintre. Ces colonnes et leurs chapiteaux (fig. 41 et 44) proviennent, ainsi que l'indique l'inscription relevée sur le turban de deux d'entre eux, du palais de la Victoire(6) qu'Abou El Hassen avait fait élever à Mansourah. Ils sont décorés, suivant trois modèles différents, et de dimensions variables. Dans tous on retrouve une portion supérieure carrée garnie de reliefs faibles, et enveloppée à sa base de palmes divisées, qu'une ligature médiane réunit deux par deux, et une portion cylindrique où courent les grands méandres infléchis au sommet.
Deux d'entre eux portent des bandeaux couverts d'inscriptions. Les courbes de ces bandeaux sont aplaties et ne se continuent pas sur les différentes faces pour former un cercle unique; trois d'entre eux portent des enroulements de palmes rappelant la volute. Le chapiteau de l'angle Sud-est est une réduction des grands chapiteaux de la mosquée de Mansourah (fig. 71).
Le pavement est compose d'éléments disparates, la plupart de date assez récente, quelques-uns de modèles archaïques curieux. Vers l'angle Nord-est, on rencontre, très endommagés par le frottement, de petits carreaux de 6 à 10 centimètres, à faible relief, estampés et couverts d'un émail translucide vert ou d'une ocre verdâtre (fig. 42 et 43). Il nous semble difficile d'en préciser exactement l'origine, mais le style du décor floral qui les garnit porte la marque incontestable de l'inspiration turque. On en retrouve de semblables dans quelques parties du çahn de la mosquée(7), et le musée de Tlemcen en possède de nombreux spécimens.
Nous signalerons aussi, près du pilier Nord-Ouest un unique fragment de grand carreau émaillé d'une fabrication très défectueuse ; le décor géométrique, à bandes blanches limitant des polygones diversement colores, est formé d'émaux tout semblables aux couvertes de la mosaïque. Des filets, simplement laissés sans couverte, ont pour but d'empêcher le mélange des émaux. Malgré l'imperfection ou plutôt à cause de l'imperfection même de l'exécution qui provient surtout de l'inégale fusibilité des émaux employés, ce fragment nous semble fort intéressant. Il n'est pas le seul où se puisse noter cette tendance à remplacer la mosaïque des belles époques par le carreau polychrome, d'un emploi plus facile. On trouvera au Musée de Cluny des fragments d'origine espagnole d'une technique plus perfectionnée : l'un où le céramiste a employé un procédé identique, un autre où un émail noir fixe forme cloison entre les différents émaux. On en pourra également étudier un au musée de Tlemcen où les couleurs sont enfermées dans une très légère dépression préalablement creusée ou estampée dans le carreau, la cloison de terre formant un trait clair alentour. C'est là, comme on le voit, un procédé analogue à celui des azulejos d'Andalousie. Enfin l'on trouvera sur les marches de l'escalier de la qoubba un décor polygonal peint sur émail stannifère cerné de traits au bleu de cobalt. Tel est probablement le dernier stade de cette « contrefaçon » du décor géométrique en mosaïque de faïence(8).
Près du puits sacré(9), dont la margelle d'onyx s'est profondément intaillée au lent travail de la chaîne, une arcade s'ouvre qui donne accès à différents niveaux dans deux petits cimetières, l'un à ciel ouvert, l'autre sorte de chambre pavée, et à un escalier de huit marches qui monte à la cour extérieure de la mosquée. Le plafond de bois qui le couvre, ainsi que l'auvent donnant sur la cour, que l'auvent extérieur qui protège la porte sur la rue du village et la porte d'entrée du sépulcre, sont revêtus de peintures d'un bon effet datant vraisemblablement de l'occupation turque. On y trouve des combinaisons géométriques décorant les panneaux ou les caissons centraux, des bordures et des arcades ornées de motifs floraux (fig. 15) qui, retrouvés sur des pierres tombales appartenant aux dernières aimées du XVIII siècle (10), permettent d'assigner une date certaine à cette partie du monument. A la même époque encore semblent appartenir les deux colonnettes de bois peint, à chapiteaux corinthiens qui, aux deux côtés de la porte extérieure du tombeau, supportent l'auvent.
NOTES :
1- Comp. pour les qoubbas vénérées du Caire. Van Berchem, Matériaux pour un Corpus, p. 63 et 597.
2- Cependant déjà l'Almohade es-Said aurait été enterré auprès du « Secours suprême» par ordre de son vainqueur Yarmoràsen (Histoire des Berbères, 111. p. 250) ; le Zeiyânide Abou El Abbâs Ahmed (866 de l'hégire) y aurait aussi son tombeau (Complément de l'Histoire des Beni-Zeiyân, p. 349).
3- On trouvera des descriptions de la qoubba de Sidi Bou-Médiène ap. Barges, Tlemcen, ancienne capitale, p. 269 et suiv ; — Brosselard, Revue africaine, décembre 1859, p. 83 et suiv; — de Lorral, Tlemcen, 327. 328; — Ary Renan, Gazette des Beaux-arts, 1893, 1. p. 178. 179.
4- Cf. Brosselard, Revue africaine, décembre 1859, p. 87 et suivantes; — sur Çarmachiq, cf. supra, p. 39.
5- Ils datent sûrement de l'époque turque, et c'est bien à tort qu'Ary Renan veut les faire remonter à l'époque de Yarmoràsen.
6- « La construction de cette demeure fortunée, palais de la Victoire, a été ordonnée par le serviteur de Dieu, Ali. Emir des musulmans, fils de notre maître l'Emir des musulmans Abuu-Said fils de Yaqoub, fils d'Abd-El-Haqq, en 745 » (Cf. Revue africaine, juin 1859, p. 337).
7- Ary Renan les signale ap. Gazette des Beaux-Arts, 1893, p. 179; il parle aussi « d’engobes à émail ombrant dessinant de capricieux méandres obtenus en deux tons par de patientes réserves». Nous n'avons rien vu de semblable.
8- Cf, sur cette contrefaçon, Introduction, p. 78.
9- L'eau passe pour avoir des vertus miraculeuses. Cf., pour les sources miraculeuses dans l'islam, Goldziher, Moh. Studien, p. 345 et suiv.
10- Notamment sur celle du Caïd Slimàn ben-Mohammed El-Kourdi (Cf.Brosselard, Revue africaine, décembre 1859. p. 90).



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