Tlemcen - Soheil Dib

Portrait de Mohammed Souheil Dib


Portrait de Mohammed Souheil Dib
1- On dit généralement que le lieu de naissance, les origines et les événements de l’époque influencent quelque part l’écrivain. Qu’en pensez-vous et avez-vous été vous-même influencé par cela dans vos écrits ?

Cette première question revient à s’interroger sur l’influence (ou l’absence d’influence) du contexte sur l’écrivain. Pour répondre, je dirai que l’imperméabilité de l’écrivain au contexte est peu probable, car même s’il le nie, il met en valeur sa présence par l’affirmation soutenue de son absence. D’ailleurs, quelle que soit la communication, qu’elle relève de l’écriture littéraire ou de l’essai philosophique, sociologique, linguistique, historique ou autre, le contexte sert de « cadre » de perception à travers lequel on émet cette communication. Le contexte temporel et spatial intervient toujours. : si ce n’est pas de manière consciente, ce sera alors de manière inconsciente.
Mon lieu de naissance – Tlemcen – m’a rapidement convaincu que j’appartenais aussi à Béjaïa, Mazouna, Mostaganem, Alger, Constantine, bref, à chaque région de l’Algérie où a germé un signe de haute culture. Tlemcen est une gerbe de lumière dont les faisceaux alimentent un vaste ailleurs, tout en s’alimentant de ce que cet ailleurs a produit de meilleur. C’est peut-être la raison pour laquelle j’incline à écrire souvent des « anthologies » qui invitent à ma table les maîtres de tous les horizons d’Algérie.
Quant aux événements de l’époque, je les tiens pour le prétexte par excellence de ce qui fait l’écrivain dans le sens le plus noble du terme. L’époque incarne, à la fois, la dimension de la mémoire, et le sens des valeurs à conforter dans le présent et à projeter dans le futur. L’écrivain se situe dans son temps d’abord. Ce qu’il écrit est, dans une large mesure, souvent tributaire du contexte historique, politique, social, idéologique dans lequel il vit.

2 – Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire et dans quel courant de pensée écrivez-vous ?

Les questions de l’heure m’ont en quelque sorte interpellé. D’ailleurs, la critique journalistique et universitaire m’inscrit, pour ce qui touche ma production romanesque, dans le groupe des écrivains dont « le principal objectif est de battre en brèche, de l’intérieur de l’édition nationale algérienne, le conformisme qui sévissait de partout » (que Djeghloul Abdelkader me permette d’emprunter ses mots !). Ce sont les mutations qu’a connues l’Algérie contemporaine et ce qu’elles ont généré de difficultés d’adaptation qui m’ont fourni la thématique pluridimensionnelle à mes romans. Ce que ressentaient les Algériens de dramatique, même au-delà du territoire algérien, s’imposait à moi comme une thématique de l’urgence : l’incendie en 1969 de la mosquée d’Al-Aqsa dans la vieille ville d’Al-Qods, par exemple, a tellement bouleversé mes compatriotes que j’ai ressenti en moi-même le besoin de réagir avec l’arme dont dispose l’écrivain en publiant en France un texte poétique où j’opposais à la profanation sioniste des lieux saints de l’Islam, le respect des Algériens pour les monuments et les tombeaux des non-musulmans.
Quant à mes essais, ils s’inscrivent dans le cadre général d’une réappropriation de notre culture littéraire, philosophique, longtemps reléguée dans une sorte de folklorisme taillé au burin de l’exotisme colonial. S’il y a un courant de pensée qui pourrait se définir par cette démarche, je dirai que je lui appartiens volontiers.

3 –En quelques mots, présentez-nous votre production parue aux éditions ANEP.

L’Un et le Multiple (2002) qui propose une nouvelle lecture de la poésie de l’Emir Abdelkader permet, par la même occasion, grâce à une longue introduction, de mettre en lumière l’aspect théosophique de l’œuvre de notre héros national, connu surtout pour son combat politique et militaire contre le colonat. L’œuvre d’Ibn Yûsuf as-Sanûsî est une contribution à une connaissance de l’école rationaliste de Tlemcen des XIVe et XVe siècles. Pour une poétique du dialectal maghrébin est une analyse théorique des procédés stylistiques et rhétoriques en usage dans l’arabe dialectal, surtout algérien. Le fond de la question était de rendre caduque la perception longtemps dépréciative qu’on avait des parlers locaux. La poésie populaire algérienne, dont le premier livre est consacré au poète du hawzi Ibn Triki, est une illustration de la valeur esthétique d’un des dialectes algériens. Quant à mon dernier- né intitulé Le soufisme populaire algérien moderne, qui groupe les textes de cinq mystiques modernistes, il est le résultat d’une patiente enquête sur le terrain. L’intérêt est de montrer d’une part, mais de façon implicite, le long cheminement de la perception soufie algérienne, depuis les poèmes élaborés de l’Emir Abdelkader, jusqu’aux enseignements plus populaires des cheikhs qui lui ont succédé. Mais d’autre part, et de manière explicite cette fois, il s’agissait pour moi d’exposer quelques axes de nos propres visions des choses.

4 – Dans vos différentes lectures, quel est l’ouvrage qui vous a le plus marqué ?
Ma formation universitaire en philosophie et en lettres d’une part, ma carrière d’enseignant dans ces deux disciplines, d’autre part, me mettent dans l’embarras pour répondre à cette question : la lecture étant, dans un cas comme le mien, une exigence professionnelle autant qu’une passion. Il y a, par bonheur, beaucoup de livres qui nous marquent, chacun à sa façon, parce que chacun apporte sa quote-part d’intelligence et d’invention au patrimoine universel.
Mais à un autre niveau de réflexion, le concept de « livre », dans la perception d’une civilisation aussi profonde, aussi riche que celle à laquelle nous, Algériens, appartenons dans notre grande majorité, traduit la double appartenance de l’écrit : celui qui épuise son sens dès sa lecture, et celui qui ouvre son sens à d’inépuisables possibles. Ce dernier écrit relève du « livre » non dans le sens commun du terme, mais du « kitâb » dans le sens sublime du mot. Ce « kitâb » est un écrit particulier. Il nous dit, dans l’intimité à laquelle il nous convie : Plus tu lis pour augmenter ton savoir, et plus tu découvres l’immensité de ce que tu ignores.
C’est ce livre-kitâb qui ne cesse de me marquer et dont les multiples fragments figurent çà et là dans les ouvrages que j’ai eu le bonheur d’écrire jusqu’à présent.

5 – Quel est le thème que vous aimeriez développer si vous avez l’intention de publier un autre livre ?

Ce thème est en chantier déjà. Il met en valeur le patrimoine philosophique de l’Algérie à un moment déterminé de son histoire.


Nous avons collaboré , Souheil et moi, à deux projets communs : -Publication ( sous ma ditection ) de “ Le chant arabo-andalou”, L’Harmattan, 1995 -Anthologie du hawzi et du ‘arûbi ( coffret discographie et livre ) Ed.Al-Ouns, Paris, 2002. Je souhaite avoir son adresse électronique pour le consulter à propos d’une publication en cours
Nadir Marouf - Professeur Émérite des Universités - Vers/selle ( Picardie), France

09/12/2022 - 548496

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