Tlemcen - Mérinides

Légende de la Vieille et du lever du premier siège de Tlemcen


Légende de la Vieille et du lever du premier siège de Tlemcen
Voici, sous la plume de Brosselard, qui cite les chroniqueurs arabes, une peinture de la vie économique à Tlemcen pendant le deuxième siège des Mérinides.

- Cependant. de jour en jour, la population assiégée était réduite aux plus dures extrémités. On en vint à manger les cadavres des chats, des rats, et même, assure-t-on, de la chair humaine. On arracha les toitures des maisons pour se procurer du bois à brûler. Les vivres, devenus d'une rareté excessive, atteignaient un prix énorme. Ainsi un chat ou un chien se vendait un metqal et demi (environ quinze mille francs de notre monnaie actuelle : 1956); un rat ou un serpent valait dix dirhems (environ 5.000 francs de notre monnaie actuelle : 1958) et encore ne s'en procurait-on pas facilement.

Yahia Ibn Khaldoûn rapporte que cent vingt mille personnes périrent pendant la durée du blocus. Léon l'Africain, qui entre également dans de grands détails sur ce siège mémorable, dépeint la consternation des assiégés réduits au désespoir par la famine et qui viennent en foule faire entendre leurs lamentations sous les murs du Méchouar. Le sultan les fait introduire auprès de lui et leur dit qu'il exposerait volontiers sa propre chair à rassasier un chacun, s'il pensait qu'elle fût suffisante à réprimer cette mortelle famine, estimant que ce serait encore bien peu à comparaison de leur approuvée et par lui bien sondée fidélité en son endroit. Il n'eut pas plus tôt mis fin à ses paroles qu'à l'heure même il leur fit voir quelles étaient les viandes appareillées pour son souper, qui furent reconnues pour chair de cheval cuite avec de l'orge et feuilles d'oranger, tellement que la souffrance du roi fut jugée beaucoup plus grande et urgente que celle de la plus intime et mécanique de la cité.
Voici maintenant, d'après un récit recueilli oralement à Tlemcen il y a une centaine d'années, l'histoire du veau qui aurait précipité la fin du premier siège de Tlemcen en 1307:

« La ville était réduite aux dernières extrémités. La faim et la maladie allaient dévorer ce que le fer de l'ennemi n'avait pu atteindre. Les chefs et les notables, réunis pour aviser à ce qu'il convenait de faire, en étaient venus à agiter la question de rendre la place. Une vieille femme nommée Aicha, qui sans doute écoutait à la porte, fait alors irruption dans le lieu de l'assemblée, reproche amèrement leur lâcheté aux membres du Conseil et affirme, au nom du Prophète, que, si on retarde la reddition, l'ennemi lèvera le camp et regagnera les profondeurs du désert, d'où il a plu à Dieu de le susciter. Le ton d'inspirée avec lequel elle prononça sa harangue fit impression sur tous et on consentit à ce qu'elle demandait. Il lui fallait avant tout un veau, disait-elle. Mais un veau n'était pas facile à trouver dans une ville où l'on ne vivait plus que d'herbes, de vieux cuir, et peut-être même un peu de chair humaine. Le veau enfin se rencontra, chez un vieil avare, qui attendait sans doute que la famine atteignît ses dernières limites pour s'en défaire avec plus d'avantages. Le veau trouvé, il fallut se procurer du grain pour l'engraisser, car son maître lui avait fait faire maigre chaire. On y réussit en ramas­sant, de-ci, de-là, les grains de blé, d'orge, etc... oubliés dans les coins du grenier. On en ramassa la valeur d'un demi-boisseau, qu'on eut soin de mouiller pour en augmenter le volume. On pense bien quel régal ce fut pour le pauvre veau. Cela fait, la vieille Aicha, s'en alla avec l'animal vers une des poternes de la ville et lui donna la clé des champs. Le veau, alléché par l'herbe, qui verdoyait au dehors, ne se fit pas prier pour sortir. Il y avait là quelques soldats en maraude, des fricoteurs -comme disent nos troupiers - qui sont toujours à l'affût des moyens d'augmenter et d'améliorer l'ordinaire. Ils firent main basse sur le veau, l'emmenèrent triomphalement à leur tente, où ils l'égorgèrent selon le rite consacré, puis l'éventrèrent afin de le vider. Qu'on juge de leur surprise quand lis trouvèrent dans l'estomac le demi-boisseau de grain que la pauvre bête n'avait pas eu le temps de digérer. Cette aventure courut bientôt le camp et porta jusqu'à l'exaspération le mécontentement des soldats déjà fort ennuyés d'un si long siège.

« Prenez donc par la famine des gaillards qui empiffrent leurs veaux avec des demi-boisseaux de blé, s'écriaient les vieux grognards de l'armée mérinide. Avec ce système-là, nous serons encore ici le jour du jugement dernier. » Le sultan dut céder à la volonté générale de son armée. Deux jours après, l'ennemi avait disparu de devant Tlemcen et Aicha, portée en triomphe, goûtait toutes les douceurs de la popularité. La légende ne dit pas si l'on rendit quelques honneurs au pauvre veau. Il avait pourtant aussi bien gagné que celui que les Israélites coulèrent jadis en or.


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