Tlemcen - Divers sujets sur la littérature


(Ce texte a été lu lors de la commémoration du 40ème jour de la mort de l’auteur. Il est l’œuvre de l’une des animatrices de 'l’Atelier de la Fondation Mohamed Dib').

 

« La grande maison » grand édifice bâti par la main, la conscience, le génie et la verve de l’incontournable architecte de la littérature : M.Dib.

Cet illustre romancier, poète et dramaturge est né à Tlemcen le 21 juillet 1920. Orphelin de père à 10 ans, élevé par sa mère, il a grandi loin de tout problème d’identité. Il dit lui-même dans « Simorgh » :

« je ne me savais pas algérien , j’ignorais ce que c’est qu’être algérien, je n’étais pas seul, dans mon milieu, on l’ignorait comme moi ».

Dib a poursuivit des études primaires et secondaires qu’il a achevées à Oujda au Maroc jusqu'à 15 ans. Il a écrit des poèmes et s’est adonné à la peinture. Il a été nommé instituteur puis a exercé le métier de comptable et celui d’interprète anglais-français auprès des armées alliées. De 1945 à 1947, de retour dans sa ville natale, il a dessiné des maquettes de tapis. De 1950 à 1951 il a travaillé au journal Alger républicain, écrivant également dans Liberté , journal du parti communiste algérien. De part sa plume, il a pu ouvrir un front de lutte directe contre le colonisateur s’attirant ainsi les foudres des autorités coloniales. Expulsé d’Algérie pour ses prises de position politique pendant la guerre de libération, il s’est installé en France.

C’est pourtant dans la langue de ceux qui l’ont opprimé qu’il s’est merveilleusement illustré. A ce propos, Aragon écrivait en 1961 :

« cet homme d’un pays qui n’a rien à voir avec les arbres de ma fenêtre, les fleurs de mes quais, les pierres de nos cathédrales, parle avec les mots de Villon et Péguy ».

Cependant, il a affirmé dans certaines déclarations qu’il demeurait fidèle à sa langue maternelle notamment quand il dit :

« Mes images mentales se sont élaborées à travers l’arabe parlé qui est ma langue maternelle. Mais cet héritage appartient à un fond mythique commun. Le français peut être considéré comme une langue extérieure - bien que c’est en français que j’aie appris à lire – mais j’ai crée ma langue d’écrivain à l’intérieur de la langue apprise… je garde ainsi la distance ironique qui facilite l’investigation sans passion ».

Écrivain très prolixe, il a enrichi la littérature algérienne durant plus d’un demi-siècle reflétant dans ses œuvres ses capacités créatives inépuisables et exceptionnelles. Tout au long de sa carrière, il a été inspiré par le peuple algérien et aussi principalement par sa ville natale Tlemcen, ville culturelle.

« La grande maison » avec « le Métier à tisser » et « l’Incendie », constitue la trilogie Algérie, l’une des plus belles pages de l’histoire et de la littérature algérienne et universelle.

Dès 1952, Dib a atteint son apogée en s’adonnant à une littérature populiste au style linéaire et documentaire se voulant ainsi « écrivain public » dénonçant la misère et l’humiliation. Il a prédit alors un proche soulèvement qui s’est affirmé par l’incendie qui éclata en 1954. La trilogie montre l’éveil de l’Algérie sur un monde nouveau.

A côté de sa trilogie, Dib a publié un recueil de nouvelles « Au café » ainsi qu’un roman « Un été africain » (1959).

A travers « Un été africain » , Dib engage un pas vers la libération qui fait voler en éclats les cloisons de l’esprit humain et parallèlement rejette une certaine hiérarchie et forme fixe dans son écriture littéraire : ainsi il apporte une nouvelle touche à sa littérature. Désormais il se fonde sur le naturel. En abordant la guerre de libération dans « Qui se souvient de la mer », il a recouru à l’allégorique, au fantastique, à l’hallucinant. Il a emprunté les voies de l’introspection et de l’investigation métaphysique même pour parcourir les espaces du cœur. Il a recouru au mythe, aux rêves, à une ambiance fantastique. Son écriture connote à chaque instant un univers intérieur fait d’interrogations sur le sens de l’existence et sur l’identité, sur la vérité de l’homme et du couple, sur la mort, comme dans ses romans « Cours sur la rive sauvage » (1964), « La danse du roi » (1966), « Talisman » (1966), « Le maître de chasse » (1973), « Dieu en barbarie » (1970), « Habel » (1977).

Si depuis longtemps l’unité d’un univers romanesque a pris chez l’écrivain la forme d’une trilogie comme la célèbre trilogie Algérie , il semble alors que la seconde la trilogie nordique se rapporte fortement au nord, en l’occurrence, la Scandinavie qui constitue un espace commun aux trois romans. Dans cette trilogie, chaque œuvre garde une autonomie. Ainsi il installe la littérature maghrébine de langue française dans de nouveaux espaces : ceux de l’exil comme possibilité de découvrir l’autre et par conséquent la connaissance de soi. La nostalgie prend une part importante dans son œuvre.

Pour continuer sur la même voie, il a écrit « le Sommeil d’Ève » (1989) où il s’agit également d’amour et de douleur et dans « Neiges de marbre » (1990), Dib continue son infini voyage dans la douleur amoureuse : un homme du sud, une femme du nord et entre eux les forêts, les cieux, les neiges.

Ces romans représentent une innovation particulièrement importante dans la littérature maghrébine. Il rompt ainsi avec la vision facile de la notion de pays, car la littérature est une quête permanente sans havre de paix, interrogation inquiète et endurance dans l’infini solitude de l’art.

1992 a été l’année de la réalisation d’une question « le Désert sans détour », une histoire non seulement entrain de se chercher mais aussi de se faire. Ce roman expose l’errance de son écriture.

C’est alors dans un autre style de recherche de la vérité d’une réalité algérienne profondément traditionnelle qu’il a écrit son nouveau roman « Si diable veut » (1998).

Ce romancier, conteur, nouvelliste et essayiste a été avant tout poète. Il écoutait, voyait, respirait par la voix de la poésie ; il affirmait que le poème est « le talent de l’écrivain » et le roman est un « poème inexprimé ». La poésie imprègne toute son œuvre alors que sa recherche d’écrivain teste plusieurs formes et divers styles.

Il expose son talent de poète dans des recueils de poèmes tel que « Ombre gardienne » (1961), « Omneros »(1975), « Feu beau feu » (1979), « ô vive » (1985) et « L’aube Ismael » (1996) « L’enfant Jazz » (2000) , « Le cœur insulaire » (2000)

Le dernier ouvrage de Dib s’intitule « Simorgh » titre à la fois étrange et significatif. Il n’est point étonnant qu’encore une fois, Dib s’offre un retour nostalgique sur les souvenirs de son enfance. Mais cette fois-ci son retour est vu d’en haut, tel un oiseau qui survole le monde ; le monde qui est l’autre pays de Dib.

Le voyage de Simorgh constitue la métaphore de la quête dibienne à travers toutes les stations illustré d’abord par ses livres et par les espaces géographiques qu’il a lui-même traversé. Il retrace la quête humaine, le retour à l’absolu d’où l’homme est sortie.

Dans « Simorgh » Dib nous fait une longue réflexion sur le malheur ou le bonheur d’écrire en français quand on est algérien. Il cite, à la page 140 :

« Vous êtes libre , vous disposez de vous-même et là-dessus vous allez être mis à ce dur apprentissage sans que vous l’ayez demandé, vous allez être instruit en français et vous ne savez toujours pas que vous êtes algérien ni ne savez ce que c’est qu’être algérien alors que vous savez, en revanche, qu’on ne va en classe que pour être enseigné en français, comme tous les petits de votre âge, et de n’importe quelle province de France, bien que vous ignoriez être, à Tlemcen, un habitant d’un département français, d’une sous- préfecture pour plus de précision mais ayant eu le loisir de l’apprendre entre-temps, cela ne vous a fait ni chaud ni froid… »

Grâce à sa mémoire voyageuse, Dib nous promène dans les villes abandonnées d’Algérie. Il nous emmène ensuite en ex-union soviétique et du côté des Etats-Unis où il a vécu pendant un certain temps.

Cela dit, les Etats-Unis d’Amérique et précisément Los Angeles ont été l’inspiration et le sujet de l’avant-dernier roman « L.A.Trip ».

Ce dernier est un roman en vers, genre inédit rédigé dans la langue de Molière et la langue de Shakespeare. Le contenu est une succession de ‘flashes’, de petites histoires. C’est un poème d’idées, de valeurs.

Dans le poème qui suit, il porte une attention contre le racisme. Il cite dans « le pacifique » :

« Ne voyant, assis

ne regardant rien

 

Un petit enfant noir

au bord du pacifique

 

Et il regarda, lui

assis, l’eau couchée.

 

Toujours cette ligne

d’ombre glacée qui court

entre l’ici et là-bas .

 

Le soleil par-dessus

porta haut son auréole.

 

Et si le kid allait

se ressouvenir et que ? »

« L.A.Trip » et « Simorgh » , ces deux pièces ajoutées au colossal répertoire littéraire de Dib sont une explosion de son écriture. Il a brisé les frontières et défié les normes de tous genres confondus. Ces deux derniers ouvrages sont les dernières pages de l’aventure de Dib. Il est parti vers l’au-delà en nous léguant un art hors du commun.

Il a marqué son départ par une réconciliation des genres, des langues et des pays. Tel était sans doute son dernier espoir.

Pour fermer cet humble hommage et présentation de Dib, en sachant que ce dernier ne peut être résumé ; c’est de dire que ce qui apparaît à présent comme projet majeur de toute son œuvre depuis bientôt un demi siècle est ce qu’il dit lui-même simplement : « poursuivre au gré des chances l’écriture »

Son désir de l’écriture a rendu meilleur notre désir de la lecture.




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