Tizi-Ouzou - Tizi Rached

Abdelnaceur Belaïd évoque à L'Expression Cheikh Seddik Ben Arab. «Un grand homme à rétablir dans sa véritable dimension»



Abdelnaceur Belaïd évoque à L'Expression Cheikh Seddik Ben Arab. «Un grand homme à rétablir dans sa véritable dimension»
Publié le 23.11.2023 dans le Quotidien l’Expression

Abdelnaceur Naceur Belaïd est diplomate de carrière. Il a occupé plusieurs postes d'ambassadeur dans le continent africain. Il a fait des études de post-graduation à Alger et dans de nombreux pays européens en diverses disciplines. Spécialiste de géopolitique, il se consacre actuellement au thème des résistances populaires en Algérie durant le XIXe siècle. Thème sur lequel, il a publié de nombreuses contributions. Il revient ici, à L'Expression, sur la vie d'un grand personnage de la rébellion contre l'occupation française. Cheikh Seddik Benarab, chef de la résistance durant les années 1850 et descendant de membres de zaouïa, Cheikh Menaârav qui avait développé une véritable idéologie de la résistance au colonialisme. Ce grand homme de sagesse et de guerre a été volontairement occulté par les autorités coloniales via une stratégie de propagande qu'il faudra bien détruire. Cet entretien répond justement à cette démarche. «Le cas de Chikh Seddik, qui a failli être oublié, pose le problème de la réappropriation de notre propre histoire, en engageant des recherches de fond sans se contenter des publications que le colonisateur avait bien voulu destiner au public dans le cadre de sa propagande», soutient Abdelnaceur Belaid.
L'Expression: Comment pouvez-vous présenter brièvement Cheikh Seddik Ben Arab?

Abdelnaceur Belaïd: Cheikh Seddik est né vers 1815 au village Icherraiouen, appelé alors Tacheraïhit, dans la commune de Tizi Rached. Il est issu d'une lignée de chouyoukhs dans une zaouïa réputée pour la qualité de l'enseignement qu'elle prodiguait dans diverses disciplines, plus particulièrement les enseignements du jurisconsulte Khalil. Cette réputation de la zaouïa Chikh Menaârav dépassait la région de Kabylie puisque des étudiants d'autres régions d'Algérie, notamment de l'est et du sud-est du pays, l'avaient fréquenté jusqu'au début du XIXe siècle. Selon toute vraisemblance, Cheikh Ahmed Tidjani, fondateur de la tariqa Tidjania, y a séjourné pour études;

Comment expliquez-vous l'émergence de Cheikh Seddik en tant que chef de la résistance, dans les années 1850?
Cheikh Seddik avait certainement les qualités personnelles nécessaires pour jouer un tel rôle mais il faut admettre qu'il avait également bénéficié de l'héritage familial et du poids de la zaouïa de son aïeul, Cheikh Menaârav. Son grand-père, par exemple, Cheikh Seddik dont le prénom lui avait été transmis, avait dirigé la bataille des Ath Irathen et d'autres tribus contre le bey Mohamed Eddebah qui trouva la mort dans cette bataille. Son père, Cheikh El Hocine Ben Arab, a été très actif dans la résistance dès le débarquement français à Sidi Fredj ex-Sidi Ferruch. Son contingent de volontaires avait participé à la bataille de Staouéli de juin 1830. Lors de l'assemblée de Boghni, en février 1846, avec les chefs de tribus et zaouïas kabyles, c'est à Cheikh El Hocine que l'émir Abdelkader avait appelé à obéir après que son khalifa Ahmed Ben Salem envisageait déjà de mettre fin à sa mission. Un détail important à ajouter est que la zaouïa de Cheikh Menaârav avait développé une véritable idéologie de la résistance au colonialisme. En plus de Sidi M'hamed ben Abderrahmane Bou Qobreïn, fondateur de la tariqa Rahmania, qui fut son élève, des héros de l'insurrection de 1871 l'ont été également, dont Cheikh Aheddad et Cheikh Mohand Ouali Ou Sahnoun. Après avoir été incendiée en 1857, la zaouïa fut complètement détruite après l'insurrection de 1871.

Compte tenu de la disproportion des forces avec l'armée coloniale, comment Cheikh Seddik avait-il pu tenir dans la résistance, jusqu'en 1857?
Il convient de dire, tout d'abord, que cette résistance a été l'objet d'une extraordinaire organisation et coordination entre Cheikh Seddik, Lalla Fadhma N'Soumeur, Si El Hadj Amar Moqadem de la tariqa Rahmania, et, occasionnellement, avec le bachagha Si El Djoudi qui était repassé définitivement dans le camp de la résistance vers la fin de l'année 1856. Cette organisation et cette coordination ont vu le jour juste après la mort de Chérif Boubaghla, survenue en décembre 1854. Elles ont été encouragées et stimulées par le succès remporté par Boubaghla, Lalla Fadhma N'Soumeur et Cheikh Seddik contre l'expédition Randon de 1854. Dès janvier 1855, Cheikh Seddik avait ouverts les hostilités contre l'armée coloniale jusqu'à fixer à celle-ci une frontière à ne pas franchir. Celle-ci se trouvait à quelques kilomètres à l'est de Tizi Ouzou et était délimitée au Nord par l'oued Sébaou. Dans ses divers rapports, y compris son journal, maréchal Randon a reconnu ce fait, en tentant de le justifier par la participation de l'armée d'Afrique (armée française en Algérie) à la guerre de Crimée. C'est à la fin de cette guerre que le même maréchal, alors Gouverneur général de l'Algérie avait obtenu l'accord de l'empereur Napoléon III et de son ministre de la Guerre pour former un corps expéditionnaire jamais constitué en Algérie, dirigé en priorité contre Cheikh Seddik, soit une dizaine de généraux et 50 000 hommes. Ne se contentant pas de rester dans la frontière qu'il avait lui-même tracée, Cheikh Seddik avait livré des batailles loin de ses bases jusqu'à Draa El Mizan, Boghni, Mechtras, Ouadhias, etc Il avait entrepris également des actions permanentes pour maintenir les tribus dans le camp de la résistance et à réintégrer les tribus dites soumises (après des massacres). Les rapports confidentiels français ont même signalé Cheikh Seddik dans la vallée de la Soummam. Des poèmes populaires vantant l'héroïsme de Cheikh Seddik ont été transcrits par Adolphe Hanotaux et Mouloud Mammeri. L'épopée de Cheikh Seddik s'est terminée avec la défaite aux batailles d'Icherriden (25 juin 1857) et d'Aguemoun Izem (30 juin 1857). Il fut arrêté le lendemain et détenu à Tizi Ouzou avant d'être conduit à Alger et transféré en France pour être emprisonné au fort de l'île Sainte- Marguerite.

D'après vous, comment et pourquoi un chef de la résistance de la trempe de Cheikh Seddik a-t-il pu être oublié?
Plusieurs tentatives d'explication ont été données, mais, pour moi, la plus plausible reste le travail de sape méthodique du colonisateur à enterrer jusqu'au souvenir de ce héros. Sur ce registre, le Colonel Hanoteau a été un véritable maître d'oeuvre, qui est allé servir deux fois dans la région de Tizi-Ouzou (une fois à Tizi Ouzou même, une autre fois à Fort Napoléon, (ex-Fort National) actuel Larbaâ Nath Irathen). On peut dire que le maréchal Randon ne lui avait jamais pardonné les humiliations qu'il lui avait infligées durant la guerre de Crimée et ceci ressort presque clairement de ses divers écrits. Il est significatif de constater que les documents confidentiels français (rapports, notes, dépêches) dont une part importante a été mise en ligne, il y a quelques mois seulement, reprenaient un maître-mot, celui de l'influence de Cheikh Seddik à combattre, y compris après son emprisonnement en France puis son exil en Tunisie où il décéda dans les années 1860. Remarquez ici, la courte durée qui sépare les arrestations de Lalla Fadhma N'Soumeur et de Cheikh Seddik Ben Arab et leur décès. Cette volonté de neutraliser l'influence de Cheikh Seddik s'est exprimée y compris lors de la répression de l'insurrection de 1871, puisque des actes d'accusation avaient été dressés contre des acteurs du mouvement avec les mentions aggravantes: «a été un fidèle de Si Seddik Ould Chikh Arab», «a été un proche de Si Seddik..» alors que celui-ci était déjà mort après les cases prison en France et exil en Tunisie. Permettez-moi de vous signaler un document de l'armée coloniale française dont j'ai également une copie, qui indique que le maréchal Randon avait non pas exilé seulement Cheikh Seddik, mais l'avait «banni de l'Algérie». C'est dire l'acharnement du colonisateur français à effacer jusqu'à la mémoire et au souvenir de Cheikh Seddik.

C'est un bilan extrêmement riche et instructif que vous établissez du vaillant Cheikh Seddik Ben Arab, quelles peuvent être, selon vous, les actions à entreprendre pour rétablir ce héros à sa place dans l'Histoire nationale?
Sans se référer à la mémoire collective, il suffit de lire les documents secrets ou confidentiels coloniaux pour mesurer le rôle de Cheikh Seddik parmi les grands chefs de la résistance algérienne. Jusqu'à la divulgation, au demeurant récente, de ces documents, l'historiographie coloniale avait pratiquement fait un black-out concernant cette figure historique. Le cas de Cheikh Seddik, qui a failli être oublié, pose le problème de la réappropriation de notre propre histoire en effectuant des recherches de fond, sans se contenter des publications que le colonisateur avait bien voulu destiner au public, dans le cadre de sa propagande, y compris, par exemple, des publications que l'on peut trouver dans la Revue africaine. Il pose le problème de l'accès aux archives traitant de notre histoire. Je suis sûr que d'autres héros algériens ont connu le même sort que Cheikh Seddik. À titre personnel, j'aurais, par exemple, souhaité que des recherches approfondies soient effectuées sur la bravoure du fils de Cheikh Bouziane qui, à quelques instants de son assassinat et de sa décapitation, avait lancé au militaire français qui venait de le bousculer: «On tue le fils de Cheikh Bouziane, on ne le frappe pas». De la noblesse et du style... Nos jeunes générations gagneront davantage à connaître la riche histoire de leurs ancêtres.
Kamel BOUDJADI

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