Le premier jour du mois de Ramadhan est tombé brusquement. Juste la veille, les gens ne savaient pas encore si c'était le lendemain ou le surlendemain. C'était encore le doute. Les gens ont essayé tant bien que mal de s'adapter au changement d'habitude et de routine. Une écrasante majorité de gens interrogés dans les villages affirmant que ce n'était aucunement un problème de s'abstenir de manger, de boire et de faire autres choses mais, ce qui est insupportable c'est le changement de programme de la journée. «C'est un choc!» assène carrément Hacène, un jeune de Boudjima.
La vie déjà morose pendant toute l'année, prend des allures de geôle en ces jours d'abstinence. «Il n'y a plus où aller pour passer le temps. Il n'y a même pas où lire son journal. Dehors, c'est le garde-à vous jusqu'au soir. On ne doit même pas s'asseoir», se lamente un autre jeune, une liasse de journaux sous le bras et qui ne trouve pas un lieu où lire. «D'habitude, je lis les journaux en sirotant un café. Mais, là je jeûne, j'ai besoin d'un lieu pour lire», poursuit-il. «Moi, je ne jeûne pas, mais, je suis obligé quand même de tourner en rond comme tout le monde jusqu'au soir», affirme Amar sur la place de Ouaguenoun. «Je jure que je ne le ferai pas avant que les gens ne soient libres de choisir. Là, c'est incroyable, personne ne t'oblige, mais c'est tout le monde qui oblige tout le monde» s'écrie un autre citoyen, la quarantaine, rencontré à Tigzirt.
Après une matinée étouffante d'angoisse, l'après-midi n'est pas plus agréable. Pis, en plus de la chaleur, les gens affichent des mines abattues pour certains et prêtes à tuer pour d'autres.
Les routes, les places publiques, les magasins et les transports publics deviennent de véritables rings. «Je vais rentrer chez-moi me cacher. Ne croyez pas que je me cacherai jusqu'à la rupture du jeûne. Au revoir, le jour de l'Aïd» s'exclame un autre jeune. «Si vous me revoyez dans cette situation l'année prochaine, venez cracher sur ma figure. Je partirai de ce bled à jamais», jure un autre qui ne cache pas son dégoût de ne pas trouver un lieu ouvert pour passer du temps. «Allez voir le nombre de blessés qui arrivent à la polyclinique. J'ai peur que les gens ne se mangent entre eux avant la rupture du jeûne.
Des bagarres partout et pour rien. Ya latif!» peste un vieil homme qui vient de la clinique de Draâ Ben Khedda. Au niveau du grand rond-point de la ville de Boudjima, le passage devient informel à partir de 18h. «Nom de Dieu, avec quelle facilité les gens en arrivent aux poings! Un regard et c'est parti, sans même prononcer un mot méchant» se lamente un jeune qui observe médusé les scènes de bagarres les plus extravagantes. Les rixes se banalisent partout en ces dernières heures de la journée. Les gens ne s'arrêtent même plus pour voir. «Ce peuple, ce n'est que du pipeau. De la parlotte. Rien de plus. Un peuple à qui on ferme les cafés, les lieux de distraction. On nous prend pour des ânes. S'il se trouve devant la nourriture, ils ne peuvent pas rester sans manger.
C'est comme nous, si le café ouvre, on ne peut pas s'abstenir de boire ou de manger. Pour l'âne, il faut enlever l'orge et pour nous, il faut fermer les cafés. Sinon on ne peut pas jeûner. Algérie je te plains! Je vais mourir de déception. Quel sort a-t-on réservé au peuple de Jugurtha!» s'écrie un autre jeune qui a passé toute la journée dans la ville de Tizi Ouzou.
«J'ai tourné toute la journée d'une administration à l'autre. Sans pouvoir m'asseoir. Partout c'est fermé. Je ne cherchais pas où manger, je jeûne depuis mon enfance. Mais j'ai envie de m'asseoir un peu. Me reposer. Un peu de Rahmat Rebbi», poursuit-il.
Vers 19h 30, les rues et les places des villages se vident.
C'est le moment de la rupture du jeûne. Autour de la table, personne ne manque. Ceux qui ont jeûné, dégustent la chorba aux côtés de ceux qui n'ont pas jeûné. Quelques minutes après, c'est le rush vers les cafés qui ouvrent enfin. Le domino, le loto et les randonnées sur les routes. En attendant la prochaine journée.
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Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Kamel BOUDJADI
Source : www.lexpressiondz.com