Mouloud Mammeri, à l’image de Desmond Tutu, ne se limitait pas durant son passage dans ce monde des mortels à un seul domaine de recherches car son nom est à jamais gravé dans le roc de la postérité, à l’écriture romanesque.
«L’espoir, c’est d’être capable de voir la lumière malgré l’obscurité.» Desmond Tutu
Par Arezki Hatem
En associant le nom de Mouloud Mammeri à celui de Desmond Tutu, archevêque anglican sud-africain, militant des droits de l’homme, infatigable activiste contre l’apartheid et lauréat du prix Nobel de la paix, est comme associer au même arbre de multiples plants pour une multitude de fécondités. Et aussi une comparaison subliminale pour mettre en relief l’idée que les grands hommes se situent au-dessus d’un seul seuil et se projettent au-delà des limites de leur champ de prédilection.
Mouloud Mammeri, à l’image de Desmond Tutu, ne se limitait pas durant son passage dans ce monde des mortels à un seul domaine de recherches, bien que ce monde soit étranger à l’enfant prodige de Taourirt Mimoun, car son nom est à jamais gravé dans le roc de la postérité, à l’écriture romanesque, mais en cherchant tel un chercheur d’os pour se pencher avec une puissante émotion sur la mémoire de Tahar Djaout, le fils d’Oulkhou, très lié à Mouloud Mammeri, pour offrir au legs ancestral les monuments de la postérité qui témoigneront du génie des ancêtres et l’inscrire ainsi sur le parchemin de l’éternité en termes de noblesse.
L’enfant d’Ath Yenni est né à Taourirt Mimoun en Grande Kabylie, le 28 décembre 1927. Il fréquenta l’école primaire du village. A onze ans, il partit pour le Maroc chez son oncle à Rabat. Il entrait en sixième au lycée Gouraud, puis de retour à Alger, quatre ans après, il entrait au lycée Bugeaud d’Alger, actuellement l’Emir Abdelkader. Ce fut ensuite le lycée Louis le Grand à Paris. Il pensait alors à l’Ecole normale supérieure.
Mobilisé en 1939, il suit l’Ecole supérieure d’aspirants de Cherchell. Remobilisé en 1942, il participe aux campagnes d’Italie, de France et d’Allemagne. Au retour, il passe un concours de professeur de lettres à Paris et est nommé à Médéa, puis à Ben Aknoun où il enseigne ́les lettres françaises à partir de 1947-1948. Tout au long de la guerre de l’indépendance, il s’exile au Maroc en 1957 afin d’échapper aux arrestations.
Mouloud Mammeri rentre en Algérie en 1962, il entame une riche et éclectique carrière d’enseignant universitaire dans l’ethnologie à l’université d’Alger et enseigne au même temps la langue amazighe. Cependant, l’autorisation de l’enseignement de tamazight à l’université d’Alger était tacite et non promulguée officiellement. D’où d’ailleurs son interdiction qui surviendra incessamment. Il a été directeur du Centre de recherches anthologiques, préhistorique et ethnographiques à Alger jusqu’au 1980 et dirigeait les cahiers d’études berbères Awal.
Cette multiplicité d’éruditions chez Mouloud Mammeri le mènera sur le chemin du militantisme linguistique, un engagement dont la juste et noble quête était la réconciliation de l’Algérie avec son identité essentielle, condition sine qua none pour un nouveau départ, pas de ces départs aux pieds bancals qui s’épuisent irréversiblement au milieu du chemin, mais un départ serein vers les rivages de la modernité et de la liberté.
L’œuvre littéraire de Mouloud Mammeri
L’œuvre littéraire de Mouloud Mammeri s’inscrit sur une voie classique et au croisement des humanités à qui l’excellence et le temps ont donné autorité et qui relève aussi d’une certaine esthétique dans la recherche de l’équilibre et de la sobriété.
Déjà, à son jeune âge, il commença à lire les grands classiques de la littérature française. Il avait lu Racine, Balzac mais aussi des auteurs russes et américains. Son écriture était ferme, solide, respectueuse des normes française sans sophistication ni hermétisme.
Quatre romans jalonnent l’œuvre de Mammeri : La Colline oubliée (1952) se situe dans le contexte du début de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Grande Kabylie où la jeunesse tente de secouer l’ordre établit et sortir des sentiers battus d’un parcours rodé par des codes de société aux insupportables goulots d’étouffements. Le héros prend, à la fin le chemin de l’exil. Le Sommeil du juste (1955) voit un algérien, officier, partir pour la campagne d’Italie.
Revenant à son village, il se retrouve engagé auprès de sa famille avec une autre famille dans une histoire de règlements de compte ; L’Opium et le bâton (1965) plonge le lecteur dans la guerre d’Algérie, montrant un médecin, partant pour le maquis mais sans entrain, un médecin en proie à un insoutenable malaise politique ; La traversée (1982), le protagoniste principal est un journaliste qui entame sa traversée de désert pour se purifier d’une société qui élève le sorcier et l’idéologue au piédestal de la société.
Le peuple est devenu un jouet entre les mains des mystiques et idéologues ; le journaliste revient dans son village pour y mourir et ́laisser ́les villageois en proie au dogme et la servitude. Mouloud Mammeri était aussi l’auteur de deux pièces de théâtre Le Fohen joué à Alger en 1967 et le Banquet en 1973, précédée par la mort absurde des aztèques.
L’œuvre romanesque de Mammeri est aussi une œuvre engagée, rebelle et surtout diseuse de vérités et semeuse de révolte. «Comment, dit Mammeri, peut-on enfermer des hommes et des femmes comme des moutons des hommes et des hommes qui ont chacun un visage, un nom, un cœur ?»
L’œuvre scientifique de Mouloud Mammeri
L’œuvre scientifique de Mouloud Mammeri s’articule autour de la recherche du patrimoine national algérien à travers la langue et culture berbère en Grande Kabylie et au Sud algérien (Gourara). La poésie kabyle ancienne était l’un de ses thèmes d’affection, en plus du conte. Il a travaillé sur les poèmes de Si Muhand (1969), Poètes kabyles anciens (1980), L’Ahellil de Gouraya (1984), une grammaire berbère kabyle (1976)…
Mouloud Mammeri était l’un des écrivains algériens les plus importants et les enracinés dans la recherche du patrimoine algérien dans sa dimension berbère et l’auteur qui a touché à plus de disciplines se vouant à l’étude de la riche profondeur anthropologique de l’Algérie. Sa disparition prématurée en 1987 a laissé le champ de recherche de sa prédilection orphelin d’une à l’érudition incommensurable.
Et la lettre de Mouloud Mammeri adressée à Tahar Djaout en 1987 témoigne de l’attachement irréversiblement de Mammeri à la terre de ses ancêtres : «Quand je regarde en arrière, je n’ai nul regret, je n’aurais pas voulu vivre autrement…» Il n’avait pas voulu vivre autrement que sur les pas de ses ascendants, éternels combattants et d’immenses résistants.
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Posté par : litteraturealgerie
Ecrit par : A. H.
Source : El Watan