Tizi-Ouzou - Revue de Presse

Communes rurales Où sont passées les soirées d’antan?



Communes rurales Où sont passées les soirées d’antan?
Publié le 21.03.2024 dans le Quotidien l’Expression

Les soirées culturelles étaient également au menu avec des pièces théâtrales, des récitals poétiques et autres activités répartis sur tous les centres urbains et chefs-lieux des communes.
Un air de fête régnait durant le mois sacré
Dans un passé pas si lointain, au bon vieux temps, les soirées du mois de Ramadhan s'animaient à travers les villages et les quartiers. On ne parle pas ici de l'époque de nos grands-parents mais de celle d'il y a juste quelques années. Les soirées dans les estaminets, les balades nocturnes à travers les grands boulevards. Il n'y a pas si longtemps, les soirées du mois sacré étaient toutes des occasions d'assister à des galas artistiques. Elles offraient l'opportunité de voir ou de revoir de grands artistes. Les soirées culturelles étaient également au menu avec des pièces théâtrales, des récitals poétiques et autres activités répartis sur tous les centres urbains et chefs-lieux des communes. Qu'en est-il cette année?

En quête d'une bonne ambiance

Une semaine s'est écoulée depuis le début du mois de Ramadhan et l'activité artistique et culturelle se concentre sur le chef-lieu de wilaya. La Maison de la culture Mouloud Mammeri, le théâtre régional Kateb Yacine, la cinémathèque s'animent grâce à un programme riche et varié concocté pour la circonstance par la direction de la culture. Mais, malgré la décentralisation de certaines activités via l'organisation de caravanes à travers les communes, les soirées demeurent plutôt moroses. Certaines villes, plus que d'autres, voient les familles sortir après la rupture du jeûne comme à Draâ Ben Khedda, mais l'écrasante majorité des circonscriptions surtout rurales vivent au rythme du Ramadhan. Dans la ville des Genêts, chef-lieu de wilaya, les soirées s'animent de jour en jour avec des familles qui commencent à prendre le rythme de l'ambiance imprimée par l'animation culturelle et artistique. «C'est un plaisir de sortir avec ses enfants pour marcher d'abord et ensuite assister à une activité culturelle. Moi, j'adore le théâtre et le programme concocté est très agréable», affirme un père de famille accosté dans l'avenue principale de la ville et à quelques mètres seulement de la Maison de la culture. Le théâtre régional accueille aussi beaucoup de familles. Les estaminets se remplissent, surtout ceux situés dans les quartiers de la haute ville. Les gens aiment toujours les discussions autour d'un café ou d'un gâteau traditionnel. «J'adore prendre un café en discutant avec des amis et voisins, d'autant plus que ce lieu s'est adapté à l'ambiance du mois de Ramadhan, mais je dois vous dire que les choses ne sont plus comme avant. Aujourd'hui, les boissons sont chères et les consommations quotidiennes ne sont plus à la portée de toutes les bourses. C'est pourquoi, la fréquentation des estaminets a sensiblement baissé», explique un homme rencontré dans un café de la haute ville.
Du côté des communes et des villages, la situation n'est guère meilleure. Dans les estaminets, ce n'est plus le grand monde comme au bon vieux temps. Les jeux de hasard comme il était de coutume, il y a juste quelques années, ne sont plus au menu. «Ces dernières années, l'ambiance est vraiment morose dans les villages. Même les chefs-lieux des communes ne s'animent pas. Moi personnellement, je ne peux plus me permettre de payer des cafés ou des boissons à des copains. C'est devenu trop cher. On ne peut plus se le permettre. Alors, comme vous le voyez, les gens préfèrent rester chez eux pour ne pas dépenser de l'argent», regrette un homme que l'on a interrogé dans l'estaminet d'un village.

Baisse de la fréquentation des estaminets

Pas de jeu de dominos, pas de parties de belote ou autre jeux de hasard, les soirées deviennent plates et moroses. Durant les soirées, on rencontre plus de jeunes pour des balades entre copains. Les plus nantis peuvent s'offrir quelques parties de baby-foot ou des jeux électroniques mais cette catégorie n'est pas du tout branchée sur les «kaâdate» autour d'une table d'un café ou de dominos. «Jouer aux dominos? Ça ne m'attire pas du tout. Je préfère discuter avec les amis ou partager une partie de baby-foot», explique un jeune qui affirme aussi que les soirées ramadhanesques n'ont aucun intérêt pour lui. «Ça c'est pour les vieux», ajoute-t-il.
Cette platitude qui règne durant les soirées peut pourtant être bousculée au niveau des communes. Au niveau de ces circonscriptions, il existe des services chargés de la culture et des arts aux côtés des commissions culturelles installées pour un mandat au niveau des assemblées. En effet, ces structures pourraient s'occuper de l'animation culturelle et artistique durant les soirées du mois de Ramadhan mais jusqu'à présent on n'en entend jamais parler durant cette période. Rares sont les communes où les soirées ramadhanesques sont animées. «C'est vrai, ces commissions devraient aller sur le terrain pour imprimer de l'animation à travers les villages. Ces dernières pourraient au moins programmer de l'animation dans les chefs-lieux», reconnaît un ancien élu au niveau de la commune de Boudjima.
Toujours au chapitre de l'animation des soirées du mois de Ramadhan au niveau des villages, nous avons rencontré des jeunes qui proposent carrément leurs services. Ils demandent à ce qu'il leur soit donné l'occasion de s'organiser pour mettre en place des programmes culturels et artistiques. «Nous sommes un groupe d'artistes. Nous cherchons juste un signal et un accompagnement pour animer les soirées. On peut prendre en charge ce volet volontairement et avec nos propres moyens. Pourvu qu'on nous donne le feu vert», assure Malik, un jeune guitariste. «Nous pouvons mettre en place un programme de galas, d'expositions ou autres. La commune dispose de salles adéquates comme les Maisons de jeunes et les centres culturels. Nous sommes des artistes et nous sommes près à assurer les galas gratuitement pour faire plaisir aux familles durant ces soirées», propose un autre jeune artiste.
Il y a quelques années, les villages rayonnaient durant ces soirées du mois de Ramadhan. À l'époque, un dense tissu d'associations culturelles assurait l'animation même dans les cours des écoles. «Il n'y a pas si longtemps, l'école de notre village abritait des galas artistiques pris en charge par les associations culturelles locales. Mais, aujourd'hui, ces associations ont disparu et les soirées sont devenues moroses», regrette un homme à la cinquantaine qui était d'ailleurs membre actif d'une association de sa commune.

Autres temps, autres moeurs

En fait, cette platitude qui s'installe d'année en année n'a pas uniquement pour origine le manque d'activités culturelles ou artistiques. Plusieurs autres raisons sont derrière cet état de fait. Pour certains, c'est plutôt le moral qui n'y est pas. «Moi, personnellement, je n'ai plus de plaisir à me distraire durant ces soirées. Comment demander de rire ou d'aller assister aux galas à un père de famille qui s'est endetté pour passer le mois de Ramadhan? Moi, personnellement, je suis dans cette situation et je ne trouve aucun plaisir à sortir même pour marcher», affirme un homme à la soixantaine. «Je n'ai pas les moyens d'emmener mes enfants voir des galas parce que si on sort on est toujours obligé de leur acheter des boissons ou autres. Alors, je préfère rester à la maison», ajoute un autre homme attablé à côté dans un estaminet de la ville de Draâ Ben Khedda.
La cherté de la vie, en partie et d'autres causes ont, au fil des années, engendré un changement dans le mode de vie. Peu à peu, mais sûrement, les comportements des citoyens sont en train de changer. Le temps n'est plus aux jeux de hasard dans les estaminets des villages ou aux balades entre copains. Les soirées passées autour d'une table dans un estaminet ne sont plus à la mode. Ces lieux ne sont plus, comme au bon vieux temps, prisés par les jeunes. Beaucoup de personnes affirment en fait préférer les séries télé et autres moyens de se distraire comme les réseaux sociaux. «Moi, je préfère rester à la maison regarder mes feuilletons préférés. Les séries sur les chaînes arabes du Golfe sont mon programme du mois de Ramadhan.
D'autres personnes interrogées affirmaient qu'Internet est le meilleur endroit pour passer de bonnes soirées. «Facebook est ‘mon estaminet'. Je discute avec mes amis pendant des heures entières. Quand on n'a plus grand-chose à se dire, je me mets sur YouTube pour regarder un film ou écouter de la musique, que voulez-vous que je fasse dehors?», affirme un enseignant de lycée qui nous retourne la question.
Enfin, il y a lieu de souligner la persistance d'une remarque au sujet des artistes et que nous avons, par fidélité à nos interlocuteurs, décidé d'inclure dans notre travail. Beaucoup de personnes reprochent en fait aux artistes de préférer se produire en France durant le mois de Ramadhan alors que l'écrasante majorité de leur public se trouve dans le pays. «Ils préfèrent chanter dans l'Hexagone. Ils nous abandonnent quoi...», ironise un amoureux de la chanson kabyle des années 70.
Kamel BOUDJADI

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