En Algérie, les déchets issus de la production d’huile finissent souvent, faute de solution simple, déversés dans la nature. Une pollution importante pour les cours d’eau, que dénoncent agriculteurs et écologistes.
Tamda, Tizi Rached (Algérie), reportage
«Ils déversent leurs ordures aussi bien la journée que le soir», lâche Mohand [*], un agriculteur excédé par l’amoncellement de déchets qui jouxtent le fleuve Sebaou d’où il tire l’eau qui lui sert à irriguer ses champs de fruits et légumes.
Casquette sur la tête, cet habitant de Tamda, petite ville proche de Tizi-Ouzou, à 100 kilomètres à l’est de la capitale Alger, pointe du doigt un amoncellement de petits cailloux bruns et désigne un filet noirâtre, provenant d’une conduite d’eau, qui va se mélanger à l’eau du fleuve.
. Le filet de liquide noir qui s’écoule des grignons, résidus de la production d’huile, colore le cours d’eau. © Sofiane Bakouri / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)
Ce sont les grignons, composés des résidus de pulpe, de peau et de fragments de noyaux; et la margine, un liquide acide, deux sous-produits issus du processus d’extraction de l’huile d’olive. «Tout ce qui se trouve dans l’eau, les poissons et le reste, tout va mourir à cause de ce liquide», fulmine Mohand en agitant les mains. L’agriculteur lance un regard accusateur vers le responsable de ces déversements.
Il s’agit d’une huilerie qui se trouve en amont des champs, au bord de l’autoroute menant vers Tizi-Ouzou. Méfiant, le gérant de cet établissement explique à demi-mot qu’il a une «convention» qui lui permettrait de recycler les déchets issus du pressage de l’huile d’olive. Un mensonge, selon Lyes Laidi, membre de l’association de protection environnementale Anza n Twenadt (Bruissement de la nature, en tamazight, langue berbère parlée en Kabylie).
. Lyes Laidi, 28 ans, est membre de l’association de protection environnementale Anza n Twenadt. © Sofiane Bakouri / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)
Le militant écologiste de 28 ans nous montre les chemins discrets qui permettent de traverser les nombreux champs et d’atteindre le fleuve. Ce sont ces pistes de terre qu’empruntent régulièrement des petits camions chargés de grignons pour vider leur contenu sans être inquiétés par les autorités.
«Dans ma propre famille, une personne qui possède un tracteur se chargeait de faire plusieurs dépôts par jour. Elle touchait 3.00 dinars [environ 20 euros] par chargement. Ce n’est pas rien», raconte Lyes Laidi qui habite Tizi Rached, un village proche de Tamda, où se trouvent plusieurs huileries.
. «Certains agriculteurs mettent le feu [aux grignons] et cela peut causer des incendies difficilement maîtrisables», explique Lyes Laidi. © Sofiane Bakouri / Reporterre
En Kabylie, la cueillette des olives, qui dure de novembre à février, est une activité ancestrale synonyme de partage et de retour à la terre natale. La tradition veut que chaque membre de la famille participe à l’effort commun pour disposer d’une part équitable du précieux liquide qu’il utilisera jusqu’à la saison prochaine.
- Des centaines d’huileries dans la région
Au fil des ans, la production oléicole s’est modernisée, devenant un secteur clé pour l’économie locale. Les services agricoles de la région de Tizi-Ouzou annoncent déjà des rendements records avec une production prévisionnelle de 12 millions de litres d’huile d’olive pour la saison 2025-2026.
Sur les montagnes caractéristiques de la wilaya (région), les huileries ont poussé comme des champignons. À Tizi-Ouzou, on en compte un peu plus de 350. Des traditionnelles, des semi-traditionnelles et des modernes, qui devraient être équipées de bassins de décantation pour le traitement des margines. Mais dans les faits, ces effluents toxiques sont encore déversés dans les réseaux d’assainissement public.
. Dégradation et acidification des sols, odeurs nauséabondes, pollution des eaux, destruction de la microfaune et de la microflore... Les dégâts de ces dépôts sauvages sont nombreux. © Sofiane Bakouri / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)
«Les margines ont un impact environnemental très sévère et multiple, considéré comme l’un des principaux problèmes de pollution de l’industrie agroalimentaire dans les régions méditerranéennes», note Mourad Hamlat, maître de conférences à la faculté des sciences de la nature et de la vie à l’université de Bejaïa.
«Elles participent à la pollution et à la dégradation des sols à cause de leur acidité. Leur rejet dans la nature engendre des odeurs nauséabondes et génère des gaz à effet de serre. Elles polluent les eaux superficielles et souterraines et provoquent la destruction de la microfaune et la microflore», explique ce spécialiste.
«Quelqu’un est venu durant la nuit pour décharger ce tas juste au bord de la route»
Aussi, le début de la saison est synonyme d’inquiétude pour Zohra Benkhalfa et ses proches qui vivent aux abords du fleuve Sebaou. L’agricultrice de 33 ans se bat quotidiennement contre les responsables des déversements sauvages.
Entourée des nombreux chiens qu’elle recueille, elle nous montre un tas de grignons qui a été déversé sur le chemin qui mène à sa maison. «La mairie m’a accordé le droit d’installer un portail», nous dit Zohra en montrant un grillage de fortune, «mais quelqu’un est venu durant la nuit pour décharger ce tas juste au bord de la route», raconte-t-elle.
. Zohra avec les chiens qu’elle a recueillis sur un amas de grignons d’olives, tache sombre au milieu du champ. © Sofiane Bakouri / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)
«Les grignons sont extrêmement inflammables, l’été dernier nous avons eu des problèmes», poursuit la jeune femme. Car pour se débarrasser de ces déchets encombrants, «certains agriculteurs y mettent le feu et cela peut causer des incendies difficilement maîtrisables», précise Lyes Laidi. La région de Tizi-Ouzou, qui souffre de sécheresse en été, reste marquée par les feux de forêt meurtriers qui ont causé la mort de plus d’une centaine de personnes ces cinq dernières années.
Pour le jeune militant écologiste, la question de la gestion des déchets de la production oléicole constitue une problématique majeure que les mesures prises par les autorités n’arrivent pas à endiguer.
En 2024, quatorze huileries de la région ont été fermées par la direction de l’environnement locale car elles ne respectaient pas les consignes d’hygiène. Au lancement de la campagne oléicole, les autorités ont appelé les propriétaires d’huileries à nettoyer leurs bassins de décantation et fait de la prévention auprès de certains d’entre eux pour qu’ils recyclent les résidus du pressage des olives, mais aucune solution concrète ne leur a été proposée.
. Ghenima, la mère de Zohra. Malgré le portail, les dépôts sauvages se poursuivent à proximité. © Sofiane Bakouri / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)
«Ces sous-produits ne font l’objet d’aucun programme de valorisation», regrette l’expert agronome Akli Moussouni. «Or les grignons, après compostage, et la margine, après traitement, peuvent être utilisés à des fins agricoles comme engrais. Les grignons peuvent aussi être transformés en alimentation animale et en combustible», explique Akli Moussouni.
Reste que le traitement de ces déchets a «un coût difficilement supportable par les propriétaires de huileries et il n’existe pas de stations de traitement locales ou de collecte de ces résidus», fait remarquer le professeur Mourad Hamlat. Alors, plusieurs gérants de huileries qui ne savent pas quoi faire de ces résidus encombrants, avouent simplement qu’ils s’en débarrassent dans la nature.
Le traitement de ces déchets a «un coût difficilement supportable par les propriétaires de huileries et il n’existe pas de stations de traitement locales ou de collecte de ces résidus», explique le professeur Mourad Hamlat. © Sofiane Bakouri / Reporterre
D’autres, dont l’établissement fonctionne encore avec des fours traditionnels, font de la récupération. Dans son huilerie familiale qui se trouve sur les hauteurs de Tizi Rached, Amara [*] nous montre la chaufferie qui permet de faire fonctionner son moulin semi-moderne.
«J’utilise une partie des grignons comme combustible pour mon four et j’en donne une autre partie à une entreprise qui fait de la récupération», explique le quarantenaire. Dans la région, de rares entrepreneurs se sont lancés dans la transformation de ces déchets agricoles pour en faire des bûches biocombustibles destinées au chauffage domestique et industriel.
Pour Mohand, l’agriculteur, la solution pourrait venir d’un de ces importuns pollueurs. «Je me suis entendu avec l’un d’entre eux. Je vais lui louer un bout de mon terrain où il pourra entreposer les grignons le temps qu’il les transporte vers une entreprise qui fait de la récupération. Comme ça tout le monde est gagnant!» tonne vigoureusement le paysan.
Notes
[*] Le prénom a été modifié à sa demande.
Photo: Les tas de grignons, composés de résidus de la production d'huile, s'accumulent au bord des cours d'eau qu'ils polluent. - © Sofiane Bakouri / Reporterre
Pour voir l'article dans son intégralité avec toutes les illustrations: https://reporterre.net/Tout-ce-qui-se-trouve-dans-l-eau-va-mourir-en-Algerie-les-dechets-de-la-production-d-huile-d-olive-polluent-les-fleuves
Par Zahra Rahmouni et Sofiane Bakouri (photographies)
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Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Zahra Rahmouni et Sofiane Bakouri (photographies)
Source : https://reporterre.net/