Tipaza - 08- La guerre de libération

Guerre d’Algérie (1954-1962) : le calvaire d’un soldat du contingent fait prisonnier par l’ALN à Bouyemen Lalla-Ouda



Guerre d’Algérie (1954-1962) : le calvaire d’un soldat du contingent fait prisonnier  par l’ALN à Bouyemen Lalla-Ouda
Le 28 février 1957, un groupe de combattants nationalistes algériens, dirigé par Mohamed Hanoufi, alias si Abdelhaq, accroche violemment un convoi de l’armée coloniale à Bouyemen-Lalla-Ouda, dans l’arrière pays de Dupleix (Damous.) les forces adverses y laisseront au moins 21 soldats tués, un sera fait prisonnier, quatre véhicule militaires ont détruits et un hélicoptère abattu. Armes et paquetages des victimes seront récupérés par les combattants de l’ALN. Si Abdelhaq, qui se voulait un exemple pour ses compagnons, qui se plaçait toujours en tête de ses djounouds, fera partie du nombre des victimes tombées du côté ALN.



A notre modeste connaissance, le nom de Mohamed Hanoufi alias Si Abdelhaq, un authentique héros de la révolution algérienne, ne figure sur aucun document ou livre publié à ce jour, estampillé historique, consacré aux « Evènements » d’Algérie.

Et pour cause ? Avec des moyens humains et matériel dérisoires, pendant au moins une année, il ridiculisera l’état major de l’une des plus puissantes armées du monde, forcera l’admiration de ses compagnons et de son peuple. On peut dire qu’il a placé la barre de l’héroïsme et de la morale du combat anticolonial si haut qu’elle ne sera sans doute jamais effleurée par aucun des béni Hilal, des félons et dévastateurs qui ont confisqué l’indépendance de l’Algérie, ruiné son image, tari ses ressources, outragé son peuple, faussé son histoire.

Que les algériens qui sont légitimement écœurés par leur racaille politicienne, corrompue jusqu’à la moelle des os, se rassurent, il n’existe aucun lien de parenté entre leurs dirigeants post coloniaux et l’esprit d’une révolution authentiquement populaire. Comparer un quiconque mafieux de leurs dirigeant actuels à leurs glorieux martyrs d’antan reviendrait à faire violence à la vertu pour la contraindre à s’incliner devant le vice.



Appartenant à une famille authentiquement révolutionnaire, notre maison fut, de 1956 à 1959, le passage obligé pour les combattants nationalistes algériens circulant d’Est-Ouest et vice versa ou affectés en zone IV de la wilaya IV, dans la vallée de Kellal, arrière pays de Gouraya.

Je tiens à préciser que je n’ai vu le jeune soldat fait prisonnier à Bouyemen qu’une seule fois, de nuit, vers le le 2 mars 1957. Cependant, grâce à un réseau de témoins oculaires, concordants, j’ai pu suivre son chemin de croix jusque son terme tragique.

Il y a longtemps que j’ai voulu écrire l’histoire de ce jeune soldat français du contingent. Cependant, plus d’un demi siècle après les faits, mes multiples tentatives de l’écrire ont échouées à cause d’une intense émotion qui me glace le sang dans les veines, me crispe les muscles et me paralyse le cerveau à chaque fois que je me mets devant mon clavier.

Aussi, suis-je conscient que bien que fort tardif, mon témoignage peut être ressenti par certaines personnes comme une lame acérée remuée dans des plaies en voie de cicatrisation ou raviver chez elles de douloureux souvenirs en voie d’apaisement. Je m’en excuse et les rassure que moi-même, un peu plus d’un demi-siècle après les faits, la souffrance du jeune soldat fait prisonnier à Bouyemen me donne encore des sueurs glacées, me fait passer des nuits agitées, sans sommeil, comme s’il était de ma famille, comme s’il était : mon frère, ma mère ou mon père, qui furent tous les trois victimes des violences coloniales.

Aussi, suis-je conscient qu’écrire sous la tyrannie de l’émotion n’est pas aisé. Mes propos peuvent être maladroits, mal compris au point de choquer des âmes sensibles, notamment des personnes qui peuvent reconnaître la victime dans mes propos.

Ma présente démarche ne tend ni à occulter, ni à amoindrir, ni à trouver des circonstances atténuantes aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité perpétrés par l’armée française durant la guerre d’Algérie (1954-1962.) Cependant, ces crimes indignes d’une nation comme la France ne doivent nullement légitimer ceux de certains seigneurs de la guerre du FLN/ALN.





Suite à leur retour de l’accrochage de Bouyemen-Lalla-Ouda, en attendant que le couscous de ma mère leur soit prêt et servi dans une aile de notre maison, les combattants nationalistes algériens exhibaient leurs trophées de guerre : armes, vêtements, pataugas, ceinturons, ensanglantés. Et, un jeune soldat du contingent fait prisonnier, qui est légèrement vêtu, transi de froid et de peur, qui n’avait pas mangé depuis au moins 24 heures, qui suppliait dans un arabe des plus approximatif : « Ya Khaouti ma téqlounich » (mes frères ne me tuez pas. »

Une fois le couscous fut servi, le jeune captif refuse de s’alimenter. Je courre vers ma mère pour l’informer de sa présence parmi nos vaillants combattants. A son tour, elle accoure vers ses nids de poule, attrape quatre œufs frais, les met à bouillir. Une fois cuits, elle me les confie accompagnés d’une pincée de sel, me charge de les lui offrir. Aussi m’a-elle chargé d’exhorter le chef des moudjahidine de ne pas rendre : « Sa mère malheureuse. »

Quand je lui avais présenté le cadeau de ma mère, le jeune soldat éclatait littéralement en sanglots et le refuse. Le successeur de Si Abdelhaq, une brute, un certain Sihka, le lui arrache des mains : « C’est pour mes djounouds », lui dit-il sèchement. Etant sous notre toit, en présence de mon père, alors « président du comité populaire du FLN», de mon frère Mohamed, engagé dans les rangs du même FLN, la brute, Sihka, tente de se rattraper en me disant : « Vas dire à ta mère qu’aucun mal ne sera fait à notre prisonnier. Nous ne rendrons pas sa mère malheureuse."



La quasi-totalité des populations alliées du FLN/ALN qui ont vu le prisonnier ont d’abord demandé à son geôlier de lui épargner des souffrances inutiles. Les nationalistes algériens n’avaient pas les moyens de garder des prisonniers. Le soldat de Bouyemen a visité plusieurs douars alliés du FLN/ALN. Le libérer serait de prendre le risque de faire s’abattre une féroce répression sur ces populations. Par conséquent, son sort était scellé. Cependant, le livrer à une minorité de revanchards, qui avaient jusqu’à là gardé leur distance vis-à-vis des nationalistes algériens, était indigne d’une révolution populaire comme la révolution algérienne.

Ce gosse était cruellement traité. Un jeune combattant nationaliste désapprouve les méthodes de son chef. Il propose de le tuer sans le tourmenter ni l’humilier. Dans un monde de brutes, la pitié, l’un des principaux attributs de l’espèce humaine, est toujours synonyme sinon de lâcheté du moins de faiblesse. La brute Sihka désarme son contradicteur, lui brise le genou à l’aide de la crosse de son fusil pour ne pas qu'il s’enfuit, le dote de deux branche en guise de béquille. Une fois arrivés à Hayouna, arrière pays d’Oued Messelmouhn, le même Sihka présente aux populations le jeune soldat fait prisonnier à Bouyemen comme étant un tortionnaire et le tueur de Si Abdelhak, de leur héros et le jeune algérien au genou brisé comme étant un harki, son complice. Le soldat français aura les mains et pieds liés derrière le dos, couché face contre terre, lapidé jusqu'à ce que mort s'en suive par une dizaine de personnes excitées par Sihka.

Quant à son infortuné compagnon, qui a commis le crime d’avoir eu pitié d’un prisonnier, sera mis à mort par pendaison.

Le pendu était le fils de la dame qui a préparé le couscous aux combattants de l’ALN avant et après l’accrochage de Bouyemen, qui a offert des œufs bouillis au jeune prisonnier et du président du comité populaire de la vallée de Kellal. C’était mon frère Mohamed, qui laissera une jeune veuve enceinte d’une fillette qu’il ne prendra jamais dans ses bras.
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