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La Baie aux jeunes filles de Fatiha Nesrine, ed L'Harmattan, 2000



La Baie aux jeunes filles de Fatiha Nesrine, ed  L'Harmattan, 2000
Quand la tête demeure « l’unique espace de liberté »

« Moi, je ne parle pas », confie la fillette.
« Quand ma mère me mit au monde - j’avais été patiente – l’accoucheuse conseilla de m’emmailloter avec la corde de l’âne bâté
(…) Quand au pourquoi, je suppose qu’une corde de mulet apprend la docilité aux plus rebelles. »
Co-auteur de plusieurs manuels scolaires et ce, jusqu’à sa retraite (2002), Fatiha Nesrine nous a offert La Baie aux jeunes filles, il y a de cela cinq ans. Roman, récit, poésies en cascades éternelles, conte, fable ? « Inclassable », dit le critique littéraire, le vrai! Est-ce pour cela qu’on en a presque pas parlé chez nous, ici ?

A peine la première lecture terminée, on a vite envie d’y replonger pour le mystère, la saveur des mots, l’odeur des fleurs, la lumière prisonnière d’un soleil marin, le silence des « Gens de la cité » qui dorment dans ce « bienheureux cimetière », seul espace de réelle liberté qui fait face à la Baie aux Jeunes Filles, plage « (…) réservée aux femmes (et donc fermée aux hommes) dès la puberté. » Relire pour s’engager dans ce dédale faits de murs auxquels on s’adosse, on se colle, on s’accroche, on s’agrippe, on se réchauffe… et contre lequel on se tasse pour ne pas remuer, pour s’engourdir « comme le filet d’eau surpris par le froid sous le rocher,… » D’ailleurs, vous ne pouvez échapper à cet espace pris entre collines et mer comme ces femmes emmurées dans le silence de la « bête » soumission à l’autre, de celui qui d’un regard, en levant simplement les yeux, vous transperce et vous fige en « statut du péché. »

Les murs sont ici, là, ailleurs, partout. Hauts et courts, épais ou minces, lisses ou grumeleux, glacials ou brûlants, hideux ou merveilleux… Il y en a même qui portent des barbelés en chapeau. Véritables obstacles à l’amour, à l’école, au jardin publique que les Colons protègent contre ces Indigènes qui gênent. C’est le mur de la parole interdite, du geste mesuré, du regard freiné. D’ailleurs, « Une muraille invisible semble envelopper le quartier. » Et pourtant, les murs « résonnent des coups donnés, (…) Ils doivent tous se parler. »

La mer et le cimetière, seuls lieux où les femmes retrouvent leur liberté, la vraie, celle qui offre à la tête le véritable espace de l’Humanité. On salue d’abord « Les gens de la Cité » qui dorment du sommeil éternel, avant de rejoindre la Baie aux Jeunes Filles, lieu de liberté… imposé.

Et puis, il y a le Géant que raconte Fatima, l’unique sœur et non mariée de Ahmed le fou. Mais qui est donc ce géant ? Fatha Nesrine veut bien en faire un mystère, une véritable charade.

« Et le géant ? Le vrai.
(…)
Le géant n’est pas l’olivier.
Alors, un rocher ?
Un rai de lumière concentrée ?
Une paupière, voûte ouverte, printemps de l’amandier, piège vert, blanc, irisé, halo de senteurs, refuge des nuits d’été ?
(…)
Une onomatopée ? Une harmonie de sons ? La véhémence de l’été ?
(…)
Le géant est peut-être un arbre. Le géant est sans doute la fois d’après, celle qui ne recommencera pas…
Un voilier accostant sans écueil ?
Une baie où se reposer ?
(…) Sur le rivage, le géant s’est ensablé… Sur le chemin, un figuier,
Vieux comme la Méditerranée (…) Donnent des œufs bleus, tendres… »

Et, au moment même où l’on croit deviner, l’auteur nous renvoie à la question :
« Qui est le géant ?
Personne ne le connaît. Moi, les femmes me l’ont raconté. Il y a longtemps.»

Moi, je crois avoir deviné. Mur protecteur et obstacle infranchissable, bon et effrayant géant qui, signifiant haut et fort son incontournable présence dans le silence qui tue, réduisant l’espace de liberté à cet espace qu’aucun interdit, qu’aucune loi humaine ne réussira jamais à violer : l’esprit. N’est-ce pas ce mur obstiné, ce géant qu’on ne peut approcher même quand il sommeille, qui refuse la scolarité de sa fille ? Et la fillette de se demander si elle apprendra à tuer le temps comme sa mère, des jours, des mois, des années, si elle devra apprendre à « S’abîmer en prières muettes pour des jours meilleurs ? » L’enfant qui a patienté avant même de naître patientera encore et encore jusqu’au jour où la mère décide de l’envoyer à l’école… en secret.

Commence alors un véritable et douloureux jeu de cache-cache avec le mur géant.

Najia Abeer



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