...Les
forteresses identitaires résisteront aux coups de bélier de la dépersonnalisation
et de la perdition intellectuelle. Guenzet, chef-lieu de daira et commune des
Ith Yalla est plus fébrile que d'habitude ; il s'y tient, du 15 au 17 avril, le
deuxième colloque culturel commémorant la Journée du Savoir (Youm El Ilm)
célébrée le 16 avril,date anniversaire de la disparition de Cheikh Abdelhamid
Benbadis.
Le thème de cette
édition avait pour intitulé : «Savoir et développement». Rattachée
administrativement à la wilaya de Sétif à 85 km, elle accède plus facilement à
celle de Bordj Bou Arreridj dont elle n'est séparée que d'à peine 42 km.
Partagée par cette bipolarité, sa population cogite entre deux sentiments,
celui de l'appartenance territoriale et celui de la commodité de la proximité.
Elle aura donc à faire son choix selon la nature de la problématique. Elle
donne, du côté nord, le dos à la wilaya de Bejaia relativement proche, mais
d'accès difficile de par l'escarpement du relief.
L'agglomération
étirée en conurbation longe la route montagneuse et s'il fallait schématiser la
configuration, elle prendrait la forme d'un Y interminable prolongé par ses
trois chemins d'accès. Cernée par un impressionnant cirque montagneux, elle
semble tenir en équilibre au milieu du vide environnemental. La nuit tombée,
l'aire géographique ravinée est constellée d'une multitude de lueurs montantes
des 19 villages et hameaux. La plupart des groupements humains, disposent d'une
mosquée surmontée d'un minaret, comme pour signaler de loin, l'appartenance
religieuse. Sa population en basse saison ne serait que de 4000 habitants, elle
triplerait en haute saison avec le rush des vacanciers. Mme Naima Kermiche de
l'Association «Ith Yalla», parle elle, sans connotation péjorative,
d'expatriés. Les belles demeures individuelles et apparemment encore inhabitées
en cette période de l'année, appartiennent à la diaspora installée
momentanément ailleurs. L'attache culturelle, trop forte pour être rompue, a
généré cette transhumance urbaine.
Ce flux migratoire, qui a toujours existé
entre le village et Mezghena (Alger) est séculaire ; de vieilles familles
algéroises, tirent leur origine des Béni Yalla. En plus des grandes figures de
la pensée islamique, dans le sillage de Cheikh Fodil El Ourtinali du voisinage,
tels que cheikh El Hachemi Bentayeb ou Cheikh Arezki Salah, des personnalités
issues de la région, ont été des figures de proue du mouvement national et lors
de la lutte pour le recouvrement de la souveraineté nationale.
Il y a lieu d'en
citer à titre illustratif : Si M'hamed Bougara, commandant de la wilaya IV
historique, Malika Gaid, Debbih Chérif, M'Hamed Zekkal, morts pour la cause
nationale ou ceux qui ont survécu aux affres de la guerre, tels que Youcef
Yaloui, Smail Hamdani et d'autres encore issus de la matrice généreuse de ce
Haut lieu de la résistance à l'effacement identitaire. Lalla Sadouda, est cette
Yallaouia non voyante qui a pris son bâton de pèlerine pour lutter contre
l'obscurantisme dans les foyers. Disparue en 1977, elle avait consacré sa vie à
la prédication en inculquant les versets coraniques et les préceptes édictés
par la Sunna. Elle donnait avant l'heure, des leçons de probité religieuse aux
prosélitiques nouveaux prophètes. Le village d'apparence paisible, garde
jalousement le vieux bâti, constitué de locaux commerciaux et d'échoppes. La
langue arabe, en bonne place sur les écriteaux des devantures, à une ou deux
exceptions cependant, celle de la pharmacie en français et celle du siège de
l'Assemblée populaire communale écrite dans les trois langues usuelles, ne
semble déranger personne.
La mosquée
principale, du nom du village, est un joyau architectural dans le plus raffiné
des styles arabo islamiques. La salle des ablutions en sous sol, très aérée et
fonctionnelle rendrait pâle de jalousie, de nombreux hauts lieux du culte.
Le souci
d'économie de l'eau, est perceptible à travers des robinets à poussoir. Le
sermon du vendredi, délivré par un jeune imam, est une anthologie dans le
prêche. Libéré du généralisme unanimiste, le jeune prêcheur fait cadrer son
discours à l'événement du jour : le Savoir dans sa portée universaliste.
L'Islam, disait-il en substance, incite à l'acquisition du savoir sans
restriction, à ce titre, il s'agira autant de physique nucléaire que de gamme
musicale. La nation musulmane qui a été à l'avant-garde des découvertes
scientifiques de l'humanité, n'est même pas capable de se construire l'avion
qui la transbordera aux lieux saints de l'Islam. Et là, tout était dit ! Il
continuera pour dire : «Préservons la langue arabe, conservons le français
comme butin de guerre, développons par les sciences de la linguistique,
tamazight, apprenons l'anglais qui est la langue du futur scientifique et enfin
le chinois, pour la fulgurante ascension économique de cette nation». Merci,
pour cette leçon de clairvoyance et d'ouverture sur la modernité ; en dépit de
votre jeune âge, vous êtes déjà un Cheikh. Cette ambiance culturelle et
cultuelle à la fois, ne date pas assurément d'aujourd'hui, elle tire son
essence de ce qu'à rappelé l'historien le Pr M'Hand Arezi Ferrad dans sa communication
intitulée : «Le mouvement réformateur chez les Béni Yalla». Le sanctuaire des
martyrs, au cÅ“ur même de la ville, abrite près de 660 victimes dont les noms
sont tous gravés, sur un imposant mémorial en marbre. S'il fallait rapporter ce
nombre impressionnant à la population d'alors, le ratio serait probablement de
20%. Ombragés et bien gardés, les lieux baignent dans la quiétude.
La route qui mène à Guenzet à partir de
Sétif, est celle qui mène en même temps à Béjaia sur quelques kilomètres, elle
bifurquera sur la gauche au niveau de Ain Abbassa. Elle traversera
respectivement Bougâa, Guergour célèbre par sa station thermale, Bouferoudj,
Kordjana, Harbil, Ain Roua, Dar El Hadj pour aboutir à la plate forme en nid
d'aigle de Guenzet. L'étymologie du toponyme serait d'origine berbère et
voudrait dire selon toute vraisemblance : «Là, où l'eau a jailli». Tourmentée
et relativement dangereuse, elle n'est pas sans risque pour le profane. Son
caractère tortueux, prive le conducteur de jouir du sublime panorama à deux
facettes : le précipice d'un coté ou le contrefort montagneux de l'autre. Le
couvert végétal est agrémenté de plages vertes des champs cultivés et de
l'arborescence verdoyante printanière des vergers. Le maquis clairsemé de
genets flamboyants et de bouquets d'essence forestière, couvre harmonieusement
le relief ascensionnel. L'olivier séculaire et le figuier règnent en maîtres
des lieux. Cette région de la Kabylie orientale a été jadis le grenier oléicole
des Hauts plateaux sétifiens.
La paupérisation
de la campagne a fait expurger l'économie rurale de ses principes fondateurs
dont celui : s'y suffire pour pouvoir y vivre. Et si à chaque chose malheur est
bon, le dénuement de Guenzet en établissements d'accueil hôtelier a permis de
conserver, encore vivace, la chaîne de solidarité, c'est ainsi que la localité
accueille ses convives du moment, dans des demeures mises gracieusement à
disposition par leurs propriétaires. Qu'ils en soient remerciés. Le centre de
formation professionnelle et d'apprentissage, à l'autre bout de la ville, a été
mis à contribution pour recevoir la conférence et dresser la table. Il a été
remarqué dans cet établissement aussi que l'écriture arabe, est encore celle de
l'orientation. L'hôte et maître de séant n'est autre que le Dr Ammar Benadouda,
maire de la cité. Revisiter l'itinéraire de cet humaniste, reviendrait à
réduire son combat à un quelconque C.V. Il nous suffit de dire que ce monstre
sacré de la santé publique, a été de toutes les luttes dont celle, combien
exaltante, menée contre le dénuement socio sanitaire du pays au lendemain du
recouvrement de la souveraineté nationale. Il a fait, au crépuscule d'une vie
bien remplie, le vÅ“u de rejoindre les siens à l'effet de les accompagner un
bout de chemin, dans leur lutte contre l'adversité. On ne peut s'empêcher de
faire le parallèle, entre cette forte personnalité et Santiago le pêcheur
cubain d'Ernest Hemingway.
Revenu dans sa
région qui a, autant souffert des effets de la machine de guerre coloniale que
des exactions lors des récentes turbulences qu'a subies le pays ;il fait de
l'enfance son credo et de la jeunesse son objectif principal. Il s'attellera,
dès sa prise de fonctions, à réhabiliter des écoles qu'il trouvait, selon sa
vision, dans un état pas toujours satisfaisant. En plus des infrastructures
préexistantes destinées aux jeunes, il mettra à leur disposition un complexe de
proximité. Les autres axes de développement seront l'eau et le gaz naturel. Il
vient d'apprendre par la voix du wali, venu pour l'ouverture officielle du
colloque, que les travaux de raccordement au réseau de gaz, débuteront au plus
tard en juin prochain. Les Guenzatis passeront, probablement, le premier hiver
de toute leur existence, dans la chaleur ouatée des attributs de la modernité.
En ouverture à la manifestation culturelle, les experts du Centre national
d'études et d'analyses pour la population et le développement (CENEAP) ont rendu
dans une communication, les résultats de l'étude relative au développement de
la zone montagneuse nord de la wilaya de Sétif. Ne restera donc que la mise en
place des ressources financières, à l'effet de concrétiser les différentes
phases d'un programme de développement spécifique. La maison de jeunes devenue
le point nodal des activités culturelles et récréatives de l'agglomération, a
abrité en soirée, une conférence-débat thématique : «Islam et amazighité». Elle
fut animée par l'historien M'Hand Arezki Ferrad, les universitaires Mohamed
Saidi et Kamel Abdeslam. L'horaire était fixé après la prière du maghreb.
Et, c'est sans
complexe aucun que les organisateurs ont confectionné toute la documentation du
colloque de haute facture sérigraphique en arabe, des parenthèses latines
étaient ouvertes de temps à autre pour expliciter la dénomination francisée de
certaines institutions participantes. Le programme des journées, n'omettait
jamais l'horaire des prières obligatoires. Sortie des sentiers battus, cette
rencontre a visé principalement la jeune génération, par le rappel d'un
glorieux passé culturel, un présent à débattre pour un avenir meilleur. Parmi
la douzaine d'intervenants, la majorité avait moins de trente d'âge, notamment,
les experts du Centre de recherche en études et analyse de développement
(CREAD). Il a été question d'agriculture de montagne, de cuniculture (élevage
du lapin), de chèvrerie et d'apiculture. Les programmes nationaux de
développement de l'économie agricole, n'ont pas manqué d'être évoqués et les
mécanismes de mise en Å“uvre portés à la connaissance des jeunes. La magistrale
communication du vendredi matin de Ould Moussa, consultant et expert
international en économie, a mis «le feu aux poudres».
Usant de
pédagogie didactique, il a su faire «entendre les mouches voler». Le verbe haut
et clair, il subjugua l'assistance par la netteté du propos perlé de métaphores
pragmatiques du terroir paysan. Revenant sur les efforts de développement tous
azimuts, il ne manquera pas de signaler les scories de plans sectoriels éclatés
qui ne peuvent, en aucun cas, cerner tous les contours d'une problématique
globale posée par le sous équipement local. Il serait même tenté de dire à ce
titre : «On aurait pu réaliser ce projet ici ou là encore !». Il est clair que
cette planification pêche par ses défauts de pertinence et même de cohérence.
La règle dans ces contrées difficiles d'accès serait de : Produire localement
pour vendre aux marchés nationaux et internationaux. La jeune industrie de
l'agro alimentaire de la Soummam est là pour prouver, si besoin est, la
pertinence des choix économiques. Kamel Bouchama, ancien ministre et diplomate
était dans son élément. Son riche parcours de médersien dans le mouvement
national juvénile, ses charges ministérielles dans le secteur de la jeunesse et
son statut d'intellectuel, lui valent un capital- crédit dont une multitude de
jeunes pourraient en faire un modèle accompli. Sa communication a consisté à
dérouler les chroniques du Savoir dans l'Islam et sa prépondérance sur toutes
les autres disciplines. Mohamed Saidi et Ammar Benadouda ont respectivement
développé : «Culture et développement», «Santé et développement». Ainsi,
s'achevait ce deuxième colloque consacré à l'acquisition des connaissances pour
un mieux-être intellectuel et matériel à la fois, dans une dynamique intégrée
de développement local global et durable.
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Posté par : sofiane
Ecrit par : Farouk Zahi
Source : www.lequotidien-oran.com