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«Il y a un bouleversementradical dans les habitudes alimentaires» Amokrane Abderrezak.Sociologue, enseignant à l'université de Sétif



Amokrane Abderrezak, auteur de plusieurs ouvrages de sociologie, est actuellement enseignant à l'université Ferhat Abbas de Sétif après avoir exercé les fonctions de chef de département de sociologie au sein de cette même université.
Docteur en sociologie du développement, il est diplômé de l'université de York (Grande-Bretagne). Il explique «le bouleversement des habitudes alimentaires chez les Algériens».
-Depuis quelques années, les habitudes alimentaires des Algériens évoluent et sont en changement de manière constante. Comment peut-on expliquer ces changements d'un point de vue sociologique '
Permettez-moi, en guise de réponse, de faire les remarques suivantes. Premièrement, vous avez utilisé le concept «changement» pour décrire les habitudes alimentaires des Algériens et je préfère, comme sociologue, utiliser le concept «bouleversement radical». Le changement renvoie à des images de transition entre une période de temps et une autre sans vraiment définir avec clarté la nature de cette transition. Mais «bouleversement» indique que la nature des habitudes alimentaires des Algériens est complètement différente comparée à celles du passé récent ou lointain. La seconde remarque met en relief le fait suivant : on ne peut isoler les habitudes alimentaires des Algériens du contexte historique et social actuel que vit la société algérienne. Donc, les changements ou bouleversements touchant ces habitudes prennent racine dans ce contexte. L'analyste, le sociologue et le chercheur interpellent sans cesse ce contexte afin d'expliquer des phénomènes récurrents, tout en étudiant les corrélations existantes entre les multiples sphères de la société liées au phénomène étudié.
Ceci dit, comme dernière remarque, plusieurs facteurs ont contribué, et continuent de le faire, dans le bouleversement touchant les habitudes alimentaires. A mon avis, la cellule familiale est l'espace central de tout changement crucial dans la société. La femme algérienne, comme femme au foyer ou comme femme au travail ou comme étudiante à l'université, est portée vers ce qui est nouveau, moderne, donnant des sens à la vie, non expérimenté auparavant. Cet outre-mer est riche de sensations et d'inventions et la femme algérienne, à ce niveau, ne différencie pas entre un ailleurs oriental et un ailleurs occidental. Dans sa nouvelle orientation portée vers le meilleur, le différent et le moderne, elle a entraîné dans son sillage les autres membres de la famille, convaincus malgré des réticences vite battues.
-Donc le changement en question tire son origine de la cellule familiale d'abord'
L'étude des habitudes alimentaires, au niveau de la cellule familiale, démontrera sûrement comment se côtoient d'autres facteurs dans cet espace restreint mais plein de vie. L'économique, avec toutes ses contraintes, pousse l'Algérien à construire son mode de vie autour de la notion de «dehors» au lieu de «chez soi» comme jadis. On mange tous dehors parce qu'on travaille et qu'on étudie et parce qu'on n'a pas le temps de rentrer à midi. En outre, l'ère de la mondialisation déferlante nous soumet à un système de valeurs contraignant mais séduisant ; les images, la publicité et les effets spéciaux ont démoli les résistances les plus ardues. Ces facteurs, ensemble, expliquent pourquoi la pizza est plus présente que la galette traditionnelle (kasra) et que le couscous (plat traditionnel) n'est mangé qu'à l'occasion des fêtes.
-Un récent rapport de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) indique qu'une bonne partie (plus de 50%) du budget des ménages algériens est consacrée à l'alimentaire. Quelle lecture pouvez-vous en faire '
Cette statistique démontre sans équivoque un immense gâchis et un ahurissant échec de toutes les politiques menées par les pouvoirs publics depuis 1962.Ces politiques ont construit un Algérien/ventre et ont oublié d'inclure dans leurs stratégies la construction de l'Algérien/esprit. Le pouvoir algérien nous a déjà choqués dans les années quatre-vingt-dix en nous révélant, à travers l'un de ses Premiers ministres, une vérité blessante, à savoir que l'Algérien de cette période consommait la moitié de la production mondiale des céréales. Cette démarche perdure de nos jours, sinon comment expliquer la négligence et l'indifférence réservées aux succès scientifiques, littéraires et journalistiques qui illustrent un Algérien/esprit dans toute sa splendeur '
-D'autres études de l'ONS démontrent que la structure des produits les plus consommés par les Algériens est dominée par les sucres et sucreries, les huiles et les pâtes alimentaires. N'est-ce pas un constat qui témoigne d'un déséquilibre alimentaire patent '
Il s'agit de l'Algérien moyen. Un individu met dans la logique de subvenir à ses besoins élémentaires ; il ne peut aspirer à mieux. Cet Algérien est presque un accusé au regard des décideurs, mais rarement considéré comme victime d'un pouvoir d'achat humiliant. Par ailleurs, ces pratiques alimentaires démontrent le fossé grandissant entre des Algériens qui essayent difficilement de limiter les dégâts des disparités sociales et les Algériens qui sont immensément riches.
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