
La fontaine d’Ain Fouara trône au centre de Sétif, en Algérie, comme l’un de ses monuments les plus emblématiques. Cette œuvre d’art, datant de la fin du XIXe siècle, est bien plus qu’un simple ornement urbain : elle est le témoin d’une histoire complexe mêlant art classique, contexte colonial et mémoire nationale. Cet article explore l’histoire de la fontaine d’Ain Fouara, sa signification artistique et les controverses qui l’ont entourée au fil du temps.
Entre 1895 et 1896, les autorités municipales de Sétif décidèrent de remplacer une ancienne fontaine en ruine par une nouvelle structure. Ce projet s’inscrivait dans le cadre des efforts d’embellissement de la ville durant la période coloniale française. La conception de la statue fut confiée au sculpteur français Francis de Saint-Vidal, qui réalisa l’œuvre à Paris. L’architecte Eldin conçut le socle en granit, tandis que l’entrepreneur Francion supervisa sa mise en place sur le terrain. Inaugurée vers 1898, la fontaine devint rapidement un symbole incontournable de Sétif.
La statue d’Ain Fouara représente une nymphe aquatique tirée de la mythologie grecque, inspirée de l’histoire d’une nymphe qui choisit de se transformer en fontaine sacrée plutôt que de céder aux avances du dieu Apollon. Ce choix artistique incarne la symbolique de l’eau comme source de vie et d’éternité. Le socle de la statue, orné d’éléments comme un arc romain, établit un lien avec l’héritage historique de la région, qui fut autrefois partie intégrante de la Numidie et de l’Empire romain. L’œuvre s’inscrit dans le courant de l’art académique classique, très en vogue en Europe au XIXe siècle.
Sétif est riche d’une histoire qui remonte aux origines de l’humanité. Des vestiges archéologiques suggèrent la présence de l’Homme de Néandertal dans la région, faisant de Sétif un berceau de la civilisation humaine. La ville fut également un haut lieu de la Numidie, où Jugurtha défia Rome. À l’époque chrétienne, Sétif abrita des martyrs donatistes comme Justus et Décorius. Plus tard, elle joua un rôle dans la fondation de l’État fatimide. Au XIXe siècle, elle fut le théâtre de la révolte d’El Mokrani, et en 1945, les événements du 8 mai marquèrent un tournant dans la lutte pour l’indépendance algérienne.
Malgré sa valeur artistique, la statue d’Ain Fouara a suscité des débats en raison d’interprétations divergentes de sa signification. Certains affirment que sa nudité artistique était une provocation délibérée envers la population musulmane sous l’ère coloniale. Cette idée s’appuie souvent sur une citation attribuée au colonel Pacot, prétendant que l’œuvre visait à défier « la pudeur et la sainteté de l’espace musulman ». Cependant, aucune archive historique ne corrobore cette affirmation, et il semble que le projet ait été purement municipal, visant à embellir la ville.
Ces dernières années, la statue a été vandalisée à plusieurs reprises, notamment par des actes de destruction. Certains ont tenté de transformer l’auteur de ces dégradations en symbole national ou religieux, mais des témoignages contemporains suggèrent que ces actes étaient le fait d’un individu isolé, sans motivation politique ou religieuse claire. Ce débat reflète les tensions entre la perception de la statue comme œuvre d’art et son interprétation comme symbole colonial.
Réduire l’histoire de Sétif à une polémique autour d’Ain Fouara serait une injustice envers la mémoire profonde de cette ville. Sétif n’est pas seulement une fontaine ou une statue : c’est une terre qui a vu naître les premières traces humaines, qui a résisté à Rome, et qui a porté le flambeau de la lutte pour l’indépendance. La statue, en tant qu’œuvre d’art, ne contredit pas l’identité de la ville ni ses valeurs. Les Sétifiens boivent l’eau de la fontaine et prient dans la mosquée attenante, sans percevoir de contradiction entre l’appréciation de l’art et le respect de la foi.
Ain Fouara n’est pas qu’une statue : c’est un symbole de la confluence des civilisations à Sétif, des Grecs aux Romains, de la Numidie à l’Algérie moderne. Plutôt que de la réduire à un sujet de querelles symboliques, nous pouvons y voir une partie intégrante de notre patrimoine commun, porteuse d’histoires d’art, d’histoire et de résistance. Préserver ce legs, tout en honorant la mémoire nationale, est la voie pour rendre hommage à Sétif et à son passé prestigieux.
Posté par : patrimoinealgerie