L'histoire de
l'Algérie n'est qu'une longue marche. Les haltes y sont nombreuses. Celle « des
massacres du 08 mai 45» est l'une des plus cruelles. 45 000 martyrs et des
milliers de blessés se dressent encore contre les parois de l'oubli. Il y a
longtemps, le printemps s'arrosa de sang et de fer.
L'épi connaît sa
floraison au mois de mai. A Sétif ou ailleurs. La différence c'est que dans
cette contrée où l'on compte plus de 832 chahids intra-muros, le Mai ne se
compte plus comme une mensualité d'une éphéméride. Qu'il soit de calendrier
grégorien ou hégirien. Ce n'est plus une chronologie, ni un repère temporel.
C'est une éternité. Un arrêt mobile. Terrible et atroce, mais rédempteur.
Le souvenir, paraît-il, ne serait créé que
pour revivre l'émotion et y percevoir le sacrifice. Le 8 mai devrait ainsi être
perçu par tous comme un crime atroce impardonnable tant la froideur du meurtre
commis à grande échelle est restée là, simplement dans le discours. Justice
doit être rendue. Il ne s'agit pas d'un banal homicide. Le temps y a consigné
gravement un génocide interrégional. Sétif, Guelma, Kherrata, Constantine et
autres bourgs sont en permanence dans un état de veille. Cette attente ne saura
connaître son épilogue sans qu'il y ait un châtiment à juste valeur de la
barbarie subie.
L'histoire n'est pas simplement une affaire
de coupe ramenée fièrement d'Alger pour la désaltérer en apothéose des cris de
milliers de supporters. Elle est ici comme une hirondelle. Aux premiers
bourgeons, le souvenir se lève pour venir pointer ses affres dans chaque cavité
citoyenne. Il se réveille, en désobéissance à l'oubli et vient chaque année
encore tarauder l'amnésie. Il le fait comme le fera un papillon raflant dans la
stricte douceur le nectar vivifiant. Le printemps est le signe de la beauté et
du merveilleux. Mais, Mai à Sétif est autre chose. Le Mai d'une année qui passe
sera un autre mai pour une année qui se consomme.
Le dernier Mai,
il y était question, toujours de souvenances mais aussi d'actions ruminantes
événementielles. La salle des fêtes. Rénovée et égayée au bonheur de tous, elle
annonçait le départ d'un renouveau culturel. Cet endroit qui fut, un certain temps, le
réceptacle de diverses activités, dont étaient privés les autochtones, ne fut
en fait qu'une salle pour les fêtes des colons. Ils y jubilaient. Valsaient. Le
décor est un peu tiré de ces années-là. L'assistance, progressivement
nombreuse, comptait beaucoup plus d'officiels, de jeunes étudiants et curieux
que de témoins ou porteurs de faits. Il y avait néanmoins des figures connues
pour leur militantisme silencieux et loin des feux de la rampe.
La ville avait voulu ouvrir les festivités
par un colloque qui mériterait quand bien même d'être internationalisé. Se
contentant d'intervention locale, la salle, captivée par l'orateur, semblait
s'entendre se dire, par conviction, que le 08 Mai 1945 reste une date
historique dans l'éveil des cÅ“urs. Le sursaut national n'était en finalité que
salutaire.
Le 08 Mai est aussi une évocation, une
perception et une autre première conscience. Itérative et recommençant le
décompte du 8 jusqu'à l'infini. La narration de l'évolution historique des
nations a été de tout temps empreinte de hauts faits et de mémorables moments.
L'histoire de l'Algérie combattante demeure dans toute sa dimension, une leçon
de bravoure, une démonstration de l'effort et un accord dans les énergies
patriotiques variées.
La science devait être pour nous source de
pardon quand la divergence de la vie rend impossible la vie. La perception des
préceptes religieux n'est pas une exclusivité propre à une caste ou un parking
de savoir théologique, réservé uniquement aux détenteurs d'une quelconque
autorisation de stationner. La diffusion de la science est d'abord un devoir
d'Etat, il est général, la religion étant un devoir divin. Il est intime et
personnel. Le droit, quant à l'acquisition de l'outil scientifique et
instructif, s'allie étroitement à la qualité citoyenne.
En tout cas,
cette journée devrait être un arrêt de bilan qui n'aurait pour résultat que de
créditer davantage la lutte, sans merci, contre l'analphabétisme élémentaire,
les pratiques obscurantistes et les déviations sociales. En plus de ces fléaux,
d'autres maux plus complexes viennent imprudents et parfois grossiers, tels que
la menace de l'union, le chantage à la démocratie et l'altération des mÅ“urs,
agrandir la blessure du corps national. Mai 45 deviendra ainsi une relance,
nonobstant son annualité apte à hisser par rétrospective le sentiment à la
hauteur du sentiment national.
Les jeunes qui s'y trouvaient, filles et
garçons venant droitement de l'Institut des sciences de la communication,
apparaissaient se chuchoter que notre combat ira à l'endroit des formulations
médiatiques, en vue d'y apporter un rôle socioéducatif national en s'inscrivant
dans ce sens, en dehors de tout penchant politicien de quel bord que ce soit.
Ils venaient pour la plupart de découvrir certains acteurs encore en vie,
victimes ou témoins de ce mardi noir inoubliable.
Ils devraient se dire que le combat ira tout
aussi vers les minbars des mosquées où seule la parole de la vérité absolue
devra prévaloir à toute autre considération de soutien à un régime ou à un
autre. La science et l'histoire sont justement dans la sentence de ces « ahli
el ilm ». C'est à eux qu'incombe la mission de réussir là où la loi humaine,
incapable, enregistre l'échec de la résurgence sociale. Mais, l'imam n'est pas
un appendice du système, encore loin d'un parti. Il devrait savamment ne point
se limiter à l'explication du statut personnel ou à la vulgarisation des causes
d'annulation des ablutions. Authentique, juste et véridique, il sera comme un
chandelier dont la lumière n'évitera aucun coin ni recoin de l'espace à
illuminer. Du présent ou de l'au-delà. Le mois de Mai qui a édifié le djihad et
le refus du fait colonial a aussi ses grandeurs dans ces prêches.
Sous peine
d'explosion, l'union de la nation doit savoir comment négliger le goût
volcanique, impropre et impur, qui remue l'esprit des prétendants au « trône »
de l'histoire. Les péripéties douloureuses de l'histoire vont et s'étendent de
l'occupation à l'indépendance. Rien ne différencie un fait d'un autre. Des
événements génocidaires de 1945 à l'expérience chimique aux essais nucléaires
de Reggane, passant par les enfumages de douars et de dechras, l'unité de la
demande doit être unique et exclusive. La repentance, la reconnaissance et le
dédommagement sont, par principe, une voix nationale vers la voie de la raison
et de la justice universelle.
Pour atteindre tous ces objectifs, il est du
devoir de tous les actants agissant à tous les segments de savoir confondre un
objectif même ayant multiples issues et différents accès et ses diverses
approches. La scission d'abord dans la culture, ensuite dans la pensée et dans
le projet de société, est à éviter par l'acceptation de la différence justement
dans la vision et la divergence dans l'idée. La concertation qui est une
convention morale entre la science et le bon sens de l'homme, demeure l'unique
moyen de conserver encore la cohésion du pays.
Se mettre en accord pour une équité
historique. Le savoir est un comportement de tous les jours, une tolérance et
une raison pour toujours. L'instruction conforte ses assises.
L'omission n'est
qu'une tendance humaine. Quelle est donc la meilleure méditation que l'on
puisse faire face à ces tragiques « incidents » ? Le 08 Mai, comme toutes les
dates phares de l'histoire algérienne, doit servir, outre la commémoration,
d'escales de recharge du sentiment national. Novembre 54 n'était-il pas déjà
dans l'embryon de Mai 45 ? L'inversement de chiffres résulterait-il d'un oracle
providentiel ?
Rabâcher, radoter, venir et revenir, crier et
gueuler, dire et redire : Ne pas oublier ! Se souvenir à satiété. En parler.
Ecrire les récits dans leurs profonds détails. Conjoncter Coupe et Mai,
Reproduire l'événement, reconstituer les faits… Pour ce faire, à mon tour de
rabâcher, redire et resuggérer pour une énième fois :
1/ L'éternisation
du souvenir, par la construction d'un grand complexe dominé par un monument
gigantesque, où une zone de silence ou du chahid inconnu ferait office, d'un
office de méditation et de prière. Cet espace portera le nom de Saal Bouzid,
premier martyr de ces événements. Ainsi, son âme pourrait s'évader de ces
arcades lugubres que constitue sa stèle murale.
2/ Réfléchir à constituer sous une forme
légale, associative ou organique un mouvement de souvenance à intituler à juste
intitulé « M.A.I. 45 » (Mémoire, Action et Initiative)
3/ L'institution à Sétif d'un colloque
international relatif au « 08 mai 1945 ». A périodicité annuelle.
4/ Entreprendre,
suite à ce qui est proposé ci haut, toute action pour replacer Sétif dans son
véritable piédestal de Ville-martyre. Sétif sera ainsi connu et reconnu par son
08 mai 45 et non pas par son Entente sportive ou Ain Fouara. Car derrière cette
date historique, se cachent dans nos mémoires 45 000 vies, plus importantes que
les 07 encore que toutes les coupes.
Enfin, si l'oubli
guette à chaque coin de l'histoire l'homme vivant, qu'en sera-t-il alors de la
reconnaissance à rendre à titre posthume à ceux ou celles qui ont contribué à
la lutte contre cet oubli ? Bachir Boumaaza, figure emblématique de tous nos
combats, mériterait à cette occasion que son nom et son envergure soient
rattachés à quelque chose qui se fait de grand à Sétif. Tout le monde garde de
cet homme une image d'un Algérien jusqu'aux os.
Fidèle à une ligne de conduite morale, il
saura dans un cadre approprié le comment sauvegarder la mémoire. En créant la
fondation du 08 Mai 1945, lui le natif de Kherrata, une arène de monstruosité à
l'époque de ces événements, il aspirait à ramener la France colonialiste à
faire son mea-culpa et partant hisser Sétif, Guelma et autres villes, au rang
de grandes villes martyres. Dont acte.
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Posté par : sofiane
Ecrit par : El Yazid Dib
Source : www.lequotidien-oran.com