Commençons par dire que c'était mon année du bac comme on dit. Et qu'à cette époque il n y avait ni cours de soutiens, ni réseaux sociaux. La classe pour les cours et les bibliothèques pour réviser ou se documenter. Ne compter que sur soi et sur ce que l'on a assimilé. Sur les accélérations aussi lors de ces derniers mois des cycles de révisions ajoutés aux contraintes physiques et psychologiques pendant les longues veillées. Le stress ambiant s'ajoute a cette fatigue physique car notre société a fait du BAC, plus un mot magique qu'un diplôme. C'est le diplôme de la vie. Comme si être bachelier reste nécessaire et suffisant. On ne fête pas la licence ou le doctorat comme on fête le bac. Et puis surtout il ya comme une obligation à offrir le bac à ses parents pour leur procurer ce bonheur incomparable à nul autre diplôme qui l'accompagne.
Et puis vinrent les sublimes journées de l'examen. Avec leurs coliques, leurs étourdissements et leurs nuits blanches sans oublier la panique d'arriver en retard. Des jours d'où l'on sort très souvent essorés, partagés entre l'espoir de la réussite et la déception de l'échec. On se pose mille questions que l'on retourne mille fois, tels sujets, telles réponses. Jusqu'à ce que vienne le jour du verdict, le grand jour, le jour qui ne compte pas 24 h mais mille heure car chaque heure compte pour une journée ou plus. Et généralement, la veille de la date avancée on sait que les résultats sont déposés au niveau de la rédaction de ce journal local pour publication. Et donc pris par cette fiévreuse impatience je pris contacte avec notre entraîneur à l'USMO où j'étais cadet qui était en même temps journaliste sportif (une icone aujourd'hui dans le journalisme sportif national, à savoir le grand Lahouari Adjal ) en croyant naïvement qu'il pouvait m'informer.
Mais compréhensif et empathique devant mon stress il me fit comprendre gentiment qu'il ne pouvait pas le faire et qu'il fallait attendre les résultats lors de leurs publications demain matin... C'était notre cheikh respecté et aimé par les joueurs rabi ytawel fi omreh.
Alors je me suis résolu à attendre, ou plutôt à tenir, pendant ces très très longues dernières heures. Mais ce que je ne savais c'est que je n'étais pas au bout de mes peines et que ce qui allait m'arriver je laisse le soin a vos lecteurs de l'apprécier.
C'est donc la veille et il est, je m'en rappelle très bien vers les 18h 30.
Je calcule rapidement 6 et 3…9 Donc se tordre pendant 9 heures puisque le journal est généralement déposé vers 3h du matin chez le buraliste le plus connu d'Oran ammi Hammou. Et donc messieurs dames je suis a 3h du matin debout place du 1er novembre a Oran devant son kiosque en attente du 1er ballot du journal. Il faut dire que monsieur Hammou me connaissait parce qu'en tant que lycéen j'étais presque abonné chez lui pour Le Monde et Algérie Actualités. Et que même parfois il me faisait crédit quand j'étais sans le sou. Son kiosque était un fourre-tout de journaux, de revues, sur estrades, directement au sol et lui avec sa chechia et son tablier bleu couvait le tout de sa bonhomie et tournoyait autour de sa passion faite papiers Mr Hammou, rabi yerhameh, ému donc quelques peu de mon acharnement m'offrit un café de son thermos pour tenter de calmer mon immense stress.
Et puis " vint " LE JOURNAL. Je bondis, je m'avance. Je le tire du ballot ...
Je l'ouvre fébrilement en le froissant je vais a la page des résultats pour chercher sous le titre portant le lycée de mon centre d'examen mon nom, comme un enfant… Aya.. aya... aya… anxieusement. Les noms défilent devant moi, mais je ne trouve pas le mien, pas le mien.
Je relis, rien. Je relis, toujours rien. Ce n'est pas possible. Alors je m'effondre, accablé, terrassé. Je ne l'ai donc pas eu. Je reste figé, aucune larme, aucun cri. Je suis paralysé. Mr Hammou accourt, me relève me tapote les joues comme pour me ranimer et me donne a boire. Des cauchemars me transpercent, ma tête tourne, je titube. Mr Hammou me console : ma3lich weldi el 3amm el jay. Mais je n'entends rien qu'un murmure. Tant d'efforts, tant de nuits blanches et surtout et surtout que vais je dire a ma bien aimée grand mère qui m'attendait, qui n'a pas fermé l'oeil tout comme moi ? Que vais-je lui dire, comment affronter sa déception ?
Comment lui expliquer ?? Pourquoi l'ai je privée de cette joie ?? Je me sens effroyablement coupable. Je marche lentement comme pour retarder cette peine que j'allais causer a ma grand-mère
Je mets machinalement le journal sous mon bras, silencieusement. Ammi Hammou ne cesse de me consoler mais même a côté de lui je suis déjà si loin. Je n'entends rien. Seul le visage de cette grand-mère, ce visage adoré, surgissait devant moi, éploré et déçu
L'aube si fraiche tout à l'heure est devenue torpeur. Une braise matinale, l'horizon s'est comme refermé devant moi, le ciel m'écrase. La douleur de l'échec est lancinante.
Je titube, je m'engage doucement comme ivre de douleur dans la célèbre rue des jardins pour retourner bredouille chez moi. Il est 4h et demi du matin, la rue est déserte encore. Je marmonne. Pourtant j'ai très bien travaillé tous les sujets et dire que j'ai espéré la mention. Mais, il ya sûrement une erreur...il faut que j'aille vérifier, mais maintenant tout est fermé, ce n'est pas possible. Je me dis tout cela dans une bousculade fiévreuse de sentiments cauchemardesques.
Mes pas se succèdent. Hésitants, lourds.
Et puis je ne sais pas pourquoi, je repris le journal, je l'ouvre au hasard, nerveusement comme pour le profaner. Et comme si quelqu'un a guidé mon regard, la première lecture sur laquelle je tombe est celle de mon nom et prénom complet, là, devant moi, noir sur blanc et avec mention. Je suis paralysé, les yeux grands ouverts. Hallucinations ? Je relis, je consulte, je palpe la page, je touche mon nom. Oui, il est bien là. Je veux comprendre pour me rassurer. Je tourne les deux pages et je tombe sur l'explication, tourne les deux pages et je tombe sur l'explication. Simple, maladroite, mais si douloureuse. La rédaction du journal a inversée les deux centres d'examens devant les deux listes les résultats du centre d'examen A ont été placés sous le centre B et ceux du B sous le A et en suivant le lieu indiqué par la rédaction je suis allé sur la mauvaise liste ou mon nom ne pouvait pas figurer.
Tout simplement. Mais tout tragiquement.
Imaginez alors quelqu'un passant du désespoir le plus complet à l'extase d'une immense joie. Je replonge mon regard dans le journal sur la page du bonheur, comme un myope, comme si je voulais vérifier la réalité de ces chères lettres, de ce cher nom. Puis je retourne en courant, presque en flottant, vers le kiosque de Ammi Hammou. Comme si je voulais qu'il me confirme cette négligence de mise en page. Je lui montre le journal. Ammi Hammou, Ammi Hammou rbaht, ghalto, ghalto. Je le laisse debout incrédule. Il n'a pas le temps de me féliciter car je pris le journal à la façon d'un crieur de journaux et je me mis a courir en criant, le journal tenu en l'air, mma ...mma…rbaht...el bac.
Et elle était là devant la porte, à l'aube. Alors, ses yeux rouges de bonheur de sa voix rauque, vieille, usée par les années, elle lança les you-you les plus beaux de ma vie et me serra si fort que des années après m'avoir quittée je ressens encore la chaleur de ses bras autour de moi. Et à chaque aube de résultats du bac, durant toutes ces années passées, elle est là comme pour me rajeunir et fêter notre aube éternelle avec moi. Et je vous demande de comprendre cela. Car cette grand-mère je lui dois tout. Et aucune personne dans ce bas monde ne m'aimera plus jamais comme elle m'a aimée. Ce bac était pour moi, pour elle, le plus beau cadeau que je pouvais lui faire en reconnaissance de tout ce qu'elle a fait pour moi.
Rabi yerhamek mma. Je t'offre chaque année le mien jusqu'à ma mort car c'est à ta bénédiction que je le dois…
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Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Tahri Djillali
Source : www.lequotidien-oran.com