Oran - Lalla Badra

Lalla Badra, l’Intrépide Dame d’Oran


Lalla Badra, l’Intrépide Dame d’Oran
Dans les ruelles poussiéreuses d’Oran, sous le soleil brûlant de l’Algérie ottomane, une silhouette féminine se détachait, aussi élégante que redoutable : Lalla Badra, fille du bey Mohamed El Rekid, surnommé Boukabouss, l’homme au pistolet. Nièce du prestigieux Bey Mohamed El Kébir, elle portait dans ses veines le sang des puissants, mais c’était son cœur ardent et son esprit indomptable qui la rendaient légendaire. Épouse du dernier Bey d’Oran, le tyran Hassan, elle incarnait une force que même les caïds les plus belliqueux craignaient, une femme dont la présence imposait le respect et calmait les tempêtes.

Lalla Badra était une énigme, un paradoxe vivant. Vêtue d’un caftan somptueux, elle ceignait sa taille d’une paire de pistolets, comme un défi lancé aux conventions. Passionnée des arts, elle avait l’âme d’une esthète, mais ses mains, habituées aux rênes d’un cheval, savaient aussi manier le pouvoir. On murmurait dans les souks et les palais qu’Hassan, ce bey despotique dont la cruauté faisait frémir les cœurs, ne redoutait qu’une seule personne : sa propre épouse. « Le Bey ne craignait que Badra », disaient les anciens, un sourire entendu aux lèvres.

Et comment ne pas la craindre ? Lorsqu’une discorde fratricide éclatait dans le Beylik, provoquée par les excès tyranniques de son époux, Lalla Badra n’hésitait pas. Elle enfourchait son cheval, sa silhouette altière traversant les plaines arides, pour aller apaiser les ardeurs guerrières des caïds et des raïs. Avec une autorité naturelle et un sens aigu de la justice, elle réunissait les parties en conflit, rétablissant la paix là où le chaos menaçait. Son charisme et sa probité faisaient d’elle une médiatrice respectée, une femme dont la parole avait le poids d’un décret.

Mais Lalla Badra n’était pas seulement une guerrière des temps troubles. Elle était aussi une bienfaitrice au cœur immense. N’ayant jamais eu d’enfants, elle avait fait des orphelins et des déshérités sa famille. À Oran, on racontait comment elle parcourait les quartiers pauvres, distribuant vivres et vêtements aux plus nécessiteux, veillant à ce que la justice ne soit pas un vain mot. Les plus humbles voyaient en elle une protectrice, une mère bienveillante qui portait assistance là où les puissants détournaient le regard.

Son influence allait bien au-delà des murs de la ville. Un jour, alors que le Bey Hassan, dans un accès de colère, avait emprisonné Mahieddine et son jeune fils Abdelkader, âgé de seulement 15 ans, Lalla Badra intervint. Subtile et déterminée, elle usa de son pouvoir sur son époux pour obtenir leur libération. Ce geste, discret mais capital, changea le cours de l’histoire : ce jeune Abdelkader deviendrait plus tard l’Émir Abdelkader, le héros de la résistance algérienne contre l’occupation française. Si les chroniqueurs de l’époque n’ont que peu écrit sur elle, ceux qui l’ont connue savaient que sans Lalla Badra, ce destin aurait pu être brisé.

En 1831, l’ombre de la colonisation française s’abattit sur Oran. La ville tomba, et avec elle, le règne de Hassan s’effondra. Contraints à l’exil, Lalla Badra et sa famille furent embarqués sur un navire en partance pour Alexandrie. Alors que les côtes d’Oran s’éloignaient, elle se tenait sur le pont, le regard fixé sur cette terre qu’elle avait tant aimée et protégée. Que devint-elle ensuite ? Nul ne le sait. Les sables du temps ont effacé les traces de sa fin, la laissant comme une héroïne suspendue entre légende et réalité.

Lalla Badra, femme de goût et de courage, reste dans les mémoires comme un symbole d’élégance et de puissance. À Oran, on évoque encore son nom avec respect, celui d’une dame qui, entre ses pistolets et sa générosité, a su graver son empreinte dans l’histoire tumultueuse d’une Algérie au seuil de grands bouleversements.

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