Oran - Revue de Presse

L?odyssée du sachet noir



L?un des symboles de la société de consommation est en train de devenir un véritable problème de salubrité nationale que les mesures entreprises jusque-là n?arrivent pas à enrayer. Malgré tous les espoirs qui ont été mis dans les multiples tentatives de libérer le ciel des tourbillons de débris de plastique multicolore et le paysage des différents objets jetables, on ne peut encore prétendre que l?amélioration de notre environnement est désormais « une affaire dans le sac ».Créé à l?origine pour simplifier la contrainte de l?emballage et rendre commode et rapide le service entre le commerçant et le client, le sachet en plastique a fini par détrôner l?inamovible couffin et autres filets à provisions que la ménagère ou le père de famille traînait à longueur d?année. Son usage, limité à quelques produits au départ, s?est vite généralisé à l?ensemble des marchandises et a définitivement séduit par la protection, le look et la facilité de manipulation qu?il confère à la manutention du produit.Sacrifiant à la discrétion, on a avantagé la couleur noire pour la plus grande partie de la production des ateliers de fabrication de films en plastique qui ont essaimé à travers le territoire national, encouragés par la simplicité du cycle de fabrication et donc de la limitation des équipements et des intrants nécessaires. Le plus populaire d?entre les sachets produits fut le sachet « poubelle » noir, dont l?utilisation n?allait pas s?arrêter exclusivement à contenir les reliefs de cuisine et autres déchets domestiques destinés à être convoyés vers la décharge publique. Il servira malheureusement, et ce malgré la nocivité de la matière dont les spécialistes de la santé soupçonnent l?existence, à recevoir les produits alimentaires qui peuvent en être altérés même après un bref séjour.Ayant prouvé son utilité, il se taillera une réputation qui assurera sa gloire pour la postérité et sera cité en exemple ou en référent culturel dans de nombreux sujets de discussion. On l?accuse de faciliter le transports de fonds pour les transactions douteuses. On l?associe généralement à un repère matériel des opérations de corruption et autres bakchichs. Un dicton rustique d?une de nos belles régions ne disait-il pas: »tabaâ chkara, talgha lamara ! » (suis le sac, tu trouveras l?indice). D?ailleurs, certains affirment que c?est pour cela qu?au-delà des magasins, on remarque à certaines périodes que sa présence est plus visible aux abords des endroits capables de générer des moyens d?enrichissement ou de coercition ou toute forme de facilitation non méritée.Le pouvoir que détiennent certains peut convertir le sachet noir en une insolente et rapide fortune ou une position de haut dignitaire de la Cité, quand ce n?est pas la sublimation, comme par enchantement, de toutes les entraves qui empoisonnaient la vie. La fréquence de ses apparitions obéit à une saisonnalité dont le pic est situé par les plus avertis pendant les derniers jours des campagnes électorales.Même si par charité, son opacité peut soustraire au regard inquisiteur et parfois humiliant les quelques guenilles d?un pauvre hère ou les dérisoires emplettes du fonctionnaire, le pouvoir du sachet noir est devenu cabalistique. Il fait peur par tous les maléfices qu?il évoque et toutes les misères du monde qu?il charrie. On ne peut rester insensible à la réception d?un sachet. Si pour les uns, son contenu se réduit à quelques déchets enveloppés qu?on reçoit malencontreusement sur la tête en passant sous un balcon, pour d?autres, cela signifie l?amorce d?une profonde mutation du train de vie et peut-être le franchissement définitif du Rubicon avec toutes les répercussions induites.Comme on peut facilement le dissimuler et le transporter grâce à sa structure malléable, c?est aussi le compagnon, le confident des jeunes: celui qui contient le diluant à sniffer en groupe dans un coin de terrain vague à l?abri des regards indiscrets pour oublier leur condition de hittistes de carrière.L?ingratitude humaine finira, cependant, par le rejeter après service rendu. Ainsi abandonné par la société, il prendra sa revanche en enfourchant le moindre coup de vent pour aller disputer le ciel aux oiseaux et voyager d?un bout à l?autre du pays et même traverser les frontières sans visa. Il devient l?hôte encombrant de la moindre plante qu?il étouffera de sa hideuse cape noire. Résistant à toutes les misères qu?on lui fait subir, et même en lambeaux, il se multiplie rapidement et sa légèreté lui confère la possibilité d?envahir tous les espaces et de couvrir des étendues à perte de vue, leur donnant un aspect des plus lugubres. On le rencontrera partout, au sommet d?une dune de sable ou dans un sentier de montagne, dans le lit d?un cours d?eau ou carrément au grand large. Par grand vent, il viendra cingler le visage des passants, faire un croche-pied aux piétons ou se plaquer sur le pare-brise du véhicule, obstruant dangereusement la vue du conducteur. Imaginez combien de sachets on jette chaque jour dans la nature et leur accumulation et appréciez le degré de nuisance sur l?écologie ! Par arrogance ou ignorance, on l?a tout de suite classé dans le rayon peu glorieux des choses « jetables » dont on peut se débarrasser facilement et on continue à sous-estimer les conséquences de cet état d?esprit irresponsable.L?effet boomerang n?a pas tardé à se manifester. Si on ne trouve pas tout de suite une solution pour freiner sa prolifération, le ciel en sera tellement assombri qu?on en oubliera la couleur un jour. Aucun site de ce qu?on qualifiait orgueilleusement de panorama n?échappera à la pollution rampante des nuages virevoltants de morceaux de feuilles de plastique de toutes les dimensions et de toutes les couleurs. Le paysage est déjà outrageusement jonché par des monticules de bouteilles et autres contenants.La plus belle illustration du mythe de Sisyphe se retrouve dans la lutte quotidienne des services de nettoiement contre ce phénomène. Le matin, les détritus de plastique voyagent par route dans les camions de la voirie, jusqu?à la décharge publique d?où ils décollent dans toutes les directions et poussent l?ironie jusqu?à revenir at home par la voie des airs. Le cycle se répète quotidiennement, avec à chaque fois l?ajout de nouveaux passagers et conséquemment l?augmentation du volume !Les enseignements des expériences antérieures induisent deux ou trois observations. La première est qu?il ne faut pas trop compter sur le civisme du citoyen afin qu?il gère rationnellement ses déchets, à moins d?une révolution des mentalités. Chose qui paraît peu probable. La deuxième est de constater que la décision de prohiber le sachet noir et de le remplacer par le sachet d?une autre couleur ne règle pas le problème et s?avère plus dangereuse parce que les nouvelles nuances utilisées (ocre, jaune, bleu pastel, etc.) se confondent facilement avec la couleur ambiante dans la plupart des cas et compliquent ainsi les opérations de ramassage. La moindre des conséquences est que la plupart des vétérinaires ont rencontré des cas d?étouffement d?animaux qui ont avalé des sachets enchevêtrés à des touffes d?herbe et ont dû opérer en catastrophe pour les sauver d?une mort certaine. La troisième concerne les agents de nettoiement qui doivent avoir pour mission de DETRUIRE définitivement cette matière, si on ne peut pas la RECYCLER, et non se contenter de la déverser dans des espaces ouverts aux quatre vents et revenir avec le sentiment d?avoir accompli son bouleau.Les organismes qui veillent en principe sur la qualité de la vie pourraient peut-être intervenir en amont et exiger de tout fabricant d?objets « jetables » d?utiliser une matière biodégradable. Mais en attendant, il faut se résoudre à organiser de véritables campagnes de recherche et de ramassage de tout le plastique qui encombre la nature afin de circonscrire l?ampleur des dégâts que nous avons fait subir à notre cadre de vie et éliminer toute la saleté avec laquelle nous avons souillé un environnement qui appartient aussi aux générations futures. En lisant ces lignes, certains penseront que je suis en train de caricaturer à l?extrême, iront même jusqu?à m?accuser de dramatiser la situation. Il suffit pourtant de prendre le temps d?observer ! 
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