Dans les ruelles étroites et chargées d’histoire de la ville d’Oran, se dresse une demeure au passé tumultueux : Dar El Arich, connue sous le nom de « Maison de la Treille ». Située aujourd’hui rue Ahmed Benbelkacem, cette résidence mitoyenne de l’hôpital Baudens porte les traces d’une époque où les destins se jouaient dans l’ombre des palais beylicaux. Autrefois propriété du bey Boukabous, un homme influent surnommé l’« Homme au pistolet » en raison de sa réputation guerrière, cette maison devint un lieu central dans les intrigues politiques et familiales qui marquèrent les dernières années du pouvoir ottoman en Algérie.
Une Héritage Familial et un Symbole de Pouvoir
Dar El Arich avait été léguée par Boukabous à sa fille, Lalla Badra, une figure féminine d’exception qui épousa Hassan, le dernier bey d’Oran. Cette transmission symbolisait non seulement un héritage matériel, mais aussi une responsabilité dans un contexte où les rumeurs bruissaient déjà d’un changement imminent. À cette époque, vers la fin des années 1820, des murmures circulaient dans les cercles d’Oran : le joug ottoman, affaibli par des décennies de domination, pourrait bientôt être secoué par un jeune homme prometteur, le fils de Hadj Mahieddine, moqadem en Oranie de la confrérie des Qadiriya. Ce nom, Abdelkader, allait bientôt résonner comme un symbole de résistance, mais pour l’heure, il n’était qu’une menace naissante aux yeux du bey Hassan.
La Menace et l’Hésitation du Bey Hassan
Hassan, conscient de la popularité croissante de Hadj Mahieddine, un leader spirituel et politique respecté, voyait en lui un danger pour son autorité. Résolu à couper cette menace à la racine, il envisagea d’éliminer cet influent personnage. Cependant, une prudence calculée le retenait : s’en prendre directement à Hadj Mahieddine risquait de provoquer un soulèvement général parmi ses fidèles et les membres de la confrérie Qadiriya, dont l’influence s’étendait bien au-delà d’Oran. Le bey hésitait, temporisant dans l’attente d’une occasion propice, un prétexte qui justifierait son action sans déclencher une rébellion.
L’Arrivée à Oran et l’Intervention de Lalla Badra
Ce prétexte se présenta de lui-même en 1828. Hadj Mahieddine, accompagné de son fils Abdelkader et d’une foule de fidèles, se rendit à Oran pour obtenir les autorisations de voyage nécessaires à un pèlerinage aux lieux saints de l’Islam, la Mecque et Médine. Ces déplacements en groupe, surtout vers l’Orient, déplaisaient profondément à Hassan, qui y voyait une opportunité de rassemblement contre son pouvoir. Sans perdre de temps, il ordonna l’arrestation de Hadj Mahieddine et de son fils. Leur sort semblait scellé : une exécution imminente planait sur leurs têtes.
Mais une voix s’éleva pour briser ce destin funeste : celle de Lalla Badra. Fille de Boukabous et épouse du bey, elle était elle-même membre de la confrérie Qadiriya, partageant les valeurs spirituelles qui animaient Hadj Mahieddine. Femme de caractère, elle intervint avec énergie auprès de son époux, plaidant avec une détermination qui ne laissait place à aucun compromis. Grâce à son influence et à son autorité morale, elle obtint du bey la promesse que les prisonniers ne seraient pas exécutés, mais simplement internés.
La Détention à Dar El Arich
C’est ainsi que Hadj Mahieddine et Abdelkader furent conduits à Dar El Arich, la demeure familiale de Lalla Badra. Pour le jeune Abdelkader, ce retour à Oran avait une saveur particulière : c’était la ville où il avait étudié à l’âge de quatorze ans, y nouant des amitiés précieuses, notamment avec le fils du grand mufti d’Oran. Confiné dans cette maison aux murs chargés d’histoire, il retrouvait des souvenirs d’apprentissage et de jeunesse. Les autres voyageurs qui accompagnaient la délégation, privés de logement officiel, durent se disperser chez des amis ou trouver refuge dans les mosquées locales, sous une surveillance stricte imposée par les autorités beylicales.
La Libération et le Départ pour la Mecque
La détention à Dar El Arich dura une année entière, une période marquée par une tension palpable. Les vies de Hadj Mahieddine et d’Abdelkader restaient menacées, et la situation restait précaire. Mais Lalla Badra, fidèle à son rôle de médiatrice et de protectrice, refusa de se résigner. Avec une ténacité renouvelée, elle sollicita à nouveau son époux, usant de toute son influence pour plaider leur cause. Face à sa détermination, le bey Hassan céda finalement. En novembre 1828, après des mois de captivité, Hadj Mahieddine et Abdelkader furent libérés. Ils purent enfin entreprendre leur voyage tant attendu vers la Mecque, un périple qui marqua un tournant dans leur destin.
Un Héritage Méconnu mais Capital
Dar El Arich, théâtre de ces événements, reste un témoin silencieux de l’influence de Lalla Badra. Cette femme, à la fois guerrière, diplomate et bienfaitrice, joua un rôle clé dans la préservation d’une lignée qui allait changer l’histoire de l’Algérie. Sans son intervention, le jeune Abdelkader, futur Émir et symbole de la résistance contre la colonisation française, aurait pu disparaître avant d’accomplir son destin. Aujourd’hui, la maison, nichée rue Ahmed Benbelkacem à côté de l’hôpital Baudens, porte encore l’écho de ces intrigues, un vestige discret d’une époque où une femme osa défier le pouvoir pour la justice.
Lalla Badra, fille de Boukabous, épouse de Hassan, reste une figure méconnue mais essentielle, dont l’héritage perdure dans les récits d’Oran, là où les murs de Dar El Arich murmurent encore les secrets d’un passé tumultueux.
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Posté par : patrimoinealgerie
Ecrit par : Hichem BEKHTI