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Abdellah Ouldamer, artiste, à L'expression «L'important est d'apprendre à s'exprimer»



Publié le 07.05.2024 dans le Quotidien l’Expression
Par Tafssout Amlou

Abdellah Ouldamer représente une figure incontournable au sein de la ville d'Oran. Durant les périodes prospères où la vie culturelle était florissante, on le croisait fréquemment lors des expositions artistiques ou des conférences littéraires. Ancien élève de l'école des beaux-arts d'Oran, sa passion pour les différentes formes artistiques s'étend également à la littérature. Sa présence assidue dans le monde culturel témoigne de son engagement et de son intérêt profond pour l'enrichissement de la scène artistique locale. Tiraillé comme à son habitude entre l'univers de l'image et celui de la transcription, oscillant entre le métier de journaliste et sa passion pour la peinture, cet artiste ne cesse de vibrer d'émotions face à la création, l'expression et l'art en général. Récemment, son cinquième ouvrage, intitulé «Etrange réel», a vu le jour. Nous l'avions approché afin d'explorer plus en profondeur cette nouvelle oeuvre.
L'Expression: D'où provient cette passion pour l'expression artistique?

Abdellah Ouldamer: Je pourrai dire que cela résulte d'un prix! Si je puis m'exprimer ainsi. Pendant mes années d'école primaire, nous recevions des récompenses à la fin de chaque année, le plus souvent sous forme de dons de livres. Ces ouvrages appartenaient généralement à la collection de la bibliothèque verte (rose pour les filles) et regorgeaient d'écrits accompagnés d'illustrations. «Seul parmi les loups», pour ne citer qu'un exemple, est le livre qui a laissé une empreinte indélébile en moi. Outre le récit captivant, ses illustrations colorées, magnifiquement dessinées, dépeignaient un individu perdu dans la neige, tour à tour sur un traîneau, dans une cabane ou parmi les loups. Un régal visuel. Ce livre était pour moi un trésor. Pas un jour ne passait sans que je ne l'ouvre pour plonger dans ses pages magnifiques. L'image associée à l'écrit est un soutien précieux pour les jeunes lecteurs, une aide en quelque sorte. Elle a le pouvoir de raviver l'envie de lire lorsque la motivation faiblit. Malheureusement, le livre jeunesse illustré se fait cruellement rare en Algérie, et c'est un excellent outil didactique qui mériterait d'être davantage exploité. Il est dommage que les éditeurs algériens spécialisés dans la littérature jeunesse n'adoptent pas cette approche, préférant des publications qui s'inscrivent dans une démarche similaire. Bien que les contes soient nombreux chez nous, le conte illustré par de véritables artistes demeure une lacune à combler.

Vous n'avez pas encore répondu à ma question.

Le livre illustré a éveillé en moi l'amour tant pour la transcription que pour le dessin. Les deux se renforçaient mutuellement, suscitant une ferveur, une passion en nous pour en apprendre toujours plus.

Puisque vous évoquez le monde de l'édition, pourriez-vous partager vos réflexions sur ce sujet?

L'édition en Algérie a connu une croissance considérable et a mûri au fil du temps. C'est remarquable de constater que le nombre d'éditeurs a dépassé les deux cents, une évolution notable qui a eu lieu depuis la fin du monopole et au cours de la période difficile de la décennie noire. L'amélioration est tangible d'année en année, et le niveau ainsi que la qualité des publications n'ont rien à envier à certaines oeuvres étrangères; le prix remporté par Kamel Daoud sous Barzakh en est une illustration probante. Il est à noter que ce même prix avait été décerné via Act-Sud, une nécessité imposée par la loi française qui exige que les titres soient édités en France. Certes, nos éditeurs professionnalisent leurs pratiques, mais il reste encore beaucoup à accomplir sur le chemin de la perfection.

On sait que vous avez une passion pour la bande dessinée. Quelle est votre opinion à son sujet?

Oui, j'apprécie la BD. J'ai même rédigé un scénario pour un jeune graphiste qui l'a concrétisé sous forme d'album. Cette collaboration a été une surprise, au point que des bédéistes français présents au Centre culturel français ont été subjugués par le résultat. La bande dessinée joue un rôle éducatif similaire à celui du roman, car tous deux contribuent à l'enrichissement intellectuel. Il ne faut pas négliger le roman graphique, en constante évolution, qui suit le même principe que la BD mais intègre des textes en dehors des bulles. Les deux médiums combinent écriture et illustration. Chez nous, le premier roman graphique a été produit sous forme d'album par Martinez et Arezki Larbi, tous deux plasticiens, avec le titre «Le troupeau égaré», si ma mémoire est fidèle. Concernant le livre en général, l'Algérie a accompli un travail notable. La politique publique culturelle, revitalisée après la décennie noire, a réussi à insuffler un programme ambitieux pour la promotion du livre. Le Salon International d'Alger est devenu l'un des plus visibles au monde, continuant à porter ses fruits. Aujourd'hui, l'Algérie a retrouvé sa place de leader dans le monde arabe, telle qu'elle la détenait dans les années soixante-dix. Nous assistons à une émergence significative de nouveaux talents, comme le jeune lauréat du prix Najib Mahfoud. Les thèmes et les textes, longtemps ambigus et négligés, se tournent maintenant vers des sujets modernes, précis et intéressants, avec des exemples concrets comme «Bab El Oued» et «Sousstara». Bien que les textes ne soient pas encore produits en quantité comparable au cinéma, des ateliers d'écriture commencent à se mettre en place progressivement. En ce qui concerne la bande dessinée, malgré son succès, je ne comprends toujours pas pourquoi elle n'est pas enseignée en tant que matière à part entière dans nos écoles des beaux-arts.
Nous pourrions travailler davantage pour progresser. Quant au livre, il est temps de passer à la seconde étape et de faire émerger une véritable industrie du livre. Le redéploiement des bibliothèques et autres points de lecture accroît l'intérêt et l'ambition de la lecture. Bien que l'État ait établi plus de mille bibliothèques à travers tout le territoire national, la numérisation existant maintenant, il est crucial de les mutualiser. Le réseau lecture, création, fabrication et distribution doit être optimisé, car cela revêt une importance capitale pour les générations futures.
Ce produit culturel est également un atout économique majeur, offrant une alternative à la dépendance au pétrole, en remplaçant ce dernier par la richesse infinie du savoir.

Et les médias traditionnels, ne peuvent-ils pas jouer un rôle crucial dans la promotion du livre?

Certainement, oui! La télévision, en particulier, est une arme redoutable, tout comme l'internet. Des chaînes thématiques spécialisées pourraient grandement contribuer à l'éducation de notre jeunesse. Cette évolution se produira avec le temps, car la nécessité s'en fait de plus en plus ressentir. C'est pourquoi l'État algérien a récemment régulé le domaine des médias et de l'audiovisuel. Un véritable travail a été entrepris, débutant par un nettoyage au sein de certaines chaînes non professionnelles, suivi par la promotion de nouvelles chaînes plus intéressantes. Malheureusement, certaines chaînes privées sont devenues des tribunes de dénigrement, de reddition de comptes, de conflits d'intérêts, alors que celles qui diffusent le savoir, qui devrait être axé sur l'éducation et l'apprentissage, devraient prendre le devant. D'où la nécessité de faire le ménage. La responsabilité envers les nouvelles générations est une responsabilité collective, et personne ne devrait dévier du droit et de la mission de l'État. La presse écrite, en tant que média, joue également un rôle crucial; son influence est prépondérante dans l'éveil, l'éducation et l'émancipation de la société. Elle accomplit un travail remarquable, bien que, malheureusement, elle pourrait consacrer davantage d'attention à l'action culturelle en dehors des domaines social et politique. Dans le passé, nous avions l'habitude de voir de nombreuses interviews avec des peintres, des écrivains et des dramaturges, et il serait regrettable que cette pratique ne soit pas plus présente aujourd'hui.

Revenons au monde du livre, si vous le permettez...

Le livre a un avenir prometteur en Algérie. C'est une patrie d'inspiration inépuisable. Il suffit de se promener à travers nos ruelles et nos remparts pour ressentir cette magie: c'est comme une féerie d'images et de lumière qui vous enveloppe. Toutes les grandes figures célèbres qui l'ont visitée l'ont dit. Il n'est donc pas étonnant que l'Algérie ait donné naissance et accueilli des personnalités éminentes telles qu'Ibn Khaldoun, Cervantès, Augustin, Camus, Feraoun, Yacine, Dib, Djaout, Yasmina, et bien d'autres. Un philosophe français, après avoir visité l'Algérie, a même déclaré, tenez-vous bien: «que la pensée moderne sortirait d'ici». C'est stupéfiant, n'est-ce pas?
Quoi qu'on en dise, comme l'a si bien expliqué Amine Zaoui, notre pays continuera à produire des écrivains, une source de fierté pour nous et pour les générations futures. Cela renforcera notre immunité intellectuelle avec une diversité croissante d'intellectuels. Avec des mentors pour les générations futures, celles-ci ne pourront que s'épanouir à leur tour.

Vous n'avez pas encore partagé d'informations sur votre dernier ouvrage!

Mon dernier ouvrage, intitulé «Étrange réel», se compose de neuf nouvelles explorant le domaine du fantastique et de l'étrangeté.

Paradoxalement, on pourrait penser que l'école des beaux-arts sait former des littéraires?

Oui, cela semble être le cas! Bien que mon parcours soit particulier, car j'ai toujours eu une inclination pour l'écriture depuis un très jeune âge. L'acte d'écrire commence dès les premières années de vie, vous savez! Pour moi, toutes les formes d'expression se valent. L'essentiel réside dans l'apprentissage des techniques artistiques, permettant ainsi de donner vie à son art, que ce soit à travers la peinture ou l'écriture, deux formes d'expression qui se rejoignent. En fin de compte, l'important est d'apprendre à s'exprimer. Il est intéressant de noter que des écrivains tels que Boudjedra appréciaient Khedda, et Issiakhem était l'ami de Yacine.
J'ai eu la chance de pratiquer les deux modes d'expression, et c'est ainsi que les choses se sont déroulées. Nous vivons à une époque où la peinture se rapproche de plus en plus de la transcription. On dirait que la civilisation cherche à retrouver les siècles des hiéroglyphes et des signes. Il suffit de jeter un coup d'oeil sir le street-art, graffiti, au tag, qui reviennent à la mode et qui représentent des graphismes mêlant représentations et transcriptions.

Parlons de votre prochaine oeuvre?

Ma prochaine création sera une fiction explorant le climatosepticisme; et je n'en dirai pas plus.

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