
Comme dans d'autres régions d'Algérie, l'Ouest oranais a subi les ravages du colonialisme français, caractérisé par une politique visant à semer la discorde parmi les Algériens. Les bureaux arabes, chargés d'alimenter les rivalités entre tribus et grandes familles, ont exacerbé les tensions, notamment entre la branche des Ghraba, à laquelle appartenait Cheikh Bouamama, et celle des Chraga, ses cousins germains. Conscient des intentions des colonisateurs, Cheikh Bouamama proclama la lutte pour libérer le pays du joug français, un combat qu'il mena jusqu'en 1908.
L'histoire du sud oranais montre que, depuis la résistance des Ouled Sidi Cheikh, la région bénéficiait d'une relative autonomie dans la gestion de ses affaires internes. La faible présence de colons et la présence d’un unique poste militaire français à Labiod Sidi Cheikh (fraction des Chraga) expliquent cette situation. Cependant, après des combats acharnés, la famille des Ouled Sidi Cheikh fut dispersée : certains membres s'exilèrent au Maroc, d'autres s'établirent dans l'extrême sud, à Goléa.
Après une trêve observée à partir de 1864, la résistance reprit sous l'égide de Cheikh Si Mâamar ibn Cheikh Tayeb, chef des Ghraba, dès avril 1875. Contraint à l'abandon et assigné à résidence, il céda la place à Cheikh Bouamama, qui, entre 1878 et 1880, brandit l'étendard de la lutte contre l'expansion coloniale française dans les régions sahariennes.
Le déclencheur principal de la résistance fut l'assassinat, le 22 avril 1881, du lieutenant Wayne Bruner, chef du bureau arabe d’El Bayadh, et de quatre spahis, lors d'une tentative infructueuse de neutraliser Cheikh Bouamama. Cet événement marqua le début des hostilités ouvertes avec l’administration coloniale.
En tant que chef de zaouia et homme de religion, Cheikh Bouamama était profondément imprégné de l’idée d’une lutte sainte contre les colonisateurs chrétiens. Les idées réformistes de Djamel Eddine El Afghani et du Sultan Abdul Hamid II, prônant une alliance islamique pour chasser les colonisateurs, influencèrent directement ses convictions. Ces idées, véhiculées par des voyageurs de l’Orient arabe et les prédicateurs de la tariqa senoussya, sensibilisèrent les populations sahariennes à la menace coloniale, renforçant la détermination de Cheikh Bouamama.
La dégradation des conditions économiques dans le sud oranais joua un rôle crucial. Une famine dévastatrice, combinée à la politique oppressive des autorités françaises, notamment l’interdiction de déplacement imposée à certaines tribus (Aflou, El Bayadh, monts du Ksour) entre 1879 et 1881, provoqua une crise majeure. Cette mesure entraîna la perte de 80 % du cheptel à Aflou (37 % en 1879-1880 et 43 % en 1880-1881). Par ailleurs, la volonté française d’établir un poste militaire à Ksar Tiout, après l’échec d’un projet de voie ferrée en 1879, attisa le mécontentement.
Cheikh Bouamama prépara minutieusement la révolte en mobilisant les tribus sahariennes (Trafi, Rézaynia, El Ahrar, Frenda, Tiaret, Ammour, Hamiane, Chaamba) grâce à ses disciples. En peu de temps, il rassembla 2 300 combattants, cavaliers et fantassins. Le premier affrontement eut lieu le 27 avril 1881 à Sfisifa, au sud de Aïn Sefra, où les Français furent défaits, malgré la perte de figures comme les chefs des Maâlif et Rézaynia.
Face à la gravité de la situation, les Français envoyèrent des renforts conséquents, commandés par le général Colineau D’Annecy. Le 19 mai 1881, une seconde bataille à El Mouilek (près de Ksar Chellala) vit la victoire de Cheikh Bouamama, malgré la supériorité matérielle et numérique des Français, qui déplorèrent 60 morts et 22 blessés.
Cheikh Bouamama consolida sa position, coupant les lignes télégraphiques entre Frenda et El Bayadh et attaquant les centres de la société franco-algérienne, tuant plusieurs employés espagnols. En réponse, les Français déployèrent quatre colonnes militaires à Ras El Ma, Békhither, Tiaret et El Bayadh. Le colonel Négrier, chargé de réprimer les tribus insurgées, commit des exactions, détruisant le mausolée de Sidi Cheikh et massacrant des populations à El Bayadh et Chellala Dahrania.
En septembre-octobre 1881, les troupes françaises furent attaquées près de Aïn Sefra, subissant de nouvelles pertes. Les ksours de Cheikh Bouamama (Meghrar supérieur et inférieur) et sa zaouia furent détruits. Malgré ces revers, le ralliement de Si Slimane Benhamza, chef des Ouled Sidi Cheikh Ghraba, avec 300 cavaliers, renforça la révolte. Cependant, face à la pression croissante, Cheikh Bouamama se replia vers Figuig, au Maroc, en 1882, où il infligea une lourde défaite aux Français à Tighri.
En juillet 1883, Cheikh Bouamama s’installa à El Hammam El Fougani (Figuig), où il réorganisa ses forces. Inquiètes, les autorités françaises pressèrent le Sultan du Maroc de l’expulser, le considérant comme une menace. Fin 1883, Bouamama se réfugia dans le Touat, à l’oasis de Deldoul, où il fonda une nouvelle zaouia pour dispenser un enseignement religieux et rallier les tribus touarègues et frontalières. Les Français, cherchant à étouffer la révolte, établirent des centres commerciaux dans le Touat et Tadikalt pour contrer son influence.
Cheikh Bouamama gagna la confiance des populations sahariennes, inquiétant davantage les Français. En 1892, une délégation française à Tanger tenta de négocier une trêve (aman), sans succès. En 1899, le gouverneur général Laverrière proposa un aman inconditionnel, mais Bouamama, désormais installé à Oujda (Maroc), resta inflexible. Son combat, bien que freiné par les pressions marocaines et l’incapacité à unifier les Ouled Sidi Cheikh, retarda l’expansion coloniale dans le sud-ouest algérien.
Retard de l’expansion coloniale : La révolte de Cheikh Bouamama entrava les projets français dans le sud-ouest, défiant la politique de la IIIe République.
Mobilisation religieuse : Elle marqua la phase finale des résistances populaires basées sur la religion comme facteur mobilisateur.
Violence marquante : Après celle de l’Émir Abdelkader, elle fut l’une des révoltes les plus violentes du XIXe siècle.
Recherche de solutions politiques : Les échecs militaires poussèrent les Français à proposer des trêves, rejetées par Bouamama.
Pertes humaines et matérielles : La révolte causa d’importants dégâts des deux côtés.
Développement ferroviaire : Elle accéléra la construction de voies ferrées reliant le nord au sud.
Héritage de résistance : Malgré son incapacité à expulser les Français, la révolte démontra la résilience des populations sahariennes face à l’occupation.
Posté par : patrimoinealgerie
Ecrit par : Hichem BEKHTI