Mostaganem - Georges Martin Witkowski


Georges Martin Witkowski
Quand on connaît le rôle éminent joué par Georges Martin Witkowski dans la vie musicale lyonnaise de la première partie du XXe siècle, comment ne pas s’étonner qu’une partie de son œuvre soit encore si méconnue de nos jours, ce que René Dumesnil a résumé ainsi : « Witkowski, d’abord, eut le tort de vivre à Lyon » !

Né le 6 janvier 1867 à Mostaganem, en Algérie, dans une famille de militaires, Georges Martin ajoutera par la suite à son nom celui de son grand-père maternel, Lucien Witkowski, officier polonais émigré en France. Il ne vivra que quelques mois au Maghreb, la mort de son père en 1869 ayant contraint la famille à regagner la métropole. Installée à Rennes, sa mère, Blanche Martin-Witkowska se remarie avec Eugène Henry, organiste de la cathédrale : cet ancien élève de Boëly, ami de César Franck et d’Alexandre Guilmant, sera le premier professeur du jeune Georges.
Désireux d’embrasser la carrière militaire comme son père et son grand-père, peut-être plus par tradition familiale que par véritable vocation, Georges Martin rejoint le Prytanée militaire de La Flèche où lui est confiée la direction de l’orchestre d’harmonie de l’école, ce qui lui permet de faire l’apprentissage de son futur métier de musicien, métier qu’il assumera tout à fait après sa démission de l’armée en 1906, peu avant un voyage à Bayreuth.
En 1887, l’année de son entrée à Saint-Cyr, il est reçu avec émotion à la tribune de Sainte-Clotilde à Paris par César Franck qui l’encourage dans la voie de la composition. à peine ses études militaires terminées, Georges Martin Witkowski est envoyé en garnison à Lyon où il restera quatre ans : il s’y mariera en 1892. De cette époque date sa rencontre avec Emmanuel Chabrier. à la grande stupéfaction du jeune officier, c’est l’auteur d’España qui, par lettre du 2 mars 1892, sollicita un rendez-vous : « Je passerai, samedi, quelques heures à Lyon. J’aurais été charmé de vous serrer la main. Je sais que nous sommes du même avis sur des questions très palpitantes et je tiens beaucoup à causer avec vous et à faire plus ample et plus visible connaissance. » Witkowski n’oubliera jamais l’invitation d’un « compositeur passionnément admiré » à un « jeune musicien bourré d’aspirations esthétiques abondantes et nobles », qui débouchera sur une profonde mais trop brève amitié, brutalement interrompue par la mort de Chabrier en 1894.

Sur les conseils d’Emmanuel Chabrier, Georges Witkowski décide de travailler la composition et l’orchestration avec Vincent d’Indy : son affinité avec le fondateur de la Société nationale de Musique et de la Schola Cantorum de Paris, auquel il dédicace son Quintette en si mineur pour piano et cordes, aura une influence déterminante sur la suite de sa carrière. Le quintette sera créé à la Société Nationale de Musique, le 5 mars 1898, par le Quatuor d’Armand Parent et Marthe Dron au piano. Dans L’Écho de Paris, le critique Willy, alias Henry Gauthier-Villars, premier mari de Colette, jugea l’ouvrage « bien touffu mais bien foutu ». Au même programme, Ravel avait inscrit ses Sites auriculaires interprétés par la même Marthe Dron et Ricardo Viñes. Le Quintette en si mineur est resté inédit jusqu’à sa publication récente par les éditions Symétrie, bien que Witkowski ait sollicité Vincent d’Indy de lui trouver un éditeur, ce qui ne se fit pas. Le 2 avril 1899, d’Indy répondait : « Je ferai tout ce qui sera possible pour aider à la prise de votre quintette par un éditeur, mais il paraît que maintenant ils se montrent assez difficiles sur la question musique de chambre… C’est peut-être parce qu’on n’en fait plus guère ? »
En trois mouvements, dont les deux premiers sont jalonnés de nombreux changements de tempi, à prédominance lente mais animés de souffle et de passion, le Quintette en si mineur est une page aux proportions imposantes, solidement structurée autour de l’alliance du piano et du quatuor à cordes. L’auteur y pratique volontiers une écriture imitative et des fluctuations harmoniques que l’on retrouvera dans son quatuor à cordes. Aux accents romantiques de l’œuvre, sensibles dès le beau thème plaintif initial chanté par l’alto, se mêle une lutte éloquente entre de nombreux motifs dont les réminiscences d’épisode en épisode viennent consolider l’unité de l’ensemble. Par son recours à la forme cyclique, Witkowski, l’un des derniers franckistes, se situe dans l’héritage de César Franck.

Les toutes premières années du siècle ont été marquées par des événements importants dans la ville de Lyon, événements auxquels Witkowski a pris une part plus qu’active. En 1902, sous l’impulsion de Charles Bordes, ancien élève de Franck, directeur des Chanteurs de Saint-Gervais et fondateur de la Schola Cantorum de Paris, il présida à la création de la Schola Cantorum de Lyon, qui, contrairement à celle de Paris, n’était pas une institution d’enseignement mais une société de chant choral, dont le premier concert public fut donné le 29 avril 1903 : au programme Beethoven, Schubert, Haendel, Schumann et des extraits des Fêtes d’Hébé de Rameau. « Je vous remercie des efforts que vous faites en faveur de Rameau dans la région lyonnaise. Il est grand temps que la radieuse étoile de notre grand musicien ne soit plus éclipsée par celle de Gluck ! », remercia Jacques Durand, initiateur de l’édition complète de l’œuvre de Rameau en dix-sept volumes, placée sous la direction de Camille Saint-Saëns, mais interrompue par la Grande Guerre. Deux ans plus tard, Witkowski créait la Société des Grands Concerts de Lyon, devenue très vite florissante. Cheville ouvrière de toutes ces initiatives, il conduisit le premier concert de la Société avec Eugène YsaÍ¿e en soliste.
C’est à cette époque qu’il achève son unique Quatuor à cordes en mi mineur, créé le 19 mars 1903 à Bruxelles par le Quatuor Zimmer, rejoué à Paris à la Société nationale de Musique le 18 avril, puis à Lyon le 4 mars 1904, par le même Quatuor. Pour Paul Landormy, il s’agit d’une œuvre « particulièrement remarquable », aussitôt publiée chez Durand : « Je sais que l’exécution du quatuor a été très réussie et que l’effet a été très beau au concert de la Nationale, écrivait Jacques Durand : les feuilles musicales ont enregistré cette bonne nouvelle. Dès que vous nous aurez remis le manuscrit, partition et parties, nous nous occuperons de la gravure. »
Le Quatuor en mi mineur s’inscrit en pleine prépondérance de l’école franckiste, à côté des quatuors de d’Indy ou de Chausson, mais entre celui de Debussy qui, en 1892, avait renouvelé la forme, et celui de Ravel, contemporain puisque achevé en 1903, qui déjoua, selon Joël-Marie Fauquet, « les inhibitions qui ont pesé parfois lourdement sur la création musicale des disciples de l’école de Franck ».
Le quatuor de Witkowski, où aucun instrument ne domine les autres, s’organise en cinq parties unifiées dans une tradition franckiste par une cellule cyclique autour du vaste mouvement central « très vif ». Il est composé de deux grandes parties, formée chacune d’un mouvement lent et d’un mouvement vif ponctués de nombreuses variations de tempi et encadrant un scherzo. Il se signale par une écriture chargée, emplie d’incertitudes tonales. L’œuvre s’ouvre dans un climat « lent et soutenu » par une fugue au sujet grave et serein, en valeurs longues, exposé par le second violon. Les deux parties du sujet (la deuxième pouvant être considérée comme un contresujet sur un dessin plus souple) détermineront la suite du quatuor. Ces éléments reparaîtront comme premier et second thème du deuxième mouvement « assez animé » marqué par plusieurs épisodes canoniques. La troisième partie « très vif » en ut dièse mineur adopte véritablement le style et le rythme du scherzo, bientôt modérés par des mesures expressives dans lesquelles revient le thème cyclique : tout le scherzo se développera dans cette alternance. La quatrième époque débute en la bémol majeur dans un climat « très lent » expressif et soutenu où violon et violoncelle échangent le thème premier, avant que dans un tempo « un peu moins lent », l’un des motifs du scherzo suscite une fugue. Ce mouvement assez bref s’enchaîne avec un mouvement « animé » réexposant les différentes idées déjà entendues : il vient clore cette partition d’une éclatante beauté et d’une large envergure.

« Les activités déployées par Witkowski à la tête de la Schola Cantorum ou de la Société des Grands Concerts de Lyon ne doivent pas nous faire oublier son rôle au Conservatoire de Lyon qu’il dirige depuis 1924, succédant à Florent Schmitt, ni son œuvre créatrice, même s’il est vrai que le gestionnaire a souvent pris le pas sur le compositeur », a écrit Yves Ferraton. En 1924, Witkowski sera en effet nommé directeur du Conservatoire de Lyon, avec l’appui de Paul Dukas, inspecteur des Conservatoires : « En ce qui concerne le Conservatoire, je suis tellement certain que vous n’y ferez que des choses excellentes que j’adhèrerai d’avance à toutes les réformes du plan d’étude que vous méditez. » Parmi les réformes envisagées par Witkowski : la création d’une classe de chœur et d’une classe de diction pour les chanteurs.
Georges Martin Witkowski est mort à Lyon, le 12 août 1943. Son fils Jean, violoncelliste, fut professeur d’ensemble vocal et instrumental et de musique de chambre au Conservatoire de Lyon, et, jusqu’à sa mort en 1953, dirigea à son tour l’orchestre de la Société des grands concerts de Lyon.
« Lyon est dans la province française une des villes où le mouvement musical est présentement le plus actif », a écrit Pierre Lalo. Elle connaît une vraie renaissance grâce à Witkowski, qui « sert la cause de la musique avec un dévouement absolu, continue-t-il, et aussi avec une sorte d’élan et d’audace qui sont des signes particuliers, et où l’on voit que le cavalier survit dans le musicien. »





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