L'histoire des guerres de libération et des conflits contemporains montre que les cessez- le-feu ne sont pas de simples interruptions des combats : ils sont des instruments politiques majeurs, souvent utilisés comme leviers dans les négociations. Dans la guerre d'indépendance algérienne (1954-1962), le FLN a refusé tout cessez-le-feu tant que les conditions politiques de l'indépendance n'étaient pas acquises.
Aujourd'hui, dans le conflit entre la Russie et l'Ukraine, on observe une logique stratégique similaire du côté russe : Moscou n'accepte pas un arrêt des hostilités avant d'obtenir des gains considérés comme irréversibles. Cette continuité historique illustre une doctrine de guerre où la force militaire soutient la négociation, mais ne s'efface jamais avant que les objectifs fondamentaux soient sécurisés.
Le FLN et le refus du cessez-le-feu précoce
De Gaulle et ses propositions avortées
Dès 1959, Charles de Gaulle cherche un « cessez-le-feu » pour ouvrir la voie aux négociations. Mais le FLN, fort de sa légitimité internationale et de son enracinement populaire, refuse. Un cessez-le-feu sans garanties d'indépendance aurait figé le rapport de force, laissé l'armée française sur place, et risqué de transformer la lutte en une autonomie limitée sous tutelle coloniale.
La logique du FLN
Pas de répit sans victoire assurée : interrompre la lutte revenait à se priver de son seul atout, la pression militaire et politique.
La stratégie du coût : en maintenant la guerre, le FLN poussait la France à l'épuisement matériel, moral et diplomatique.
Les négociations de position : ce n'est qu'une fois la reconnaissance de l'intégrité du peuple algérien acquise que le cessez-le-feu d'Évian fut accepté (mars 1962).
Leçon stratégique
Le FLN a transformé le cessez-le-feu en outil de consécration et non en préalable. Ce choix a garanti que l'arrêt des combats coïncidait avec l'atteinte des objectifs stratégiques : l'indépendance totale.
La Russie et l'Ukraine : une stratégie comparable
Les tentatives occidentales de cessez-le-feu
Depuis 2022, de nombreuses initiatives diplomatiques (ONU, Turquie, Chine, Afrique, Occident) ont cherché à imposer un cessez-le-feu. Pour Moscou, ces propositions signifiaient geler les lignes actuelles du front sans reconnaissance de ses annexions et sans neutralité durable de l'Ukraine.
La vision russe du conflit
Pas de gel sans garanties : un cessez-le-feu qui laisserait l'Ukraine armée par l'OTAN serait perçu comme une défaite différée.
La stratégie de l'épuisement : la Russie, comme le FLN, compte sur le temps pour user son adversaire, par la guerre longue et par les fractures politiques dans le camp occidental. Les négociations différées : Moscou accepte l'idée de discuter, mais seulement une fois les rapports de force consolidés sur le terrain (annexions, couloir terrestre vers la Crimée, affaiblissement structurel de l'armée ukrainienne).
Une continuité historique
À l'image du FLN, la Russie ne voit pas le cessez-le-feu comme une concession humanitaire mais comme une arme politique. Son acceptation ne viendra que lorsqu'il consacrera ses acquis territoriaux et stratégiques.
La logique stratégique commune : ne pas négocier depuis une position de faiblesse
La guerre comme moyen, non comme fin Le FLN n'avait pas pour objectif de prolonger indéfiniment la guerre, mais de l'utiliser comme instrument pour obtenir l'indépendance. De même, la Russie n'a pas pour but la guerre sans fin, mais de forcer un nouvel ordre sécuritaire en Europe. L'effet de levier FLN : maintenir la guerre = maintenir la légitimité et l'usure de la France.
Russie : maintenir la guerre = maintenir la pression sur l'Ukraine et sur l'OTAN, créer un rapport de force irréversible.
Le refus de la neutralisation précoce
Dans les deux cas, un cessez-le-feu anticipé aurait gelé une situation défavorable :
Pour l'Algérie, l'autonomie sans indépendance.
Pour la Russie, un statu quo où l'Ukraine resterait un proxy militaire de l'OTAN.
Différences contextuelles mais convergence stratégique
Différences
FLN : mouvement de libération d'un peuple colonisé.
Russie : puissance étatique voulant redessiner l'équilibre sécuritaire.
Convergences
Refus de s'arrêter avant d'obtenir des gains politiques.
Exploitation du temps comme arme contre l'adversaire. Transformation du cessez-le-feu en point d'aboutissement, non en condition d'ouverture. De l'Algérie à l'Ukraine, la leçon est claire : dans les guerres où les enjeux sont existentiels, le cessez-le-feu n'est pas une mesure humanitaire, mais un outil politique dont l'acceptation dépend uniquement de l'atteinte des objectifs fondamentaux. Le FLN a refusé de déposer les armes avant l'indépendance, et la Russie refuse aujourd'hui d'interrompre la guerre avant d'obtenir la garantie de ses acquis stratégiques. Dans les deux cas, c'est la démonstration que la paix véritable n'est pas le produit d'un compromis fragile, mais le résultat d'un rapport de force consolidé
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Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Salah Lakoues
Source : www.lequotidien-oran.com