Médéa

L'Arabie Saoudite court en Formule 1


Il y a quelques décennies, en plein boom pétrolier et financier, une firme automobile française avait diffusé un film publicitaire pour lancer les ventes de son nouveau modèle de petite cylindrée. On y voyait un «émirion», un petit émir, s'extasier devant ce modèle, et inciter son papa gâteau et replet à souhait, à le lui offrir, mais l'émir refusait avec cet argument : «Pas assez chère mon fils !» Les publicistes français avaient perdu le pétrole, mais ils avaient des idées, comme ils l'affirmaient non sans dépit, même si, par la suite, ils ont tout fait pour réduire leur angle de vue. Leur classe politique nous en administre tous les jours la preuve sous les yeux, mais on devrait admettre que leurs anciens savaient aussi mettre le doigt là où ça faisait mal. Je ne crois pas que ce persiflage publicitaire pouvait gêner nos émirs aux entournures, mais connaissant le pays et les siens, on ne pouvait s'empêcher tout de même de se sentir aussi visés. Ce qui est certain, c'est qu'en dépit de ce qu'on pense d'eux, en Occident ou plus près, les rentiers de la manne pétrolière continuent à se conformer en tous points à cette image de riche. Ils ont tellement forcé le trait en se lançant dans des dépenses somptuaires, et plus souvent pour le prestige, qu'ils ont fini par déteindre et susciter ailleurs d'autres douteux projets.L'avantage qu'ils ont dans ces monarchies pétrolières, c'est que les dirigeants politiques n'ont pas besoin de voler puisque le pays leur appartient, et que leurs peuples sont muets, donc très consentants. Une fois la redistribution de la rente effectuée, et selon les critères indispensables en toute bonne royauté, pour ne pas dire en partage léonin consenti, il reste encore de l'argent à dépenser. Les pays européens, dont la France, n'ont pas une réputation d'arabophilie établie, mais ils ont su maintenir avec les pays arabes les plus riches des liens encore plus avantageux pour eux. Que vont faire les Emirats avec ces 80 avions de guerre dont personne ne veut et qui risquent de finir à la casse, et qui voudrait des sous-marins que l'Australie ne veut pas acheter, si ce n'est un pays arabe' Mais quand on est plus riche que riche, on peut se permettre aussi d'investir dans la pierre, en Europe, l'achat de clubs, ou d'évènements sportifs, aussi fructueux que porteurs de prestige. Avant le Qatar qui s'apprête à organiser la prochaine édition de la Coupe du monde de football, c'est l'Arabie Saoudite qui ouvre le bal avec le Grand Prix de Formule 1 à Djeddah. Pour bien cadrer avec les nouvelles perspectives d'ouverture offertes par le prince Mohammed Ben Salmane, l'évènement prévu pour hier dimanche a été précédé d'un méga-concert.
C'est le chanteur égyptien Mohamed Hamaqi qui a animé ce concert ouvrant officiellement la compétition, et retransmis par près d'une centaine de chaînes de télévision satellitaires du monde. Personne en Egypte, ou ailleurs dans le monde, n'a pensé à demander à Mohamed Hamaqi de ne pas se rendre à Djeddah, et d'éviter ainsi de chanter devant Mohammed Ben Salmane. Quand on est ressortissant d'un pays membre de la Ligue arabe, on ne court pas à sa perte, en tant qu'artiste, et en tant que citoyen, en refusant de chanter devant l'homme qui tua Khashoggi. C'est du moins la conclusion des enquêteurs US qui ont conclu que MBS était directement impliqué dans l'assassinat du journaliste saoudien Jamel Khashoggi à Istanbul en octobre 2018. Samedi soir, l'Egyptien a honoré normalement son concert sans se préoccuper de qui a assassiné qui, mais le chanteur canadien, Justin Bieber, lui a été sommé d'annuler son tour de chant. Il était programmé, en effet, pour le concert de clôture du grand prix automobile et les pressions se sont accumulées sur lui de toutes parts afin qu'il refuse de chanter en Arabie Saoudite. C'est d'abord Hatice Genciz, la veuve de Jamel Khashoggi, qui lui a d'abord demandé de s'abstenir dans une lettre ouverte publiée justement par le Washington Post le 24 novembre dernier.
«C'est une occasion unique pour envoyer un message fort au monde indiquant que votre nom et votre talent ne seront pas utilisés pour redorer le blason d'un régime qui tue ses opposants», a-t-elle écrit dans les colonnes du journal auquel collaborait son défunt mari. En réalité, Jamel Khashoggi était déjà marié, et père de famille, avant de s'exiler en Turquie, et les médias saoudiens ont même annoncé, images à l'appui, que MBS avait reçu l'un des fils du défunt. De son côté, la Human Rights Foundation (HRF) a demandé à Justin Bieber d'annuler sa participation «en signe de solidarité avec la souffrance continue du peuple saoudien». Il n'est pas sûr que le chanteur ait fini, en fin de compte, par obtempérer et par annuler le concert de clôture du grand prix, considérant l'énorme cachet dont il pourrait se priver. Justin Bieber serait d'autant moins enclin à le faire qu'il devrait déjà connaître l'issue immédiate de la crise entre le Liban et l'Arabie Saoudite. Pour avoir oublié qu'il n'était plus journaliste, et pour avoir critiqué l'intervention saoudienne au Yémen, le ministre de l'Information Georges Kordahi a été obligé de démissionner. Voilà où mènent des alliances douteuses comme celle qu'a nouée, au nom de sa communauté, le Président libanais Michel Aoun avec les dirigeants du Hezbollah.
A. H.


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