Mascara

Une solitude bien inhabituelle


Connu pour être le mois du partage et des retrouvailles, le mois de Ramadhan, pour la deuxième année consécutive, n'a pas le même goût et senteurs pour beaucoup d'Algériens.La fermeture des frontières depuis plus d'une année a obligé beaucoup de parents à passer un Ramadhan solitaire. D'autres ont fait le choix assumé de jeûner sans enfant ni petit-enfant.
Pendant longtemps, Mohamed et son épouse étaient fiers de dire que tous leurs enfants sont installés à l'étranger et que pour le mois de Ramadhan, ils faisaient en sorte de le passer avec l'un d'eux. « J'ai deux garçons et une fille. Les premiers sont installés au Canada et aux Etats-nis, quant à la dernière, elle vit en France. Avant la pandémie, nous nous organisions pour que l'un d'eux vienne en Algérie pour passer le Ramadhan avec nous et sa famille ou bien nous allions chez l'un de nos enfants. Nous faisions une sorte de tournée ramadanesque et cela nous convenait très bien. Nous ne sentions aucun manque. Mais l'an dernier, cela a été dur. Pour cette année, nous déprimons vraiment ! » explique Mohamed. Et de poursuivre : « Nous avons beau être en contact avec eux tout le temps par Viber, Skype ou le téléphone, cela ne suffit pas. Nous avons besoin de les voir, de partager avec eux le repas du Ramadhan. Cela a complètement un autre sens. Leur absence est plus ressentie durant ce mois de carême.»
Pour éviter cet isolement, ils avaient au départ invité quelques proches, mais ils ont vite arrêté. «Nos enfants nous ont bien expliqué que le risque de la pandémie est bien présent et que la troisième vague peut arriver. Alors par précaution, nous n'invitons plus personne. Nous n'avons pas le choix et nous devons nous adapter même pour la façon de cuisiner. Mon épouse a eu du mal à doser pour deux personnes uniquement, habitué à faire beaucoup de chorba ou des boureks. Mais au bout de quinze jours, elle a pris le rythme. Notre souhait est que le Ramadhan de l'année prochaine nous trouve en bonne santé et réunis autour de nos proches.»
Souheib, 45 ans :
«mes parents ont renouvelé l'expérience du Covid»
Souheib est l'aîné d'une fratrie de cinq enfants. «Je suis originaire de Mascara. Mes parents y vivent toujours et ont de tout temps refusé de quitter leur quartier. Mes frères sont éparpillés un peu partout sur le territoire national par obligation professionnelle et mes s?urs sont mariées. Par la force des choses, nous faisions en sorte durant les années précédentes de faire un planning pour qu'ils ne restent pas seuls durant le mois de carême. L'année dernière, à cause de la pandémie, nous n'avons pas pu respecter cette tradition. Nous nous sentions coupables mais nos parents nous ont rassurés. Ils ont apprécié de rester seuls, au calme, sans aucune contrainte. Au départ, je pensais qu'ils plaisantaient mais c'était vrai. Pour cette année, ils nous ont demandé de ne venir que le jour de l'Aïd. Ils ont apprécié l'expérience de l'année dernière et l'ont renouvelée. Et au fond, je dois dire, que cela arrange tout le monde. Je pense que cela sera la norme pour les années à venir jusqu'au jour où ils sentiront le besoin d'une aide extérieure. Je prie Dieu pour qu'Il leur accorde une bonne santé le plus longtemps possible.»
Nawel, fille unique, mariée :
«mes parents veulent garder leurs habitudes»
Mariée depuis quatre ans et maman d'une petite fille, Nawel a une vie épanouie entre son travail et sa petite famille. «Je vois mes parents régulièrement parce que je suis véhiculée. Mais à l'approche du mois de Ramadhan, je me sens coupable. Pour moi, il était important qu'ils ne soient pas seuls autour de la table. Lorsque j'étais jeune, je me suis promise que même mariée, j'adopterais un rythme de vie qui me permettrait d'être avec eux lors des grandes occasions et notamment le mois de jeûne. Mon mari a dès le départ refusé de passer ce mois chez mes parents, il préfère les inviter à rester avec nous. Ils ont essayé la première année mais n'ont pas voulu renouveler l'expérience. Même si mon époux et moi-même avons fait en sorte qu'ils ne manquent de rien et qu'ils soient à l'aise. Depuis, ils le passent seuls à quelques exceptions lorsque nous y allons, soit trois à quatre fois par mois. Ils se sont habitués et veulent garder leurs habitudes. Le sentiment de culpabilité a disparu parce que je sais qu'ils sont heureux et ne manquent de rien. Ils ont leur train-train de vie et ne se plaignent pas. Mais, je n'ose pas le dire à mes collègues et amis. Je prétends qu'ils viennent chez moi parce que la société juge sans connaître. Les gens veulent imposer leurs propres traditions ou leur vision des choses. J'ai déjà perçu des regards désapprobateurs ou bien des propos un peu déplacés quand je disais que mes parents jeûnaient seuls. Alors, j'ai décidé de ne plus en parler tout simplement. L'essentiel est que chacun soit heureux !»
Sadia, retraitée :
«je ne veux rien imposer à mes enfants»
«Je suis veuve et je vis seule depuis trois ans. Avec mon défunt mari, nous vivions à notre rythme, nous recevions de temps en temps sans plus. Depuis son décès, j'avais pris la décision de continuer à vivre seule et de ne rien imposer à mes trois enfants. L'un d'eux avait essayé de m'obliger à vivre avec lui mais j'ai refusé car personne ne peut se sentir à l'aise. C'est impossible. Pour le mois de Ramadhan, je me suis créé une routine qui m'est propre. Un jour sur trois, je dresse un seul couvert, et pour les autres jours, soit j'invite un de mes enfants et toute sa smala, ou bien une amie ou une cousine. Je ne sens absolument pas le besoin de fermer ma maison pour aller passer le mois de carême chez un de mes enfants. Chacun a le droit de vivre comme il l'entend et moi aussi. Au départ, je pensais être la seule à réfléchir et agir de la sorte mais de plus en plus, je me rends compte que je suis loin d'être un cas isolé. Eh, oui, la société change et évolue.»
Sarah Raymouche
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