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«Ce n'est pas le peuple qui est indépendant mais l'Etat» Amazigh Kateb. Leader du groupe Gnawa Diffusion


«Ce n'est pas le peuple qui est indépendant mais l'Etat»                                    Amazigh Kateb. Leader du groupe Gnawa Diffusion
Rencontré vers 3h du matin, à la fin d'un sublime concert au chapiteau de l'hôtel Hilton, Amazigh Kateb, égal à lui-même, avec la modestie qu'on lui connaît, s'est livré à ce jeu de questions-réponses sans fatigue aucune.
-Séparé depuis 2007, le groupe Gnawa Diffusion renaît aujourd'hui de ses cendres. Comment s'est effectué ce retour '
Sur ma dernière tournée Marchez noir avec mon projet solo, des musiciens m'avaient rejoint. C'était il y a à peu près un an. On commençait à se dire que finalement, sur les morceaux que j'avais fait en solo, quand il y avait presque tout le monde, ça sonnait presque comme Gnawa Diffusion. Et puis aussi, le fait de rejouer d'anciens titres sur scène de temps en temps. Du coup, cela nous a redonné envie de rejouer ensemble.
Il y avait également de la matière commune qu'on avait envie d'exploiter et de retravailler. On s'est remis au travail sur un nouvel album qui sortira prochainement. Le mix qui est en train de se faire. Normalement, cela va être masterisé d'ici septembre ou octobre prochain. Si les échéances sont respectées, l'album sortira le 17 octobre en France.
En Algérie, nous n'avons pas encore arrêté la date, mais ce serait pas mal que se soit le même jour. C'est une date symbolique. C'est également la date à laquelle j'ai sorti mon album solo. C'était un 17 octobre. Pour rappel, c'est la date où ont été jetés des Algériens dans la Seine. Je trouve également que c'est une belle date pour monter sur scène.
-Dans ce nouvel album, vous vous plaisez, comme d'habitude, à traiter de thèmes à forte connotation revendicative...
Le titre de l'album n'existe pas encore. Il y a que les morceaux. On ne sait plus exactement comment on va l'appeler. Mais forcément, il va falloir qu'il porte un petit nom (rire). Il y a pas mal de choses dans cet opus. Il y a des thèmes revendicatifs plus que d'autres. C'est vrai que c'est un album qui a une couleur bien dans le ton de l'insurrection, de la désobéissance civile, de la révolution permanente et non pas le Printemps arabe comme se plaisaient à le redonder certains de vos collègues journalistes. Ces derniers parlent beaucoup du Printemps arabe. Ils contribuent finalement à galvauder un terme médiatique creux, qui ne veut rien dire. La révolution ce n'est pas au printemps, et le printemps n'est pas arabe.
Le printemps et la révolution sont internationaux. La seule révolution qui a un avenir sur cette terre, c'est celle qui fait que les peuples se rejoignent dans une route qui n'est pas la route de la servitude et de l'esclavage. C'est juste pour dire que ce Printemps arabe est une mascarade. C'est une reprise en main des régimes. En Tunisie et en Egypte, c'est l'armée qui a repris les choses en main. En Libye, c'est une fausse intervention au nom de la démocratie. Ils sont allés faire une opération sur le pétrole et sur le pays tout entier. Aujourd'hui plus que jamais, la révolution est nécessaire. Il ne faut surtout pas contribuer au discours qui voudrait que la révolution soit passée et qu'aujourd'hui, on se retrouve à faire des analyses post-révolutionnaires. J'entends des gens dire que la révolution tunisienne s'est passée à cause de ci ou de ça. Je trouve qu'il est tôt pour parler de quelque chose qui est en train de se passer et qui doit se passer.
Le nouvel album évoquera également l'exil, ce qui s'est passé dans les pays arabes nous en parlons, mais pas en termes de printemps arabe. Il y a un hommage aux gens qui sont morts. Il y a une chanson d'amour, Malika El Moutahadjiba. En fait, il y a deux chansons sur la même Malika. La première est Malika Bomba, elle relate ce que les jeunes font en cachette. Après avoir revêtu le hidjab, Malika a commencé à croire que son vêtement était incompatible avec l'amour. Elle a rendu un homme malheureux. Mais je pense que c'est le cas dans beaucoup de relations en Algérie. C'est une chanson qui parle de cette jeunesse bridée dans sa vie sentimentale et dans sa vie sexuelle. Au lieu de vivre cette jeunesse et d'évacuer toutes les frustrations de n'importe quelle jeunesse sur terre, on lui fait accumuler ces frustrations jusqu'à cela devienne incompatible.
Le message de cette chanson est le suivant : aimer Dieu ne veut pas dire détester l'amour ou ne pas aimer. Je voudrais m'adresser à toutes les moutahadjibate pour leur dire qu'on les aime et qu'on ne veut pas les perdre. On voudrait qu'elles restent à côté de nous. Dans cet album, il y a pas mal de couleurs. Les morceaux sont hétéroclites. Il y a des choses différentes. Cela va plus vers de la musique acoustique.
-Qu'évoque pour vous le cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie '
Quand je regarde les quinze ans qui viennent de passer, je n'ai pas l'impression d'avoir passé quinze ou vingt ans. Je n'ai pas l'impression que les Algériens aient vécu une indépendance très florissante et cela juste en regardant les 20 dernières années. Je pense que c'est le cinquantenaire de la remise en question. En tant qu'Algérien, j'en suis à un constat d'amertume. Je vois bien que mon pays et mon peuple ne sont pas arrivés à ce à quoi ils aspiraient. Je pense qu'au lendemain de l'indépendance, il y avait une grande sincérité chez les Algériens qui a été détruite et sapée. Aujourd'hui, la sincérité s'est retournée. C'est la sincérité de vouloir partir, c'est-à-dire qu'aujourd'hui, un Algérien vous dit «sauve qui peut» ou encore «si tu es loin restes-y» ! J'ai envie de dire que si on est indépendant pour faire une croix sur notre liberté, à quoi sert-il d'être indépendant '
L'indépendance, c'est avec la liberté, c'est avec des droits, avec une vie sociale et associative. Aujourd'hui en Algérie, nous avons une indépendance historique. Ce n'est pas une indépendance réelle. Ce n'est pas le peuple qui est indépendant mais un Etat. L'Etat est peuplé de peuple. Sans peuple, il n'y aurait pas d'Etat. Et pourtant, le peuple de ce pays est écrasé. Il n'a pas voix au chapitre. Très souvent, les Algériens subissent des politiques qu'ils n'ont pas choisies. Il y a un système pseudo-démocratique. C'est vrai que quand on regarde comment les échéances électorales sont organisées, on a l'impression que c'est un pays rythmé par des rendez-vous démocratiques. Au final, je n'ai pas l'impression que ce sont cinquante ans d'indépendance. Il y a beaucoup de choses à dire sur ces cinquante ans, mais pas beaucoup de choses sont dites sur l'indépendance de ces cinquante ans.
-Vous avez repris la formation d'origine en greffant deux nouveaux éléments...
En fait, il y a deux éléments en plus dans Gnawa Diffusion. Il y a Blaise, le nouveau pianiste. C'est une formation élargie. On n'aime pas laisser les gens au bord de la route. Comme j'ai travaillé avec des gens sur des projets solo, cela a collé à Gnawa. C'est ainsi que je les ai gardés dans l'équipe. Je pense que les musiciens ont fait des progrès. Il y a de nouvelles choses qui apparaissent dans leur jeu. Moi, j'ai écrit aussi des choses qui ont plus de langueur, pas comme vers la fin de Gnawa Diffusion en 2007 où j'étais usé par quinze ans de route avec Gnawa. Là, c'est avec beaucoup de fraîcheur que nous reprenons. Je reprends du plaisir à composer pour dix personnes alors que sur mon album, je me suis bridé un peu car je savais que je n'avais pas une grande équipe. Je composais pour un ou trois, histoire d'exécuter le plus simplement possible.
Là, je reviens à des choses qui me manquaient. Mais en tout cas, l'essentiel à retenir, c'est la vraie relation entre l'histoire solo et Gnawa. C'est Gnawa qui m'a jeté dans l'histoire, qui m'a donné l'envie de faire un truc individuel parce que j'en avais marre d'être étouffé dans le collectif. Mais après dans mon histoire individuelle, il y a eu un moment où j'en ai eu marre d'être seul. J'avais envie de retourner dans le collectif. C'est un peu comme la famille : on l'aime mais on ne peut pas rester tout le temps avec elle. C'est étouffant. Il faut partir. Il faut créer la fraîcheur. Je pense que nous avons bien fait de faire cette pause.
-Qu'en est-il du projet de chanter quelques textes poétiques de votre regretté père Kate b Yacine '
J'ai abandonné cette idée pour l'instant, car c'est un long texte. On est nombreux. On n'avait pas le temps de le faire. A ma prochaine production en solo, je pense que je vais aborder des textes de mon défunt père, Kateb Yacine. Avec Gnawa, c'est beaucoup plus un travail collectif. C'est quelque chose qui court l'actualité. C'est comme une chronique d'époque.
Vos retrouvailles avec le public algérien ont été très chaleureuses et complices à la fois !Le public algérien reçoit le message à 100%. Il comprend les trois langues chantées. Il y a quelque chose de très argotique dans ma façon d'écrire. Je pense qu'une grande partie de la jeunesse se reconnaît là-dedans...
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