Introduction
Dihya, également connue sous le nom de Kahina ou Kahena, est une reine guerrière berbère du VIIe siècle, célèbre pour sa résistance héroïque face à la conquête musulmane du Maghreb par les Omeyyades. Chef militaire charismatique, elle a unifié les tribus berbères des Aurès et au-delà, devenant une icône de l’amazighité et une figure majeure de l’histoire nord-africaine. Surnommée Al Kahina (« la prophétesse » ou « la devineresse ») par ses adversaires arabes en raison de ses prétendues capacités à anticiper l’avenir, Dihya incarne à la fois une résistance politique, culturelle et identitaire. Cet article explore sa vie, ses combats, son héritage, ainsi que sa portée symbolique dans les mouvements berbéristes et féministes.
Origines et Contexte Historique
Dihya serait née au début du VIIe siècle dans la tribu zénète des Djerawa, implantée dans les Aurès (actuel est de l’Algérie), selon l’historien Ibn Khaldoun. Certaines hypothèses, soutenues par des historiens comme Émile-Félix Gautier, Charles-André Julien ou Mohamed Talbi, suggèrent une ascendance métissée, mêlant origines berbères et byzantines. D’autres, comme M’hamed Hassine Fantar, avancent que le nom « Kahina » pourrait dériver du punique Kohenet (« prêtresse »), soulignant une possible dimension spirituelle.
Son nom personnel varie selon les sources : Dihya, Daya, Dehiya, Dahya ou Damya. Les chroniqueurs arabes médiévaux, tels qu’Ibn Khaldoun, privilégient « Dihya » accompagné du surnom « Kahina ». Ce dernier, attribué par ses ennemis, reflète son aura mystique et stratégique.
Le VIIe siècle est marqué par les guerres arabo-byzantines et la conquête musulmane de l’Afrique du Nord, initiée sous le calife omeyyade Muawiya Ier et poursuivie par son fils Yazīd Ier. Le général arabe Oqba Ibn Nafi, gouverneur de l’Ifriqiya (actuelle Tunisie et est de l’Algérie), établit Kairouan vers 670 comme base militaire pour la conquête du Maghreb. Cette expansion se heurte à une double résistance : celle de l’Empire byzantin, retranché sur les côtes (notamment à Carthage), et celle des tribus berbères, unifiées d’abord par le chef Koceïla, puis par Dihya.
La Résistance de Koceïla et l’Émergence de Dihya
Avant Dihya, Koceïla, chef berbère, organise la résistance contre les Omeyyades de 680 à 688. En 683, il tend une embuscade à Oqba Ibn Nafi à Vescera, le tue, et expulse les Arabes de Kairouan, qu’il contrôle brièvement. Cependant, Koceïla est vaincu en 688 lors de la bataille de Mamma, près de Timgad, face aux renforts omeyyades menés par Zuhair Ibn Qais.
Vers 690, Dihya succède à Koceïla comme chef de guerre des tribus berbères. À cette époque, le gouverneur omeyyade de l’Ifriqiya, Hassan Ibn Numan, intensifie la conquête, capturant Carthage en 698. Informé que Dihya, surnommée « reine des Berbères » (malikat Al barbar), est la principale force d’opposition, Hassan marche vers la Numidie pour l’affronter.
La Bataille des Chameaux : Un Triomphe Stratégique
En 698, Dihya orchestre une embuscade décisive dans une vallée des Aurès, connue sous le nom de « bataille des chameaux ». Dissimulant ses troupes dans les montagnes et utilisant ses troupeaux de chameaux comme écran, elle surprend l’armée d’Hassan Ibn Numan. Les Berbères, embusqués, déciment les Arabes avec une pluie de flèches tirées entre les pattes des chameaux. Cette victoire éclatante, appelée Nahr Al Bala (« rivière des épreuves ») par les chroniqueurs arabes, force les Omeyyades à se replier en Cyrénaïque (actuelle Libye) pendant quatre à cinq ans. Dihya libère de nombreux prisonniers arabes, mais retient Khalid Ibn Yazid, neveu de Hassan, une décision qui jouera un rôle dans sa chute.
Gouvernance et Politique de la Terre Brûlée
Entre 695 et 700 (ou 703 selon les sources), Dihya gouverne un État berbère indépendant s’étendant des Aurès aux oasis de Gadamès. Bien que les sources arabes restent muettes sur son administration, elle semble avoir évité les représailles contre les musulmans, à l’image de Koceïla. Cependant, consciente de la supériorité militaire omeyyade, Dihya adopte une stratégie controversée : la politique de la terre brûlée. En détruisant cultures et ressources, elle cherche à dissuader les envahisseurs de s’installer. Cette décision, efficace dans les zones montagneuses et désertiques, aliène les populations sédentaires et des oasis, affaiblissant son soutien populaire.
La Défaite Finale et la Mort de Dihya
Vers 703, Hassan Ibn Numan, renforcé par des troupes du calife Abd Al Malik, revient en Ifriqiya. Il soumet Gafsa, Gabès et le Nefzaoua avant d’affronter Dihya à Tabarqa. Selon Ibn Khaldoun, la bataille est acharnée, mais les Omeyyades, aidés par une « intervention divine » (probablement une exagération des chroniqueurs), l’emportent. La défaite est précipitée par la trahison de Khalid Ibn Yazid, qui informe Hassan des mouvements berbères.
Dihya s’échappe initialement, mais est rattrapée dans les Aurès, près d’un lieu désormais appelé Bir Al Kahina (« le puits de la Kahina »). Les sources divergent sur sa fin : certaines affirment qu’elle meurt au combat, l’épée à la main ; d’autres qu’elle se suicide par empoisonnement pour éviter la capture. Une version, probablement embellie, rapporte qu’elle est capturée, décapitée, et que sa tête est envoyée au calife. La date de 703 est généralement retenue pour sa mort.
L’Héritage de Dihya
Après la victoire omeyyade, Hassan Ibn Numan reconquiert Kairouan et Carthage, expulsant définitivement les Byzantins des côtes. Il intègre 12 000 Berbères dans l’armée arabe, marquant la fin de la résistance organisée. Selon certaines sources, Dihya aurait envoyé ses deux fils aux Omeyyades avant la bataille finale. Convertis à l’islam, ils auraient intégré l’armée arabe, bien que l’historien Al Waqidi affirme qu’ils sont morts avec leur mère.
Dihya reste une figure centrale de l’identité berbère. Pour les mouvements berbéristes, elle symbolise l’amazighité et la résistance à l’assimilation. Son parcours inspire également les féministes, qui voient en elle une pionnière de l’émancipation féminine, comme le souligne l’historienne Zineb Ali-Benali : « Dihya figure parmi les rares femmes au parcours politique aussi exceptionnel. » Sa capacité à unifier le Maghreb et à rallier les populations témoigne de ses qualités de stratège et de leader.
Conclusion
Dihya, ou Kahina, est bien plus qu’une reine guerrière : elle est un symbole de résistance, d’identité et d’indépendance. Sa lutte contre les Omeyyades, bien que soldée par une défaite, a marqué l’histoire du Maghreb. À travers les siècles, sa légende a été enrichie par les chroniqueurs arabes, les historiens modernes et les mouvements culturels, faisant d’elle une héroïne intemporelle. Que ce soit dans les Aurès, où son nom résonne encore, ou dans les récits féministes et berbéristes, Dihya continue d’incarner la force et la résilience face à l’adversité.
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Posté par : patrimoinealgerie