Guelma

«Il ne pourrait y avoir de réconciliation des mémoires»



Entretien réalisé par Karim Aimeur
Dans cet entretien qu'il nous a accordé à l'occasion du 76e anniversaire des massacres du 8 Mai 1945, le secrétaire général par intérim de l'Organisation nationale des moudjahidine (ONM), Mohand Ouamar Benlhadj, appelle à renforcer le rôle de l'école dans l'enseignement de l'Histoire aux générations montantes, estimant que la réconciliation des mémoires entre l'Algérie et la France ne peut s'accomplir dans la mesure où chacun a sa propre conception de sa mémoire. «Chacun doit garder sa mémoire à lui. Ça ne peut pas être autrement », dit-il.
Le Soir d'Algérie : L'Algérie a célébré le 76e anniversaire des massacres du 8 Mai 1945, un des points noirs du cheminement du colonialisme français en Algérie. Que représentent ces évènements dans le combat libérateur du pays '
Mohand Ouamar Benlhadj : Effectivement, c'est l'un des points noirs de cette colonisation jalonnée par les actions criminelles du colonialisme. Le 8 Mai 1945 est inscrit dans la mémoire du peuple algérien et même d'autres peuples du monde qui s'intéressent aux méfaits de l'impérialisme et du colonialisme français. Au moment où tout le monde fêtait la fin de la guerre mondiale, les Algériens ont fait autant, en profitant de l'occasion pour hisser le drapeau algérien, réclamer la liberté et l'indépendance du pays. Mais à ce moment-là, une réaction préméditée et préparée par le colonialisme est arrivée. Les colons étaient armés auparavant, les fonctionnaires étaient instruits pour les mesures à prendre, les soldats également étaient instruits. La France a même utilisé des armes qu'elle n'avait pas utilisées contre l'Allemagne entre 1939 et 1945, en l'occurrence son aviation, qui a mitraillé les civils à Guelma, Kherrata, le Nord-Constantinois et d'autres régions sous le haut patronage du général de Gaule qui était le chef de Gouvernement provisoire français.
Ces évènements ont un caractère de réveil. Il y a avait le mouvement national qui activait déjà, et qui revendiquait, il y avait des luttes auparavant depuis 1830 mais sans être généralisées.
Après le 8 Mai 1945, il y a eu l'émergence de l'idée de la généralisation de la lutte. Il y avait un mot d'ordre pour le soulèvement au sein du PPA, parti qui revendiquait déjà l'indépendance, pour le 23 mai 1945, c'est-à-dire au cours des évènements du 8 Mai. Il faut rappeler que les massacres ne se sont pas déroulés uniquement le 8 mai, cela n'a été que le début et ils on duré tout le mois de mai. Donc, une décision a été prise au sein du PPA pour un soulèvement généralisé pour le 23 mai. Il y avait un groupe en Kabylie qui est passé à l'action parce qu'il n'avait pas reçu le contre-ordre. Un contre-ordre à travers les groupes paramilitaires du PPA a été donné bien avant cette date, mais le groupe de Zerouali à Dellys, dans lequel il y avait Mazouzi Mohamed Saïd que Dieu ait son âme, qui avait passé par la suite 17 ans dans les geôles du colonialisme, son camarade Haddadi Ali, avec d'autres. Ils sont passés à l'action à travers une embuscade contre un bachagha dans la région de la Basse-Kabylie. Donc après le contre-ordre de Messali, il n'y a pas eu de soulèvement général. N'empêche, l'idée de l'action directe était née pendant ces évènements.
76 ans après, la France ne veut pas reconnaître sa responsabilité, malgré les bonnes intentions affichées et ces tentatives d'apaisement des mémoires. Quelles en sont les raisons à votre avis '
Je crois que c'est dans la nature des choses. Un criminel essaie toujours de se disculper. Généralement, le criminel avoue son crime peut-être sous la pression, sous la torture, sinon, il essaye toujours de passer pour un innocent. Et la politique colonialiste a été toujours la même : nous sommes là pour vous émanciper, pour vous civiliser et pour construire l'Algérie. C'est le langage qu'ils tiennent jusqu'à maintenant. Mais, même chez nous, il y a certaines complaisances parce qu'au lieu de rapporter uniquement les méfais du colonialisme chez nous, les incruster et les inculquer à la jeunesse qui constitue 70% de la population algérienne, malheureusement, on rapporte également les négations des Français pour donner une certaine prise au doute. Or, je crois qu'on ne doit pas parler des négations françaises et les citer dans notre école. A cette jeunesse, nous devons dire toute la vérité comme nous l'avions vécue. Il faut renforcer l'enseignement de notre histoire à l'école, c'est cette volonté qui manque : la volonté d'appeler les choses par leurs noms. De notre côté, on hésite toujours à regarder la France en face et sans baisser les yeux.
La date du 8 Mai a été classée comme Journée nationale de la mémoire. Qu'en pensez-vous '
Cette date constitue un fait très important qui relate le comportement du colonialisme chez nous pendant 132 ans. J'avais dit récemment que c'est une bonne chose de classer cette date comme d'autres qui jalonnent la colonisation française. Mais cela ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt. Lors de ces massacres, il y avait 45 000 morts ou peut-être plus d'innocents.
Mais que représente ce nombre qui est énorme et une seule vie humaine n'a pas de prix, qu'il faut mettre avec le 1,5 million de martyrs durant la guerre entre 1954 et 1962 et d'autres millions depuis 1830. Il ne faudrait pas s'accrocher uniquement au 8 Mai 1945.
Ces derniers temps, les dirigeants des deux pays évoquent ce qu'ils appellent l'« apaisement des mémoires ». Qu'est-ce qui empêche, à votre avis, la réalisation d'une telle démarche '
Le temps a fait son ?uvre en matière d'apaisement des mémoires. Le temps aide à l'oubli mais faut-il avoir la volonté de ne pas oublier pour que la mémoire reste intacte.
Ceux qui ont vécu le colonialisme avec ses affres doivent s'exprimer. Notre école doit également faire son travail. Je pense que c'est le chef de l'Etat français qui a pris cette initiative de réconcilier les mémoires, or, les deux mémoires ne pourront jamais se mélanger, s'amalgamer. C'est impossible.
Dans leur mémoire est inscrit le rôle civilisateur de la France en Algérie. Dans notre mémoire, c'est la France qui est venue envahir notre pays sans qu'on le leur demande et qui a débarqué avec 40 000 hommes en 1830 et ça a continué jusqu'à 1962.
Donc chacun doit garder sa mémoire à lui. Ça ne peut pas être autrement.
K. A.
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