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Un homme d'état et de conviction tire sa révérence MOULOUD OUMEZIANE


Un homme d'état et de conviction tire sa révérence                                    MOULOUD OUMEZIANE
Le 1er mai 1968 à la Fête des travailleurs à l'Ouenza, Mouloud Ouméziane à la tribune, en arrière-plan le Président Boumediene et Kaïd Ahmed
«La nature a donné aux grands hommes de faire, et laissé aux autres de juger.» Vauvenargues
Coup de tonnerre, à la veille du 58e anniversaire du premier novembre, et en ce cinquantième anniversaire de l'indépendance d'une Algérie qu'il portait dans son coeur, Mouloud Ouméziane nous quitte sur la pointe des pieds, sans bruit mais avec beaucoup de tristesse pour ceux qui l'ont connu et apprécié. Victor Hugo a raison d'écrire que «le nom grandit quand l'homme tombe», Ce fut un bel hommage que toutes ces personnes anonymes venues spontanément témoigner par leur présence du grand respect pour l'homme. Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a adressé un message de condoléances à la famille du défunt. «J'ai appris avec tristesse le décès de Si Mouloud, rappelé à Dieu après un riche parcours de militant pendant la guerre de Libération nationale et au lendemain de l'indépendance en contribuant avec force à l'édification du pays dans les différentes responsabilités qu'il a assumées.» le président du Conseil de la nation, M.Abdelkader Bensalah, a souligné que le parcours de l'ancien ministre, demeurera à jamais un témoignage de son dévouement au service de sa patrie. «Le président de l'Assemblée populaire nationale (APN), M.Larbi Ould Khelifa, a affirmé que l'Algérie perd, avec la disparition du moudjahid et ancien ministre du Travail et de la Formation professionnelle, Mouloud Oumeziane, ' 'un valeureux moudjahid et un vaillant militant. C'était un exemple de droiture il croyait en le progrès de son pays et en la prospérité de son peuple».
Beaucoup de personnalités et d'anonymes ont tenu à lui rendre hommage en l'accompagnant à sa dernière demeure et en rendant visite à sa famille. Parmi les autres témoignages nombreux unanimes pour louer l'homme d'Etat, je veux signaler celui de Belaïd Abdesselam qui a tenu à rendre hommage à l'homme et à ses convictions. Je veux aussi rapporter les quelques phrases empathiques de Abdelhak Brerhi qui fut ministre à la même époque que lui: «J'ai connu Si Mouloud dans les années 80, lorsqu'il était ministre du Travail. Affable, courtois, humble, il a toujours parlé juste, vrai, avec franchise et courage. Entier, profondément honnête, il était la bonté personnifiée. homme de conviction, il a toujours inspiré à son entourage respect et attachement. Farouche défenseur du monde des travailleurs, il a toujours été un fervent militant des droits de l'homme et des Libertés. Partisan du dialogue, il fut lors du Printemps berbère, l'un de ceux qui s'opposèrent avec fermeté à l'usage de la force contre les manifestants, notamment lors de l'occupation du Centre universitaire de Tizi Ouzou. Avec Si Mouloud disparaît une grande figure nationale, un patriote irréductible qui mettait l'intérêt de l'Algérie par-dessus tout.»
Qui est Mouloud Oumeziane'
Pour la jeune génération élevée dans l'oubli des grands hommes qui ont contribué à l'édification de ce pays, le nom de Mouloud Oumeziane ne dit rien. Né à Constantine en 1920, engagé à 17 ans dans la Marine (Ecole des Mousses), sportif accompli, il fit ses classes et se retrouva engagé dans le conflit de la Seconde Guerre mondiale en Tunisie (Bizerte), qui sera occupée par les Allemands. Libéré en 1944 il rentre en Algérie. Il occupera les fonctions de préparateur dans un service de l'hôpital Laveran (Ibn Badis actuel). Militant, il s'engagea dès le départ dans la révolution aux côtés de plusieurs moussebels dont Chitour Omar. Ce dernier fut pris dans une rafle, et fut exécuté pour n'avoir pas voulu saluer le drapeau. Mouloud Oumeziane fut recherché, il fut averti à temps de son arrestation imminente, il put alors le 13 mai 1958, sortir du territoire partir en France et là avec des faux papiers faits par la Fédération de France, il fut envoyé au Maroc et fit partie de la délégation de l'Ugta.
A l'indépendance il reprend son poste d'infirmier à l'hôpital tout en militant à l'Ugra (Section régionale de Constantine), Il est membre de la Fédération FLN de Constantine qui comprenait 5 membres, le wali représentant l'Etat, en la personne de Abdelkrim Benmahmoud, le parti,représentée par Mohamed Raïs, Mohamed Boucherit, l'armée représenté par Chadli Bendjedid le commandant de la 5e Région militaire et Mouloud Oumeziane représentant l'Ugta. Cette Ugta qu'il fallait par la suite à tout prix mater...
Le 19 juin 1965 arrive. L'Ugta ne cautionne pas. Son secrétaire général sera inquiété, voire harcelé pendant plusieurs mois, et ceci malgré l'estime que lui vouait le président Boumediene. Il fut élu secrétaire général de l'Ugta jusqu'en mai 1969. Il fut ensuite directeur d'une Caisse d'assurances sociales du Bâtiment puis en 1976 député président de la Commission économique qu'il géra d'une façon vigilante et intransigeante. Il sera ministre du Travail et de la Formation professionnelle de 1979 à 1984, date à laquelle il se retira définitivement de la scène politique pour se consacrer à sa famille. Même affecté, il refusera de porter un jugement sur cette Algérie meurtrie des années 90 et 2000.
Le parcours syndical de Mouloud Oumeziane
On sait que le regretté Aïssat Idir en créant avec d'autres militants dont Tahar Gaïd,, l'Ugta le 24 février 1956 comptait se libérer de la tutelle syndicale française. Il s 'agit de FO, le syndicat dissident de la CGT. Après l'indépendance, Rabah Djermane, sera élu secrétaire général de l'Ugta le 20 janvier 1963. Ce fut ensuite justement Mouloud Oumeziane, qui sera élu du 27 mars 1965 au 9 mai 1969 Le témoignage sur le parcours syndical algérien depuis ses premiers pas, pendant la période coloniale, jusqu'à sa reconstruction à l'indépendance a été décrit dans l'ouvrage autobiographique de Abdelmadjid Azzi ancien secrétaire général adjoint, qui a dû consulter une documentation importante notamment celle parfois inédite, mise gracieusement à sa disposition par Mouloud Oumeziane. Deux autres ouvrages seront écrits par monsieur Bourouiba
Les manoeuvres du pouvoir pour faire rentrer dans le rang l'Ugta
Justement, le pouvoir en place qui structurait à sa façon les mouvements de masse ne voulait pas d'une organisation autonome dans ses décisions et ses actions. Mouloud Oumeziane eut à se battre en vain. Les deux témoignages suivants attestent de la virulence du conflit. Saoudi Abdelaziz qui a été, militant et un des responsables de l'exécutif du Pags pendant une partie de la période de clandestinité de ce parti, un des animateurs dé l'action de masse des travailleurs et des jeunes, qui a été récupéré par Mouloud Oumeziane à sa sortie de prison écrit: «J'ai travaillé pendant près de deux ans à la Centrale Ugta, lorsque Mouloud Oumeziane en était le secrétariat général. C'était avant que le pouvoir n'impose de nouveau sa tutelle sur l'Ugta, à l'automne de 1968. (...) À la Centrale Ugta, j'étais d'abord collaborateur de Tahar Ouali, secrétaire national chargé du secteur des industries, puis j'ai travaillé avec le secrétaire général Mouloud Oumeziane. j'étais donc permanent pendant deux ans, jusqu'à la caporalisation de l'Ugta et à la liquidation de son autonomie, à la fin de 1968. On se rappelle que cette autonomie avait été reconquise au congrès de 1965, deux ans après la première caporalisation de la Centrale, engagée sous Ben Bella (...) Après le coup d'Etat du 19 juin, Boumediene s'était relativement accommodé de l'autonomie de décision de la Centrale syndicale. Une situation conflictuelle (marquée parfois de convergences, s'agissant de la nécessité de développer le secteur public et les nationalisations), qui a duré pendant deux ans. Par la suite, il y a eu deux phases dans la caporalisation. La première a été systématiquement impulsée au début de l'année 1967, principalement pâr le ministre Belaïd Abdesslam, en direction des structures ' 'verticales ' ' (..)» (1)
Parlant des méthodes utilisées par le pouvoir, la coercition ou la compromission-corruption, Il écrit: «On blaguait un ouvrier, secrétaire syndical, jusque-là très combatif, d'une usine privée étrangère du Gué de Constantine, fabriquant des câbles électriques et qui, après la nationalisation de son entreprise, avait en quelques mois changé de look vestimentaire, de coiffure, de voiture, de maison... (...) Malgré tout, les militants syndicaux de toutes tendances, avaient joué un grand rôle, au moment où l'Algérie, après son indépendance, vivait une phase de relève étatique et gestionnaire. (..) L'organe de la Centrale syndicale ' 'Révolution et travail ' ' était à cette époque le seul journal légal à mener une campagne systématique pour la nationalisation du pétrole. (...)La nationalisation des hydrocarbures n'aurait pas été possible sans le soutien actif de l'opinion. Je participais pour le compte du secrétaire général Mouloud Oumeziane, à l'animation de l'équipe de l'organe central de l'Ugta. nous avions contribué, inspirés par le secrétaire général, les fédérations et les unions régionales et locales dynamiques, à créer un mouvement d'opinion, autour de l'idée que le développement de l'Algérie ne peut être réussi que si ce sont les Algériens eux-mêmes qui détiennent les capacités d'anticiper et de décider réellement».(1)
La deuxième poussée caporalisatrice écrit Abdelaziz Saoudi, a été engagée dès le début de l'année 1968. (...) Après l'échec de la tentative dérisoire et manipulée de Zbiri, une des conséquences de la redistribution des cartes dans l'équipe dirigeante du ' 'Conseil de la Révolution ' ', fut la désignation de Kaïd Ahmed à la tête de l'appareil central du FLN. (...) À la Maison du Peuple, régnait un climat de démoralisation et de doute. Il y avait un climat d'intox... (...) Dans cette conjoncture de confusion, de désarroi chez les syndicalistes, dans un contexte de recul sensible du mouvement social et gréviste, les uns après les autres, la plupart des dirigeants de l'Ugta ont fléchi, puis cédé devant les assauts conjugués organisés par Kaïd et Abdesslam. À l'automne de 1968, en dépit de la résistance de Mouloud Ouméziane et de ses amis, la Commission exécutive nationale votait l'abandon du principe de l'autonomie et ' 'remettait son mandat ' ' au dirigeant de l'appareil du FLN, lui confiant la responsabilité de convoquer à tous les niveaux des congrès extraordinaires. Après ce vote, lâche et veule, je me souviens encore de cette nuit de deuil, au centre familial de Ben Aknoun, où j'ai vu pleurer un Mouloud Ouméziane inconsolable...» (1)
Ces faits sont confirmés à l'époque, par un câble secret de l'ambassade de France (WikiLeaks avant l'heure). Il décrit la situation de crise et la détermination de Mouloud Oumeziane à faire de l'Ugta une organisation autonome. Nous lisons: «Après l'attentat le FNL
(FLN') dénonce pèle-mêle les agissements des contre- révolutionnaires. Le 26 avril 1968 l'unique meeting de quelque importance qui réunissait à Alger quelques milliers de manifestants était le fait de la Centrale ouvrière. La principale allocution prononcée fut celle de son secrétaire général Mouloud Oumeziane. Après l'engagement d'un soutien actif à l'égard du pouvoir, monsieur Oumeziane devait inviter clairement les dirigeants à «préserver et à consolider l'organisation de masse des travailleurs», c'est-à-dire l'Ugta. Au moment où le pouvoir dénombre ceux qui lui restent fidèles, l'Ugta sans prétendre marchander son appui entend réaffirmer son droit à l'existence et ses prétentions à jouer un rôle déterminant dans l'orientation politique et économique du pays. Ces objectifs vont de pair avec sa volonté de sauvegarder son autonomie à l'égard d'un partie dont la réorganisation piétine».(2)
C'est de cette période que datent les mésententes continuelles entre Kaïd Ahmed qui voulait caporaliser les organisations de masse et Mouloud Oumeziane qui tenait à l'indépendance de l'Ugta On se souvient que pour la première fois depuis l'indépendance, la fête du premier mai 1968 est officiellement célébrée hors de la capitale. Le président Boumediene fut accompagné de Kaïd Ahmed responsable du parti et Mouloud Oumeziane secrétaire général de l'Ugta chez les mineurs de l'Ouenza. Kaïd Ahmed aurait exigé de Mouloud Oumeziane qu'il lui remette le texte de son discours avant de le faire. Mal lui en a pris, Mouloud fit son discours d'une façon libre et il se permit de le lui jeter à la face à la fin. Après cela l'Ugta caporalisée ne fut plus que l'ombre d'elle-même. Elle n'a pas réussi à faire sa mutation et l'émergence de syndicats autonomes étant la preuve la plus évidente de sa descente aux enfers.
La mise en place du statut général de la fonction publique
«Mouloud Oumeziane, écrit Nabila Amir, qui a révolutionné le monde du travail est à l'origine de la mise en place du statut général régissant la Fonction publique. Une commission a été installée pour réétudier et examiner de fond en comble la grille des salaires des travailleurs, le travail colossal fourni par Mouloud Oumeziane et ses collègues a abouti à la mise en place du statut général de la Fonction publique. «L'idée majeure de refondre la grille des salaires des fonctionnaires est venue de M. Oumeziane. C'est grâce à lui que tout a été réglementé et que le document portant grille des salaires a été abrogé», explique Abdelmadjid Sidi Saïd, secrétaire général de la Centrale syndicale. Sidi Saïd témoigne que le défunt a énormément apporté au mouvement syndical international: «J'ai un grand respect pour cet homme. Dans le monde syndical, la conviction ne suffit pas, il faut être disponible à l'endroit des salariés et c'est ce qui caractérise ce ténor du monde syndical», Mouloud Oumeziane disait toujours, selon lui que la revendication, à elle seule, ne suffit pas. Elle doit impérativement être accompagnée de propositions.» (3)
Mouloud Oumeziane est aussi connu pour son intégrité et son refus de la compromission. Sait-on dans cette période où les Jeunes ne croient à rien qu'il y eut des hommes intègres qui faisaient passer l'intérêt de la nation avant le leur' A la fin de sa mission en tant que ministre, le jour même le chauffeur prit la voiture officielle. Mieux encore il eut à refuser un terrain de 1200 m2 en plein centre de Hydra. Enfin, lors d'une discussion avec Boumediene qui fut très étonné quand il déclara qu'il ne touchait en tant que secrétaire général de l'Ugta que 67.000 centimes, c'est-à-dire qu'il avait gardé sa paye de l'hôpital. Même en été, il tenait à régler le loyer de la villa de Moretti mise à sa disposition. Assurément, nous sommes des nains juchés sur les épaules de ces géants! «Les lions dit-on, ne meurent pas, ils disparaissent.» Comme eux, Mouloud Oumeziane disparait de notre vue, mais son sacerdoce a valeur d'exemple. Il est à espérer que l'hommage de la nation puisse se concrétiser un jour sous une forme ou une autre pour que le sacerdoce de Mouloud Ouméziane serve de repère aux générations futures qui ont besoin de référents pour bâtir ce pays.
1.http://www.algerieinfos-saoudi.com/article-ancien-dirigeant-syndical-mouloud-oumeziane-nous-a-quitte-111844229.html Lundi 29 octobre 2012
2.Documents diplomatiques français: 1968. (1er janvier - 29 juin)
http://books.google.dz/books'id=6usVz9ZbdKMC&pg=PA721&lpg=PA721&dq=Kaid+Ahmed+++Mouloud+oumeziane&source=bl&ots=5naC7zJOas&sig=ZVTKhKzi4FeFml8L0G3LRKHS3us&hl=fr&sa=X&ei=dj-QUO-xMs7KtAabmYGoBg&ved= 0CEcQ6AEwCA#v=onepage&q=Kaid%20Ahmed%20%20%20Mouloud%20oumeziane&f=false
3.Nabila Amir: L'ancien ministre Mouloud Oumeziane, est décédé, El Watan 29.10.2012
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