Constantine - Revue de Presse


Invité jeudi dernier par le Centre culturel français de Constantine, l'historien Benjamin Stora, devait faire, devant un nombreux auditoire, un exposé sur l'écriture de l'histoire à partir des sources écrites et visuelles.

Dans sa conférence, Benjamin Stora a évoqué son parcours d'historien et parlé de beaucoup de choses, notamment de la guerre d'Algérie. De son dernier livre «François Mitterrand et la guerre d'Algérie» et du film sur le même personnage qu'il a réalisé avec le journaliste François Mayle qui devait passer sur France 2, le soir même. M. Stora dira qu'il a voulu mettre en lumière des aspects souvent méconnus de la personnalité et du rôle politique de cet ancien président français, en exposant le parcours singulier de celui qui avait fait partie de deux gouvernements socialistes français successifs au milieu des années 50 et, à ce titre, avait joué un rôle majeur durant la guerre d'indépendance de l'Algérie. Ministre de la Justice, il envoya à la guillotine 45 militants algériens et fut à l'origine du vote des «pouvoirs spéciaux». Au passage, M. Stora n'a pas manqué de souligner la responsabilité de la gauche française qui était au pouvoir, «qui a conduit la guerre d'Algérie et qu'elle a inaugurée». Il évoquera aussi, dans sa conférence, les mécanismes de l'oubli, l'oubli classique voulu par des sociétés qui sortent d'un conflit long et douloureux, comme l'oubli organisé par l'Etat français à travers les lois d'amnistie qui ont été promulguées en 1985, sous le règne, justement, de François Mitterrand, et qui ont permis «d'effacer la guerre», en accordant l'absolution à ceux qui ont été mêlés directement au conflit, les généraux putschistes qui furent réintégrés dans l'armée. Mais l'oubli, s'il a servi Mitterrand pour arriver au pouvoir en 1981 et même s'il a fini par abolir la peine de mort, son passé à Vichy a fini par le rattraper. Et de conclure que l'oubli par la dissimulation ne tient qu'un temps parce qu'il y a le travail des historiens, les archives qui s'ouvrent et la demande des sociétés, notamment la jeunesse qui veut savoir ce qui s'est passé. Immédiatement après la fin de son exposé, une journaliste lui a demandé pourquoi la France officielle rejette toute idée de repentance pour ses crimes en Algérie, durant la colonisation et pendant la guerre de Libération. L'historien français a essayé d'expliquer que cette question est «très lourde et compliquée car elle touche au nationalisme français. Considérée à l'époque comme le cÅ“ur de l'empire colonial français, l'Algérie perdue constitue une blessure narcissique au nationalisme français. Il ne faut pas oublier, a poursuivi Stora, qu'au 19ème siècle, ce nationalisme était en partie construit sur l'idée d'empire, comme avant, il était construit sur la grandeur monarchique, puis sur les idées de la République. A l'époque, les Français de gauche comme de droite, n'ont jamais voulu admettre l'existence d'un nationalisme algérien, et, aujourd'hui encore, une certaine classe politique française pense que le nationalisme français est un nationalisme à base universelle qui ne reconnaît pas d'autres nationalismes». A une autre question sur l'ouverture des archives françaises aux chercheurs et historiens algériens, il répondra «que la demande des Algériens s'est toujours faite de manière erronée et imprécise». A la fin de son exposé, l'historien, sûrement échaudé par ce qui s'était passé au cours de la conférence qu'il avait donnée au Salon du livre à Alger, avait souhaité qu'on lui posât des questions de fond, limitées au sujet de sa conférence et avait fait appel à des étudiants en histoire dans la salle. En vain, il n'a pas pu éviter les questions sur l'actualité brûlante, et pour cause, l'assistance record qui était venue l'entendre, n'était que partiellement intéressée par le thème proposé et attendait l'ouverture des débats pour poser les questions qui lui brûlaient les lèvres.

 Natif de la «ville des Ponts» qu'il dut quitter avec ses parents à l'âge de 12 ans, en 1962, cet historien bien connu a commencé sa conférence en ouvrant une petite parenthèse afin de signaler qu'il était venu plusieurs fois en Algérie, notamment en 1983, quand il était occupé à travailler à un livre sur Messali Hadj, et même durant les années terribles de 1990, où il avait fait des conférences partout en Algérie, sauf dans sa ville natale Constantine. «Et c'est seulement en 2010 que je viens à Constantine pour parler de mon travail et de questions de méthode historique», a-t-il fait remarquer avec étonnement.


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