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Qui a «trahi» Bouzid Saâl '


Qui a «trahi» Bouzid Saâl '
Abdelaziz Bouteflika, le président de l'«Etat algérien restauré» ' Les généraux Toufik et Gaïd Salah de l'ANP, «héritière» de l'Armée de libération nationale (ALN) ' Saadani, le «casserolissime» patron du FLN, le parti libérateur délocalisé à Neuilly-sur-Seine 'La flopée de ministres et hauts dirigeants adorateurs de la pierre haussmannienne, de l'immobilier chic parisien et pas du tout portés sur cette demande de reconnaissance des crimes coloniaux qui les gêne devant leurs maîtres et les renvoie à leur condition d' «obligés» de la France-Algérie. Non, Bouzid Saâl est mort avant d'être trahi. Tout comme le sont les 45 000 (ou 15 000) autres Algériens massacrés en Mai 1945.Le «porteur de l'emblème» a été assassiné à l'aube de l'armistice, par un commissaire de police, non loin du Café de France. Par balle. Non pas à «cause du soleil», comme ce fut le cas pour l'Arabe de Camus, mais à cause du «drapeau» et de ces revendications ? étrangement d'actualité ? du peuple des conscrits indigènes : «Liberté et égalité des droits», en échange de sa participation à la libération du vieux continent.A 26 ans, il finira (avec 24 autres victimes) au fond d'une fosse commune creusée dans le cimetière de Sidi Saïd, à Sétif. Mi-avril 2006. Ce lundi 17, en visite à Constantine, le président Bouteflika ose nommer l'innommable : génocide. «La colonisation, dit-il, a commis un génocide de notre identité, de notre histoire, de notre langue, de nos traditions (...). Nous ne savons plus si nous sommes des Amazighs, des Arabes, des Européens ou des Français.» Le mot est lâché. Incandescent. Les massacres de Mai 1945, longtemps confinés par l'historiographie officielle française en «événements» anodins, rivalisent avec les boucheries du Rwanda.Et tant pis pour l'anachronisme. Moins de 48 heures après, le Président s'en va à Paris contrôler ses bobos à l'institution du Val-de-Grâce, l'hôpital militaire fondé par Louis XIV ! «Droite», «gauche», et à c?ur joie, la classe politique française se délecte, donne libre cours à des commentaires aux relents nauséabonds sortis des remises des temps anciens de l'Algérie française, ou présents, justement incarnés par la loi du 23 février 2005 glorifiant le «rôle positif» de la colonisation. «Scandaleux», hurlait Jean-Marie Le Pen. «Scandaleux que le président algérien se permette de dire cela publiquement et le lendemain d'être chez nous pour se faire soigner.» Le Pen «exige» de Bouteflika des «excuses officielles». Bernard Debré, député UMP, professeur de médecine : «Après nous avoir copieusement injuriés, le président algérien vient nous demander de l'aider. Il aurait pu éviter ses déclarations intempestives.» Qu'à cela ne tienne ! A sa sortie d'hôpital, Bouteflika récidive.Dans le sens où il réitère les mêmes propos tenus à Constantine. En plus mordants. «Pour une centaine d'Européens tués, écrit Bouteflika dans un message lu en son nom le 7 mai 2006, on estimera à plusieurs dizaines de milliers les Algériens assassinés, non pas parce qu'ils combattaient les armes à la main le colonialisme, mais pour ce qu'ils étaient : des êtres humains aspirant à vivre au rythme de leur liberté en tant que peuple autonome, ce qui est la définition même de ce que l'on appelle un génocide.» A sa manière, Bouteflika demandera des «excuses».«Il est évident que depuis le 5 juillet 1962, chacun est maître chez soi et qu'il n'est aucunement question de notre part d'exercer quelle que pression que ce soit pour obtenir ce qui semble être le droit élémentaire de l'Etat-nation algérien : à savoir des excuses publiques et solennelles pour le crime de colonialisme commis contre notre peuple.» Le chef de l'Etat qualifiera de «strip-tease désordonné, ridicule et nauséeux», les circonvolutions françaises autour du devoir de mémoire. «Au lieu de cette attitude franche qui seule peut fonder une rupture avec un passé obsolète et ouvrir la voie à une amitié qui engagerait nos Etats et nos peuples, on assiste à une série de valses-hésitations, de oui-mais ponctués de l'indéfinissable et évanescent ??devoir de mémoire'', d'articles de loi votés puis déclassés?Là où le peuple algérien attendait de la France officielle qu'elle assume avec courage, dignité et mesure son ??devoir de vérité'', c'est-à-dire sa distance critique par rapport à sa propre histoire, il n'a eu droit qu'à un ??strip-tease'' désordonné, ridicule et nauséeux. Tout le monde comprendra, je l'espère, en France, que le peuple algérien n'ait pas applaudi à un tel spectacle indécent et que, malgré sa patience, il en ait pris ombrage.» Après le discours de Constantine, on n'entendra plus jamais le Président parler sur le même ton. Les demandes de reconnaissance et excuses solennelles se sont évaporées et le «génocide» a cessé d'être dans le discours officiel.En 2012, à Tlemcen, main dans la main, les présidents algérien et français prennent les raccourcis de l'histoire. «Pour comprendre cette volonté insistante du gouvernement français à prendre en charge la parole présidentielle algérienne, écrit Mohamed Benchicou dans une de ses chroniques, il faudrait probablement revenir au ?pacte de Tlemcen?. Un échange d'amabilité qui s'est déroulé entre le président Bouteflika et son homologue français, François Hollande, lors de son passage à Tlemcen où ils se sont promis de dire du bien l'un de l'autre au nom d'une amitié naissante et pas encore démentie.» De cette même «amitié cannibale» brocardée pourtant par Bouteflika, himself dans ses discours.L'effet Val-de-GrâceTrois mandats plus loin, et une énième hospitalisation aux Invalides en France, Bouteflika et son régime sous perfusion néocoloniale cesseront d'évoquer ce «mal français». Le sinistre Le Pen a presque vu juste, lui qui réagissait (mai 2013) à l'admission de Bouteflika dans l'hôpital des armées napoléoniennes avec ces mots : «A c'est vrai, dit-il nous sommes là pour ça. Les hôpitaux français sont ouverts prioritairement à la clientèle étrangère surtout lorsqu'elle est de haute volée comme Monsieur Bouteflika. Peut-être que cette fois-ci, il nous récompensera de notre accueil et de notre générosité par un discours moins anti-français que d'habitude. Tout peut arriver.»Aux Invalides, ce 10 mai 1961, le général de Gaulle rendait hommage au maréchal (Hubert) Lyautey dont les cendres étaient transférées sous le dôme (des Invalides) en ces termes : «Qu'y eût-il de plus clairvoyant et de plus fort que ce que le maréchal écrivait sur l'ensemble de l'Afrique du Nord en 1920, c'est-à-dire au moment même où notre victoire dans la Grande Guerre plaçait au plus haut notre confiance en nous-mêmes et notre prestige dans l'univers : ??Il y a lieu de prévoir, disait-il, qu'en un temps plus ou moins lointain, l'Afrique du Nord, évoluée, vivant de sa vie autonome se détachera de la métropole. Il faut qu'à ce moment-là, ajoutait-il, cette séparation se fasse sans douleur et que les Africains continuent toujours de se tourner vers la France.» Pour Bouzid Saâl, l'authentique résistant ravi à la fleur de l'âge, cela ne sera jamais le cas.


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