Constantine - HISTOIRE

Le palais du Bey à Constantine : Que sait-on d’Ahmed Bey



Le palais du Bey à Constantine : Que sait-on d’Ahmed Bey
Ahmed Bey (1787-1850) est l’autre grande figure de la résistance à l’invasion de l’Algérie : moins connu qu’Abd El Kader, il a laissé un palais à Constantine qui, malgré ses transformations à l’époque coloniale, porte l’empreinte, par sa conception et son style, de son maître d’œuvre, de sa culture et de ses voyages. Que peut-on savoir aujourd’hui d’Ahmed Bey ?

Ce que l’on sait de sa vie
Deux auteurs arabes de l’époque -Hamdane Khodja, Salah Al Antri-1 et deux historiens contemporains, Abdeljelil Temimi et Abdelkrim Badadja, constituent nos principales sources pour connaître la carrière et la personnalité du bey. Selon Badadja, le grand-père de Hadj Ahmed Bey, Ahmed Bey El Kolli, était un Turc qui régna à Constantine de 1756 à 1771. Le père d’Ahmed Bey, Mohamed Chérif, Khalifa (lieutenant) du Bey Hossein de 1792 à 1795, était un «koulougli» ; sa mère, Hadja Rokia, était, quant à elle, issue de la puissante tribu Bengana. Elle joua un rôle déterminant dans l’éducation de son fils, l’incitant à se rapprocher de la Sublime Porte. A dix-huit ans, en 1805, il fut nommé caïd El Aouassi (chef des Haracta) par Abdallah Bey.
Il occupa encore la même fonction sous Naâmane Bey, puis sous Tchaker Bey. Il fit le pèlerinage de La Mecque, auquel il dut son appellation de «hadj», et séjourna quelques mois en Egypte. En 1818, grâce à l’appui du dey d’Alger, Hussein, Ahmed fut élevé à son tour au grade de khalifa et prit le nom d’Ahmed Bey El Mamelouk. Il conserva cette fonction à l’avènement des Beys suivants, Mohamed El Mili et Braham El Gharbi.
Devenu un personnage important dans le Beylik, Ahmed en vint à gérer les affaires en lieu et place du Bey, ce qui lui valut des inimitiés. Il dut quitter Constantine et se réfugia à Alger, où il demeura entre 1819 et 1826, bénéficiant de la protection du dey Hussein.
Lors du tremblement de terre qui se produisit en 1825 à Blida, Ahmed se distingua par son courage et son sens de l’organisation pour les opérations de secours. Il se fit aussi remarquer à l’occasion de deux expéditions militaires à l’intérieur du pays.
Il gagna ainsi l’estime du dey Hussein, qui le choisit comme Bey de Constantine pour succéder au fantasque Bey Manamani, en août 1826. Après la chute de Constantine, Ahmed Bey continua à mener la résistance contre l’occupation française. Contraint à la reddition en juin 1848, il mourut en captivité à Alger le 30 août 1850. Il fut enterré à la zaouïa Sidi Abderrahmane, à Alger, laissant trois veuves et deux filles, l’une âgée de 20 ans, la deuxième de 6 ans.

Les relations ambivalentes d’Ahmed Bey avec le pouvoir ottoman
Dans le cadre de la lutte contre la conquête française de l’Algérie, Hadj Ahmed Bey représente une figure majeure, qui ne peut être comparée qu’à celle d’Abdelkader, avec lequel de profondes divergences stratégiques, politiques et personnelles ont été fatales à l’unité et donc au succès de la résistance algérienne à l’envahisseur.
A la différence d’Abdelkader, tourné vers la création d’un Etat moderne, le dernier Bey de Constantine a axé sa politique sur la loyauté à l’égard de la Sublime Porte. Les lettres qu’il adresse au sultan (publiées par Temimi) témoignent en effet de son attachement au système ottoman, pour la réalisation de ses ambitions.
Le 16 septembre 1833, par exemple, il demande au sultan d’entériner le titre de pacha que les notables souhaitent lui voir porter, étant donné sa conduite après la prise d’Alger, et il rejette à cette occasion l’idée d’accepter l’occupation française : «Frappé par ce fait stupéfiant, je regroupai un grand nombre de soldats en fuite, des malheureux et des femmes, et les conduisis à Constantine, ce qui serait assez long à raconter. Je distribuai à tous des provisions suffisantes et donnai aux soldats leur solde.
Et dès que les savants, les nobles, les cheïkhs de la ville apprirent le sort du dey d’Alger, ils me renouvelèrent leur serment d’obéissance et me firent prendre le titre de pacha, comme ils l’ont décrit dans leur exposé à la Sublime Porte. Je ne pouvais qu’y souscrire. J’ai fait lever de nouvelles troupes et des cavaliers, ce qui m’a coûté tout mon héritage puisque, conformément à la loi divine et aussi pour garder l’obéissance et la soumission du peuple, il m’était impossible d’augmenter la dîme. L’ennemi, dans les lettres qu’il a fait circuler, a annoncé à la population qu’il était venu pour supprimer les injustices ; je ne peux accepter ce qu’il se propose de faire.»
En novembre 1836, Ahmed Bey avait repoussé le premier siège de Constantine par les soldats du maréchal Clauzel et, fort de cette victoire spectaculaire, il s’était opposé à AbdelkKader, ce dernier en signant finalement en mai 1837 le traité de Tafna avec la France, lui a permis de se retourner contre le Bey de Constantine et de le défaire quelques mois plus tard.
En 1838, alors que la ville était tombée, Ahmed, qui n’avait pas accepté les propositions françaises et continuait la lutte, cherchait encore l’appui de la Sublime Porte, comme le montre une lettre du 16 janvier au ministère de la Guerre à Istanbul, précédée d’une autre lettre plus brève, envoyée en octobre 1837 : «Si vous avez l’espoir et l’intention de préserver la continuité de l’islam, sauvez ce pays des mains des Français, prêtez secours à votre croyant serviteur parce que vous êtes notre protecteur devant Dieu. Sans doute, comme le sultan s’occupe de son peuple, vous devez nous venir en aide aussi vite que possible, sinon la population nous abandonnera.
Or, il semble que notre seigneur néglige son serviteur, ce qui signifierait que notre sultan, le grand seigneur, est fâché à mon égard ; car s’il ne l’était pas, il ne serait pas raisonnable de laisser cette province comme une proie pour les Français, sans accorder aide aux musulmans ; et puisque nous n’avons pas reçu le moindre secours, il est certain que les Français vont réaliser leurs espoirs. Et si, au cours d’une réunion, il apparaît que vous n’avez pas aidé la religion musulmane, sans doute vous blâmera-t-on. Nous vous demandons pardon de notre parole osée et grossière, mais qui est vraie, car notre offense est justifiable.
Et si vous n’avez l’espoir ni l’intention de garder cette province, votre modeste serviteur implore votre ordre pour se rendre à la Sublime Porte en vous demandant par quelle voie se diriger, et, dans le cas de négligence, à qui va-t-on adresser ces reproches de mécontentement ? Puisque vous êtes le ministre de la Défense sur terre et sur mer, nous avons grand espoir de trouver remède à nos malheurs, car rien n’empêche les Français d’occuper tout le pays, et nous allons souffrir de leur pillage et tomber dans l’esclavage.» Loyal avec le sultan, Ahmed Bey n’en est pas moins critique.
Les récits postérieurs à la conquête française ont mis l’accent sur la cruauté du personnage plutôt que sur son cosmopolitisme ; ces jugements utiles à la propagande française, qui n’a eu de cesse de dénoncer le despotisme des Turcs et prétendait y mettre fin pour justifier l’invasion, sont aussi conformes aux clichés orientalistes du tyran oriental.
Ils sont pourtant en bonne partie démentis par les faits. Non seulement les auteurs français, notamment Laurent-Charles Féraud, ne disent rien de la culture du personnage mais, occupés à mettre l’accent sur les expropriations auxquelles il a eu recours pour construire son palais, ils occultent le courage et l’humanité dont il a fait preuve dans des circonstances difficiles et notamment lors de la chute d’Alger, qualités qu’Hamdan Khodja, en revanche, met en avant.

Le palais du Bey
La construction du palais est intimement liée à la vie du Bey ; voulant quitter la demeure traditionnelle de Dar El Bey, lieu qui restait à ses yeux entaché de trop de destitutions de beys, il choisit l’emplacement de sa maison natale, Dar Oum Noum, pour entreprendre dès 1826 la construction d’un nouveau palais.
Sous la pression des événements, la construction se déroula en deux phases : la première vit l’élévation d’un bâtiment autour de la cour dite des Orangers, aménagée sur le site d’un ancien magasin de janissaires ottomans.
Ce premier ensemble comprend le diwan, situé au centre. Puis, après 1830, le palais s’agrandit et intègre le harem, le patio et la cour dite des Palmiers. La présence de jardins intérieurs en fait un exemple unique en Algérie pour un palais urbain ; peut-être a-t-il été inspiré par les jardins intérieurs des riches maisons des environs d’Alger, le Fahs algérois, ou par la demeure de Salah Bey.
A l’exception de cette particularité, le palais partage des traits communs avec les palais ottomans de la même époque : une sqifa conduit vers l’intérieur et les vingt-sept appartements disposés autour d’un espace central s’ouvrent sur des galeries.
Dans le décor, le palais se signale par ses deux cent quarante-cinq colonnes de marbre, particulièrement gracieuses, qui ne sont pas sans évoquer celles du palais Dar Aziza à Alger, avec leurs fûts torsadés ou octogonaux, servant d’appui à des arcs brisés outrepassés.
Quant au revêtement de carreaux de faïence venus d’Italie, d’Espagne, des Pays-Bas, de Tunisie et de Turquie, il constitue un autre point commun avec les palais ottomans d’Alger et rivalise avec eux pour sa richesse.
Restauré par le ministère de la Culture à partir de 1982, le palais a été classé monument historique et est géré par l’Office national de gestion et d’exploitation des biens culturels depuis 2008. En 2010 y a été installé le Musée public national des arts et expressions culturelles traditionnelles.
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