Constantine - 05- La période Ottomane



La Chute de Qacentina
Le 1 octobre 1837, le duc de Nemours et le général Trézel ouvrirent la marche. Ils arrivèrent le 6 sur le plateau de Mansourah. Comme l'année précédente, Qacentina se montra résolue à défendre son existence d'algérienne quels qu'en fussent les sacrifices. A l'approche de l'ennemi, Ahmed Bey sortit de la ville défendre les positions extérieures pendant que Ben Aïssa prenait le commandement de la défense interne. D'immenses drapeaux turcs flottaient au haut clés minarets et des fenêtres des habitations, la musique de la nouba parcourant les rues donnait à la ville une ambiance de fête à laquelle tout le monde participait : hommes en armes, femmes lançant des youyous, enfants transportant des sacs de terre, des pierres, des planches vers les remparts pour leur utilisation immédiate en cas de danger ; les tobjis, à leurs postes ouvraient déjà leurs tirs sur le camp proche de l'ennemi Pendant que ce dernier prenait position, Ahmed Bey, entouré des goums de Ben Gana et autres feudataires, observait sans réagir on ne sait pourquoi ces mouvements du haut du promontoire dominant Bou Mezroug. Cette attitude de Ahmed Bey ne fut jamais éclaircie. Attendait il une sortie de Ben Aïssa pour foncer et prendre l'ennemi encre deux feux ? Attendait il un moment plus favorable ? Toujours est-il qu'il avait permis à l'ennemi d'établir et consolider ses positions : le général Rulhières s'installa sur le Coudiat ; un autre groupe à Mansourah ; le quartier général à Sidi Mabrouk. Ben Aïssa prit l'initiative d'effectuer, aux premières lueurs du jour du 7, deux sorties consécutives : sur El Kantara et sur le Coudiat, avec l'espoir d'arrêter la progression ennemie. Les cavaliers de Ahmed Bey vinrent alors à la rescousse. Mais les positions ennemies s'étaient déjà consolidées. A 10 heures, ils furent tous repoussés, les uns en pleine campagne, les autres derrière leurs remparts. Les obus de l'ennemi tombant à l'aveuglette dans tous les quartiers provoquaient de multiples incendies, semant le désordre et la panique. Ben Aïssa et ses collaborateurs continrent avec difficultés la population. Au bout de nombreux efforts, l'ordre et la discipline imposés, chacun reprit sa tâche et retourna à son poste. Mais la défense s'en ressentit. Elle fut moins mordante, moins active. L'artillerie, elle même, qui fut le principal appoint marqua un net ralentissement faute de munitions. L'ennemi exploita tous ces signes de faiblesse, Il redoubla d'activité et d'effort. Les portes les plus proches furent atteintes. Une large brèche s'ouvrit dans l'enceinte (le 10 octobre). Valée adressa immédiatement aux assiégés un ultimatum les intimant de déposer les armes. Ahmed Bey, ayant pris connaissance du message exigea le cessez le feu et un délai de vingt quatre heures pour répondre. (*). Valée refusa. (*) Le 11 octobre 1837 Message de Ahmed Bey à Valée : « Nous avons appris que vous avez envoyé un messager aux habitants de la ville, qui a été retenu par les principaux chefs, de crainte qu'il ne fut tué par la populace, par suite de son ignorance dans les affaires. Les mêmes Chefs m'ont fait part de cette nouvelle pour avoir mon avis. Si votre intention est de faire la paix, cessez votre feu, rétablissez la tranquillité ; alors, nous traiterons la Paix. Attendez 24 heures afin qu’un personnage arrive de me part et par suite de notre traité, nous voyons éteindre cette guerre d’où il ne peut résulter aucun bien. Ne vous inquiétez pas de votre messager, il est en sûreté en notre ville ». Le 12 octobre, Valée répond en ces termes : « Je vois avec plaisir que vous êtes dans l'intention de faire la paix et que vous reconnaissez qu’à cette égard nos intérêts sont les mêmes. Mais dans l’état où sont les opérations de siège, elles ne peuvent être suspendues et aucun traité ne peut être signé par nous que dans Constantine. Si les Portes nous sont ouvertes par vos ordres, les conditions seront les mêmes que celles déjà consenties par nous, et nous nous engageons à maintenir dans la ville le bon ordre, à faire respecter les personnes, les propriétés et la religion et à occuper la ville de manière la plus courte possible. Mais, si nous y entrons par la force, nous ne serons plus lié par aucun engagement antérieur et les malheurs de la guerre ne pourront plus nous être attribués. Si Comme nous le croyons, votre désir de la paix est le même que le notre, et tel que vous l'annoncez, vous sentirez la nécessité d'une réponse Immédiate ». G. Yver Correspondance du Maréchal Valée. T. I - 1 et 2. Ben Aïssa sans connaître l'avis de Ahmed Bey repoussa l’ultimatum (**). (**) Réponse de Ben Aïssa : « Il y a à Constantine beaucoup de munitions de guerre et de bouches, si les Français en manquant, nous leur en enverrons Nous ne savons ce que c'est qu'une brèche ni une capitulation ; nous défendrons à outrance notre ville et nos maisons. Les Français ne seront maîtres de ConstantIne qu’après avoir égorgé jusqu’ au dernier de ses défenseurs ». Les assauts de l'ennemi reprirent le 13 en force, et la défense avec plus d'acharnement. Dans la nuit précédente, les patriotes avaient réparé la brèche au moyen de sacs de terre, de laine et de débris d'affûts, mais rien ne résista le lendemain aux tirs de l'artillerie ennemie concentrés sur ce point. Le 13, à trois heures et demie du matin, Le Capitaine du génie Boutault fit une reconnaissance de la brèche. Ayant déclaré qu'elle était praticable, on prépara l'assaut. Lamoricière commanda les Sapeurs, le colonel Combes un bataillon de Zouaves, le colonel Corbin deux bataillons d'infanterie. Deux heures avant le jour, tout le monde se trouvait en prêt à l'assaut. A 7heures du matin, le duc de Nemours en donna le signal, le capitaine Garderens fut le premier à escalader l'enceinte. Cherchant de partout un passage, pour pénétrer en ville, Ils ne rencontrèrent partout que des obstacles ou des entrées sans issues, partout un feu meurtrier de mousqueterie. Un combat acharné s'engagea dans les rues. Ahmed Bey tenta de reprendre les pourparlers avec Valée, mais celui-ci s’y refusa tant qu'il ne serait pas à l'intérieur de la ville (***). (***) Dans sa correspondance à son ministre de la guerre, Valée expliqua ce refus d'accorder ce délai de la manière suivante : « Cette démarche d'Achmet m’a semblé n’avoir d’autre but que de gagner du temps, dans l’espoir peut être, que des vivres ne tarderaient pas a nous manquer et que l’armée, obligée d’exécuter en présence de l’ennemi une pénible retraite, périrait de faim et de misère ou offrirait au bey une occasion favorable pour l’attaquer avec succès. Cette pensée m'a fait répondre au bey que, tout disposé que j’étais à faire avec lui une convention qui mit un terme aux maux de la guerre, je devais exiger, comme préliminaire indispensable de toute négociation, la remise de la place, et, qu’en attendant sa réponse, je n’en presserais pas avec moins d'activité la marche de l'attaque. Le parlementaire partit avec la lettre dont je VOUS adresse copie, et depuis lors nous n'avons plus entendu Parler d'Achmet. Au moment où je refusais de faire cesser le feu de mes batteries, la brèche était déjà commencée au corps de place. Dans la soirée du 12, elle me parut assez avancée pour faire espérer que, le lendemain, elle serait complètement praticable... ». G. Yver Correspondance du Maréchal Valée. T. I – p5. Le premier assaut des assaillants fut repoussé avec succès ; au second quelques éléments réussirent à passer. Mais ils furent tous touchés à mort par des tireurs embusqués sur le rempart, dans les maisons attenantes, à la muraille, et à chaque coin de rue ; le troisième aboutit à l’occupation des rues les plus proches. Alors, commença un combat acharné, terrible, de maison en maison. Les patriotes tiraient de partout ; des toits, à travers les jalouses des fenêtres, des ouvertures d'échoppes, des coins de rue... On combattait au corps à corps, au sabre, à la baïonnette, au couteau, à coup de pierres. Cadavres et blessés des uns et des autres jonchaient les rues. Une explosion qui fait secouer toute la ville retentit soudain à la Casbah. Les tobjis venaient de se faire sauter avec la poudrière pour ne point tomber entre les mains de l'ennemi ; bon nombre d'entre eux furent retrouvés, plus tard, les corps entièrement déchiquetés, enfouis dans les décombres. De nouvelles unités lancées par l'ennemi pénétrèrent dans les quartiers les plus éloignés, favorisées par l'extinction progressive de la défense ; il restait bien quelques îlots de résistance çà et là, mais ils ne constituaient aucun barrage sérieux à l'occupation entière de la ville. Des parlementaires hissant le drapeau blanc sortirent de Dar El Bey demandant aux gradés du coin d'entrer en contact avec le Haut commandement. Le général Rulhières, qui les reçut leur accorda l'aman et leur promis de préserver leur culte et leur personne. Il fit cesser le feu et se dirigea en leur compagnie sur la casbah où il s'installa provisoirement. La soldatesque livrée à elle même déferla alors en ville où elle commit les atrocités les plus invraisemblables. (****). (****) La ville fut mise en coupe réglée par les Soldats. « Une fois maîtres d'une maison, ils en décoraient la porte d'un sauf conduit, la fermaient avec soin, puis cachés dans le centre de leur prise, ils forçaient les coffres, débarrassaient les armoires, ne laissaient rien sans examen et enlevaient ensuite tranquillement et peu à peu tout ce qu'ils trouvaient à leur convenance… Tout fut Pillé. Depuis les vieillard jusqu'aux enfants... Le docteur Sédillot considérait que les Juifs Y jouèrent le principal rôle dans ce pillage... C.A. Julien ouvrage cité, P. 141. Le général Valée eut fort à faire pour rétablir et maintenir l'ordre en conservant les anciens organes administratifs. Il laissa dans la place une garnison de 2.500 hommes, qui fut bientôt doublée... Le corps expéditionnaire subit de grosses pertes : 15 officiers parmi les plus élevés en grade furent tués et 138 blessés (selon les chiffres officiels donnés par l’Armée). (Tirés du même ouvrage). Ce fut cheikh Lefgoun, cheikh el baladia et son fils Hamouda (Mohamed) qui conduisirent la délégation parlementaire. Ben Aïssa et les cadis avaient quitté la ville avant la débâcle, laissant le commandement à Bel Bedjaoui. Kaïd dar, Bakir Khodja avait péri la veille. Il ne restait, en fait que cheikh el baladia, Bel Bedjaoui et quelques personnes Agées, invalides, blessées, femmes et enfants. Dans sa fuite précipitée, la très grande majorité de la population tenta de gagner le Rhummel à flanc de rocher ou à l’aide de cordes. Celles ci cédèrent sous le poids. Des centaines de personnes s'écrasèrent dans le Rhummel (*****). (*****) Pendant l'assaut, écrit Galibert, une partie de la population avait tenté de fuir par les côtés de la ville non exposés à nos coups ; mais un grand nombre de ces malheureux se brisèrent sur les rochers escarpés qui ceignent Constantine, et d'où ils ne pouvaient descendre qu'au moyen de longues cordes que leur poids faisait rompre. Nos soldats furent saisis d'horreur lorsque plongeant leurs regards dans le fond de ces abîmes, ils virent cette multitude d'hommes, de femmes et d'enfants écrasés, mutilés, entassés les uns sur les autres, et se débattant encore dans les angoisses d'une douloureuse agonie. Ben Aïssa, le lieutenant du bey, fut du nombre de ceux qui parvinrent à s'échapper ; le kaïd dar, blessé la veille, était mort pendant l'assaut ; un des cadis avait suivi le bey ; l'autre, quoique blessé s'était enfui dès qu'il avait été en état de supporter la fatigue. Il ne restait dans Constantine, à l'exception du cheikh el baladia, aucune des autorités principales. Ce vieillard vénérable, affaibli par l'âge, n'avait pas assez d'énergie pour faire face à toutes les nécessités de la situation. Heureusement, son fils, (comme Kaïd de la ville) se chargea d'organiser une espèce de pouvoir, une municipalité composée d'hommes dévoués, à l’aide desquels on parvint à connaître et à classer les ressources que la ville offrait, ainsi qu'à faire rentrer la contribution de guerre imposée aux habitants pour subvenir aux besoins de l'armée. ».. L'Algérie Ancienne et Moderne" Galibert, pp. 490 et 491. La description de la ville à cette époque explique les difficultés des habitants à emprunter cette issue qui fut fatale à un grand nombre d'entre eux : " Cinq rues principales traversent Constantine dans un sens à peu près parallèle au cours du Rhummel. La plus élevée conduit de la porte supérieure à la Casbah, qui suit assez exactement la crête du terrain sur lequel la ville est assise. Deux autres partent des abords, l'une de la porte inférieure, l'autre d'une porte intermédiaire, auxquelles elles se rattachent, par de tortueux embranchements. Une troisième prend naissance à la porte intérieure, auprès de laquelle eut lieu la grande explosion. A leurs extrémités opposées, ces grandes voies se transforment en un réseau inextricable de petites rues dont le nœud est près de la porte du pont. Les autres rues, pour la plupart perpendiculaires à celles ci, sont en pente raide. Des passages voûtés servent d'issues à des maisons... La sortie se faisait soit par le Coudiat, soit par le pont" Ahmed Bey, qui stationnait sur une colline voisine, eût voulu attaquer les arrières de l'ennemi, mais l'avis du cheikh el Arab Ben Gana qui suggérait de gagner le Sud, l'emporta. Capitulations Capitulations Les troupes françaises s'établirent alors en toute quiétude un peu partout à l'intérieur et à l'extérieur de la ville. Le duc de Nemours et le général Valée occupèrent Dar el Bey. Les officiers supérieurs, les plus belles habitations vacantes. Bon nombre de Constantinois émigrèrent. Les autres, le calme rétabli, et sur les instances de cheikh Lefghoun, réintégrèrent, peu à peu, la cité. Ils se réfugièrent d'abord dans la basse ville, dans les bas quartiers qui longent le Rhummel, abandonnant la haute ville aux vainqueurs. Ils n'y remontèrent que bien plus tard. La cité, pourvue d'un cheikh el baladia en la personne de cheikh Lefghoun, et d'un hakem, son fils Hamouda (ou Mohamed) reprit petit à petit ses activités coutumières, pansant ses blessures, redressant ses ruines, essayant d'adapter sa vie aux exigences du moment. Pour le général Valée, la tâche était encore immense et difficile. Il lui fallait assurer l'existence du corps expéditionnaire sur les lieux, et songer au repli de ses troupes sur Bône à travers une zone encore incertaine. Il songea à reprendre les négociations avec Ahmed Bey. A cet effet, il lui fit soumettre un projet de convention le 25 octobre 1837 stipulant, entre autre, « le paiement d'un tribut annuel de 100.000 francs ; l'obligation de faire passer tout le trafic commercial par les ports sous contrôle français ; le partage de la province en deux parties : l'une qui serait administrée par lui même, l'autre par les autorités françaises. Celle destinée à Ahmed Bey se situerait au sud d'une ligne partant de La Calle, passant par Guelma, Medjez Ameur, aboutissant à Stora ; celle destinée aux Français comprendrait le territoire de la Calle et celui de Stora, Collo, Jijel et tous les ports situés sur le littoral.» (Voir le Projet dans l'ensemble de ses articles dans les Documents). Ahmed Bey refusa de céder Qacentina, il exigea que leur accord éventuel fût d’abord approuvé par la Porte. Comme le gouvernement français déniait à la Turquie toute prétention sur l’Algérie, les négociations n'eurent plus de suite. Ahmed Bey aurait, sans doute, reprit le pouvoir et fortifié sa position S'il avait consenti certaines concessions, d'une part et, tenter un rapprochement avec l'émir d'autre part, pour conjuguer leurs efforts dans la lutte commune. Mais, fidèle à son serment d'allégeance envers le sultan othoman, il ne voulut jamais agir en l'encontre des intérêts politiques de son suzerain et sans en avoir obtenu l'aval. De Abdelkader, il disait : « Ce n'est pas un homme issu d'une race qui puisse fournir des princes pour commander ». Il eut préféré "s'allier aux Français pour poursuivre le fils de Mahiéddine que de se joindre à lui contre eux." L'émir, non plus, ne fit rien pour se rapprocher du bey. L'obstination des deux à s'ignorer l'un et l'autre, les perdit tous deux et perdit le pays. Les négociations avec les représentants de Ahmed Bey avaient à peine commencé que Ferhat Ben Saïd Bou Okkaz arrivait sous les murs de Qacentina (le 27 octobre) avec un millier de cavaliers encadrés par : Ahmed Chérif, cheikh de Ksar Teïr (Righa) ; Ben Henni Ben Yellès, cheikh des Ouled Ameur de Sétif ; Ahmed Ben Mohamed Ben Guendouz Mokrani et son cousin le cheikh titulaire de la Médjana ; Mohamed Ben Daoud, kaïd de Zemmoura pour se mettre au service de la France. Le général Valée accueillit la délégation avec tous les honneurs qui leur sont dûs. Il accepta les offres de ses visiteurs, mais ne donna pas une réponse ferme à Ferhat Ben Saïd qui sollicitait son titre pour tous les territoires du Sud, préférant se référer à son ministre. Valée quitta Qacentina le 29 octobre, laissant à la tête du commandement le général Bernelle. La présence, dans le voisinage, du cheikh Ferhat Ben Saïd qui attendait la réponse du ministre français, gêna considérablement le nouveau commandant de la place de Qacentina. Il s'en plaignit à son ministre. Mais, celui ci ne l’approuva pas. S'adressant au général Valée, il lui demanda « d'initier ses subordonnés sur la politique à suivre vis à vis des chefs indigènes. Il faudrait leur faite comprendre, dit il, qu'il était nécessaire de les utiliser contre Ahmed Bey, et de les ménager en toute circonstance pour conserver leur fidélité ». Ferhat Ben Saïd détenait, en outre, l'engagement signé de 16 chefs de tribus du Sud, des hautes plaines et du Tell. Las d'attendre la réponse française, et sentant une hostilité particulière de la part du général Bernelle, Ferhat Ben Saïd regagna le Sud, libérant, en même temps, ses affidés. Il porta alors toutes ses forces contre Biskra qu'il occupa sans difficulté en janvier 1838. Abandonnant leur famille à El Kantara, Ahmed Bey et son oncle Ben Gana, prirent la fuite vers le Djérid tunisien où on perdit momentanément leurs traces. Cliquez pour agrandir Abdelkader, qui n'ignorait pas la situation dans le Constantinois y fit une tournée dans les Bibans où il désigna Abdeslam El Mokrani, Khalifa de la Médjana (*), et, à Biskra, où il investit Ferhat Ben Saïd de la charge de Khalifa du Sahara. Dès que cette nouvelle parvint au général Valée, celui ci rappela d'urgence à son ministre l'investiture officielle qu'il avait promise aux deux cheikhs. Le ministre acquiesça à sa demande, et lui conseilla d'offrir à Abdeslam « un subside ou abonnement fixe » en compensation des anciens droits de passage ou de transit par les "Portes de Fer" moyennant quoi « il se rendrait garant dans toute l'étendue de son commandement de la soumission des habitants, de la liberté de communications et même de la correspondance directe Alger Constantine » C.A. Julien Ouvrage cité, pp. 148 et suivantes. Voir Correspondance du maréchal Valée, p. 195. (*) Les Abdeslam offriront leur soumission à la France en 843. Ils recevront des territoires pris sur celui des Mokrani de la Médjana. Une manière de contenter les uns et d'affaiblir les autres. Méthode colonialiste qui se pratiqua avec succès par la suite. Ni Ferhat Ben Saïd ni Abdeslam ne refusèrent les distinctions françaises, mais tous deux demeurèrent les représentants de l'émir dans leur fief. Ces défections lointaines du Sud et dans les Bibans dont les divisions internes rendaient leur appui moins efficace que le prétendaient les intéressés, n'empêchaient pas l'impérialisme de progresser dans son implantation dans le Nord, Ses succès obtenus soit par la force, soit à la suite de soumissions, « spontanées » attirées par le "burnous rouge" ou encore mues par des sentiments de vengeance et de rivalité entre clans, exercèrent aussi un certain attrait sur les partisans de Ahmed Bey. Les Zekri (**)et les Ben Bahmed s'étaient ralliés en 1836. (**) El Hadj Messaoud Ben Zekri avait échappé au massacre de ses parents par Ahmed Bey en 1827. Réfugié à Alger, il se mit au service de la France dès le débarquement de ses troupes. Il fut nommé, un peu plus tard, par Voirol, chef des Arib. Il prit part aux deux expéditions de Constantine (1836 et 1837) dans les rangs des Impérialistes. Il fut ensuite nommé Kaïd des Ouled Abdenour. Les Guendouz Mokrani se soumirent en février 1838. Les Ouled Guendouz formaient l'un des sofs entre lesquels se partageait la famille Mokrani. En 1830, un Ben Guendouz s'était mis à la tête des insurgés contre Ahmed Bey alors que celui ci se trouvait à Alger au moment du débarquement des troupes françaises. Pour s'assurer le libre passage au retour, Ahmed Bey avait promis à Ben Guendouz de le nommer cheikh de la Médjana, puis l'ayant attiré dans son camp avec son gendre Ben Henni Ben Yellès, Kaïd des Ouled Ameur de Sétif, il les fit arrêter et mis à mort (c'est ce qui explique que cette région avait fait appel à Brahem Bey El Critli et lui avait offert des armes et des hommes pour combattre Ahmed Bey). A ce sujet, voici ce qu’écrit Valée à son ministre : « J'ai reçu par terre, des lettres de Constantine qui me font connaître que la province continue à être tranquille et que, dans la partie du territoire où nos troupes n'ont pas encore pénétré, la souveraineté de la France est connue. Le kaïd (il s'agit de Hamouda Lefgoun qui centralisait les affaires Indigènes auprès du général commandant la province à Constantine) m’a fait parvenir ses dépêches prescrivant aux divers cheikhs de les porter et elles m'ont été remises à Alger par Ben Guendouz El Mograny, fils de l'ancien hakem de la Médjana. Ce jeune homme a été privé par Achmet de l'autorité dont son père était revêtu et le territoire de la Médjana a été réuni, il y a plusieurs années, à celui des Bibans ou Portes de Fer que possède Abdeslam, qui vient de faire sa soumission à Abdelkader. Ben Guendouz El Mograny est neveu de Ben Hannechy, kaïd des Ameur tribu puissante qui habile Sétif. Le kaïd a fait sa soumission entre les mains du kaïd (Hamouda ou Mohamed Lefghoun) ; Il reconnaît la souveraineté de la France, et dans la lettre qu'il m'écrit, il me demande avec insistance de le considérer comme un sujet fidèle et de le traiter avec bonté. Le but du voyage à Alger de Ben Gendouz El Mograny était de me demander de la rétablir dans son ancienne puissance... » . Lettre de 2 février 108. Ben Aïssa - ex. Khalifa de Ahmed Bey se rendit en mars 1938. Ben Aïssa avait fait sa soumission en février 1838. Le général Valée fit part de cet événement à son ministre en ces termes : «J'ai annoncé à V.E. par le dernier courrier que Ben Aïssa avait fait sa soumission et qu'il était arrivé à Alger. Cet événement peut avoir des suites importantes. Ben Aïssa n’a pas dissimulé l’attachement qu’il conserve à Achmet ; Il m'a dit qu'à ses yeux, le bey était le seul homme qui, avec son aide à lui, Ben Aïssa put gouverner la province de Constantine. Il m'a expliqué qu'Achmet qui, comme vous le savez, Monsieur le ministre appartient par sa mère à la puissante tribu des Ben Gana, exerce une grande influence sur les tribus qui habitent à l'Est et à l'ouest de Constantine ; que lui, Ben Aïssa, était autrefois chef de tout le pays compris entre la Seybouse, le Raz El Akba, le cours de l'Ouest Alligah et les Montagnes qui s'étendent à l'Ouest jusqu'à Djidjelli... Ben Aïssa accepterait, je crois, le gouvernement du territoire sur lequel il a constamment exercé une grande influence, mais il ne pourrait soumettre les tribus arabes qui habitent au Sud de Constantine. Achmet seul, a t il répété plusieurs fois, peut mettre sous ses pieds tous les chefs et Ben Aïssa lui même, L’ancien bey de Constantine désire vivement être établi dans son beylik. Ben Aïssa m'a assuré qu'Achmet lui enverrait, si je le voulais, un blanc seing sur lequel je pourrais écrire toutes les conditions que la France lui imposerait. Il se montre convaincu qu'Achmet serait pour la France un sujet dévoué et m'a dit avec sincérité apparente, que la meilleure garantie qu’il put nous donner de la fidélité du bey et de la sienne était la connaissance qu’il avaient de la puissance et de la force de la France... Il désire habiter la ville de Constantine avec ses femmes et ses enfants... Il désire aussi qu'on lui restituât ses biens... » Lettre du 2 mars 1939. Ahmed El Hamlaoui fit sa soumission à la même époque que Ben Aïssa. Sid Ahmed Ben Mohamed Ben Hadj Bouzid Mokrani fit sa soumission le 24 octobre 1838. Ahmed Ben Mohamed Ben Bouzid El Mokrani descend de El Hadj Bouzid Mokrani, cheikh de la Médjana de 1734 à 1783, lequel, après avoir été tout d’abord battu par les Turcs qui installèrent une garnison à Bordj Bou Arreridj, il les vainquit à son tour. Cet Ahmed Ben Mohamed Ben Hadj Bouzid El Mokrani était neveu de Ben Abdallah Ben Bouzid El~Mokrani, cheikh de la Médjana. Dans sa dépêche au ministre de la guerre, la général Valée écrit : « J’ai nommé Khalifa de la Médjana Sidi Ahmed Ben Mohamed Ben El Hadj Bouzid El Mokrani, petit fils du sultan Boaziz (Abdelaziz) célèbre en Afrique pendant le dernier siècle. Ce chef, dès qu’il a appris l'occupation de Mila, s'est rendu auprès de moi. Aujourd'hui 24 octobre 1838, il a reçu à Constantine l’investiture de sa nouvelle dignité, après avoir prêté serment sur le Coran entre les mains des Cadis et muftis ». Correspondance du maréchal Valée Lettre du 24 octobre 108. A la suite de toutes ces soumissions, Valée, promu maréchal et gouverneur, confia le commandant supérieur et l'administration de la province à un officier général résidant à Qacentina. Le territoire fut partagé en circonscriptions administrées par des khalifas placés sous les ordres du commandement supérieur. Le Sahel comprenant les territoires compris entre Edough et Jijel fut confié à Ben Aïssa ; le Ferdjioua, comprenant les territoires entre Qacentina et Sétif à Ahmed El Hamlaoui ; ceux situés entre Sétif et les Portes de Fer à Ahmed Ben Hadj Bouzid El Mokrani ; ceux des Ziban à Ben Gana qui avait rejoint le groupe des rallié. Les Henencha, Heracta à Ali Ben Bahmed. Ameur Cheraga des Ben Guerfa à Mohamed Seghir Ben Merad. Les Ferdjioua et Zouagha demeurèrent entre les mains des Azzedine et des Ben Achour avec le titre de cheikh. Les khalifas investis par le maréchal Valée lui même au cours de cérémonies qui se déroulèrent à Dar el bey (1838) selon la tradition turque avec remise du "burnous rouge", musique et serment de servir loyalement et en toute circonstance le drapeau français, de verser régulièrement un tribut, de maintenir l'ordre et de tenir en permanence des contingents armés à la disposition du corps expéditionnaire, en compensation de quoi, ils disposaient d'une liberté totale d'action dans leurs fiefs. De ce fait, ils exploitèrent librement leurs administrés en fixant eux mêmes l'assiette de l'impôt, en confisquant à leur profit les terres « el azel » et les « biens habous », etc. Cette tyrannie les rendit peu à peu odieux, et, leur sort se confondit à l'existence même du colonialisme. Ahmed Bey poursuivit la lutte avec un nombre très faible de partisans parmi les Heracta et les Henencha ; les autres tribus qui constituaient sa force de frappe continuellement soumises aux attaques des troupes impérialistes et de leurs suppôts, durement touchées et réduites au dénuement complet cessèrent de lui porter appui. Tout en entreprenant une certaine agitation dans la province, Ahmed bey ne perdait pas espoir de traiter avec les autorités françaises à des conditions honorables. Il offrit donc sa soumission au maréchal Valée en mars 1840, mais il y mit une condition à laquelle il tenait toujours, celle de la restitution de Qacentina. Mais le colonialisme avait déjà pris racine et ses intérêts trop engagés pour admettre une telle concession. Le maréchal Valée Informant son ministre des démarches de Ahmed Bey écrivait : « J'ai reçu une lettre d'Achmet Bey qui me propose de faire sa soumission, si on veut le charger d'administrer la province au nom de la France à laquelle il payerait les contributions qu’on exigerait de lui. Je n'ai pas voulu recevoir son envoyé et je lui ai répondu qu'il était Inutile de m'écrire pour faire des propositions inacceptables ; qu'il connaissait parfaitement vos Intentions à cet égard ; que je le ferais conduire en toute sûreté à Alger, s'il le désirait. Tout en faisant semblant de négocier avec nous, il écrit à toutes les tribus pour les exciter à la guerre ; Il a réussi à attirer à lui une partie des Arabes, faible il est vrai, mais qui peut grossir et Il est urgent de prendre des mesures pour empêcher cela, ce que j'aurais déjà fait, si le temps n'était pas si mauvais ». G. Yver ouvrage cité, t. IV, P. 102. Ne trouvant aucun écho favorable à ses propositions, Ahmed Bey songea à se retirer. Il sollicita du pacha de Tripoli l'autorisation de traverser ses territoires pour se rendre à Istambul où il comptait s'établir. Askar Ali Pacha craignant de déplaire aux autorités françaises rejeta sa demande (***). (***) Dans sa lettre destinée au maréchal Valée, le Consul général de France Ledoux écrivait de Tripoli le 23 avril 1840 : « J'étais informé depuis quelque jours qu'un courrier parti du camp d'Achmet, ancien bey de Constantine, était arrivé en cette ville, et qu'admis aussitôt auprès du pacha, il lui avait remis une lettre. Tandis que je cherchais à pénétrer le but de ce message, qui n'est pas le premier, je fus Invité à me rendre au château... C’est d'Achmet Bey de Constantine que j'ai à vous entretenir (lui dit le pacha). Il vient de m’écrire de nouveau que délaissé des siens et n'ayant plus aucun espoir dans l'avenir, il ne songeait plus aujourd'hui qu'à se retirer en lieu de sûreté et sous la protection du Grand Seigneur. Il m'adresse à ce sujet les instances les plus vives pour qu’il lui soit permis de traverser la régence et de venir à Tripoli s'embarquer pour Constantinople. Je suis tout dispose, ajouta le pacha, à accéder aux désirs de l'ancien bey de Constantine, mais je voudrais être assuré, au préalable que le gouvernement français ne s'offenserait pas de ma condescendance à son égard... ». G. Yver Ouvrage cité, t. IV, pli. 111 et 112. Ahmed Bey s'adressa alors au bey de Tunis. Celui ci peu libre de ses dérisions en fit de même. Voyant que la force et l'intérêt le dépouillaient chaque jour de ses moyens, Ahmed Bey consentit à se rendre à Biskra en juin 1848 au commandant Saint Germain. Ramené à Qacentina où il passa trois jours, il fut conduit à Skikda d'où on l'embarqua pour Alger. Il y vécut d'une pension que le gouvernement français lui accorda jusqu'à sa mort survenue le 30 août 1850.





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