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Algérie - REPORTAGE - Dégradation de la vieille ville de Constantine: Un patrimoine national transformé en décharge


Algérie - REPORTAGE - Dégradation de la vieille ville de Constantine: Un patrimoine national transformé en décharge
Les Constantinois nostalgiques de la belle époque regrettent l’état déplorable dans lequel se trouve aujourd’hui le quartier de Souika et ses rues environnantes, tombés dans la décrépitude totale.

Une pluie fine s’abat sur la vieille ville de Constantine en cette froide journée du mois d’avril. A Bab El Djabia, petite placette par laquelle on accède au quartier de Souika, les passants se font rares. Les rues et ruelles, qui grouillaient de monde, sont quasiment vides. Nous entamons notre tournée par la rue Baba Hnini, juste à l’entrée de Souika. Une décharge qui échappe aux regards s’est accumulée au fil des ans sous le premier arc du pont Sidi Rached.

De retour à la rue Mellah Slimane, divisant le lieu en deux, la basse Souika, qui se prolonge jusqu’au ravin, s’étendant jusqu’au quartier de Chatt, et la partie supérieure qui a pour limite la rue Larbi Ben M’hidi, le visiteur est choqué par les images de ces maisons en ruines qu’on a tenté de «cacher» ou «camoufler», c’est selon, par une sorte de grand paravent sur lequel on a accroché des tableaux représentant des scènes de la vie quotidienne d’une époque révolue, alors que la réalité est dure à montrer.

«Cela fait presque 20 ans que des échafaudages ont été installés pour la réhabilitation des maisons se trouvant à Bab El Djabia; sauf que les premières bâtisses à l’entrée ont été restaurées à partir de 2005, alors que le reste a été complètement abandonné à son triste sort, devenant des ruines transformées en décharges, en même temps, les échafaudages en madrier et en barres métalliques subsistent encore au milieu des plaques de tôle ondulée, donnant une mauvaise image de la vieille ville», déplorent des commerçants.

Cette triste image apparaît dans les multiples décharges sauvages qui se sont accumulées au fil des ans dans les maisons en ruines, dont un nombre important a été démoli lors de la campagne du mois de février 2005, alors que le reste avait subi des dégradations en raison du manque d’entretien et des effets climatiques.

En continuant notre traversée de la rue Mellah Slimane, et une fois arrivés au numéro 26, on prend à droite la rue Benzegouta (ex-rue Morland). En descendant au milieu des maisons en ruines, dont les murs menacent de s’effondrer sur l’étroite voie en pavé, on arrive au n°19 où se trouve la mosquée Sidi Afane, dont les travaux de réhabilitation ont repris après des années d’hibernation. Le site est entouré de décharges sauvages qu’on peut voir près de la célèbre Dar Daikha, toujours à l’abandon, mais aussi à la maison située au n°14 dans le sabbat juste à côté, ainsi qu’au n°3 de la place Kouchet Ezziat.

- Une mosquée au milieu des décharges

«On imagine mal comment cette mosquée aussi prestigieuse sera réhabilitée un jour pour recevoir ses visiteurs au milieu des déblais, des décombres, des saletés et des mauvaises herbes, alors qu’à quelques mètres de là, Dar Daïkha agonise encore ?», se sont interrogés des citoyens connaissant bien les lieux.

Nous retournons encore une fois à la rue Mellah Slimane pour accéder à la rue Abdellah Bey par le sabat de Dar Rahmouni. Le silence règne dans les lieux et les petites boutiques sont fermées après le spectaculaire effondrement, survenu il y a plusieurs mois, de maisons se trouvant en haut de la mosquée Sidi Moghrof, à quelques pas seulement de la maison située au n°15, celle qui a vu naître en 1889 Abdelhamid Benbadis, futur leader du mouvement réformiste en Algérie. Il est difficile de traverser cette rue, car il faut monter un grand monticule de terre, de gravats et de branches de genévrier utilisées autrefois pour soutenir les plafonds des maisons, alors que ce qui reste des décombres est devenu un abri pour les chiens errants.

«Les nostalgiques de la vieille ville remontant à l’époque ottomane la pleurent aujourd’hui, après que des pans entiers de cette dernière aient été complètement perdus, et nous le disons sans aucune exagération, car il s’agit d’une vérité que personne ne pourra démentir. Vous pouvez constater vous-même aujourd’hui que rares sont les maisons qui tiennent encore debout grâce à leurs propriétaires qui ont beaucoup dépensé pour les entretenir et les préserver sans attendre l’aide de l’Etat», nous ont révélé des habitants de Souika.

Sur notre parcours dans ce quartier, nous sommes attirés par une autre décharge sauvage envahie par les herbes, qui avait pris naissance il y a quelques années à la rue Boutaba Amar, juste derrière la mosquée Sidi Abdelmoumene et à quelques pas seulement de la zaouia Bouabdallah Cherif. Ce qui est vraiment regrettable. Ce constat est visible même dans la partie de la vieille ville, située au-delà de la rue Larbi Ben M’hidi, notamment à la rue Abdelhamid Benbadis, dans le quartier Arbaine Chérif où une décharge est visible en bas de la rue des Frères Cherrak, derrière le CEM Mohamed Ezzahi, plus connue par Drouj Erremah.

En continuant un peu plus loin vers la place Sidi Djeliss, et en empruntant à gauche la rue Benlabed Tahar à partir de la mosquée El Ikhlass, on tombe sur une autre décharge qu’on n’a jamais pensé à s’en débarrasser, alors qu’elle se trouve à quelques mètres seulement de la zaouia Rahmania dans le grand parking de véhicules de la station de téléphérique Tatache Belkacem.

Toutes ces décharges ne sont que des exemples parmi tant d’autres qui continuent de défigurer l’image de la vieille ville de Constantine au moment où l’on n’ose plus promener les touristes étrangers dans ces lieux, de peur qu’ils soient choqués eux aussi.

- Une responsabilité partagée

Il est loin le temps où la vieille ville, devenue la Médina de Constantine, était classée patrimoine national. C’était en 2005, quand ce périmètre de la ville avait fait l’objet du décret exécutif n° 05-208 du 4 juin 2005 paru au Journal officiel n° 39 du 5 juin 2005, portant création et délimitation du secteur sauvegardé de la vieille ville de Constantine sur une superficie estimée à 85,39 hectares.

Il faut revenir au mois de février en 2005, quand une vaste opération de démolition de bâtisses à la vieille ville de Constantine avait tourné au massacre. Un drame qui aurait pu être évité, si les autorités de l’époque et à leur tête l’ex-wali avaient pris le soin d’écouter les voix de ceux qui militaient pour la sauvegarde de la vieille ville et non ceux qui cherchaient des intérêts inavoués.

La suite de cette opération qui avait provoqué l’indignation de la population et des réactions sur les médias sera la réaction tardive du ministère de la Culture qui décidera de décréter le périmètre du Vieux Rocher comme patrimoine national.

Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts du Vieux Rocher, mais la vieille ville n’a bénéficié d’aucun «vrai» plan de sauvegarde, si ce n’est ces tentatives de maquillage opérées sur quelques maisons au quartier de Bab El Djabia.

Une expérience orpheline et sans avenir, puisque tous les discours rabâchés au fil des séminaires et des colloques n’ont jamais été concrétisés sur le terrain.

Un triste constat qui ne passe pas inaperçu, aussi bien pour les habitants que pour les simples visiteurs.

«Nous sommes nés dans cette partie de la ville, et nous n’avons jamais vécu une pareille catastrophe. Autrefois, les vrais habitants de la vieille ville avaient du respect pour leur environnement et n’osaient jamais faire une chose pareille; cette situation est la conséquence de l’incivisme de ceux qui sont venus d’autres contrées pour squatter les vieilles maisons et bénéficier d’un logement social, ce sont eux la source du problème; tout cela avait eu lieu avec la bénédiction des autorités», dénoncent d’anciens habitants de la vieille ville.

«Il faut reconnaître que cette situation qui dure depuis plusieurs années incombe aux habitants responsables de cette dégradation et des comportements négatifs par le rejet des déblais et autres déchets un peu partout dans la vieille ville, notamment dans les maisons effondrées, au lieu de les transporter vers les décharges publiques. Mais l’on s’interroge toujours sur le silence étrange des autorités de la ville bien au fait de cet état, et l’absence de réaction de leur part et de la moindre initiative des associations et de ceux qu’on appelle la société civile afin de lancer des campagnes d’éradication de ces décharges, comme cela a été fait et continue à se faire dans d’autres cités de la ville avec la mobilisation des moyens et la médiatisation sur le site de la wilaya», concluent-ils.

Photo: Décharge devant Dar Daïkha (photo de gauche), et derrière la mosquée Sidi Abdelmoumene (photo à droite). El Watan

S. Arslan
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