Chlef - Revue de Presse

Sans-papiers au quotidien



La course-poursuite à Montreuil C?est un jeu de cache-cache où celui qui se fait attraper se retrouve en Algérie, avec un billet payé par Brice Hortefeux, ministre de l?Immigration et de l?Identité nationale. D?un côté, les sans-papiers, de l?autre, les policiers. Ce jeu dure depuis longtemps. Mohand, Akli et Mourad (25, 27 et 33 ans) excellent à déjouer les contrôles d?identité. Debout toute la journée à la sortie du métro Porte de Montreuil, coincés entre le kiosque à journaux et la brasserie, ils répètent inlassablement : « Marlboro », avec un fort accent kabyle, en roulant exagérément les r et étirant le dernier o. Point fort, ils proposent le paquet de cigarettes à 3 euros, contre 5,30 sur le marché officiel. Point faible, le tabac est sec et se consume au bout de trois taffes. Un peu comme les historiques, les Hoggar, à allumer en position verticale, en prenant soin de ne pas les enflammer comme de la paille. Les trois amis, « collègues, pas amis », rectifie Mourad, font les marchés. Tous les vendredis, samedis et dimanches, ils sont aux puces de Montreuil. Arrivés au début des années 2000 avec un visa touristique, ils ont posé définitivement leurs bagages en Seine-Saint-Denis. « Que veux-tu que je fasse à DBK (Draâ Ben Khedda) ? Entre être chômeur là-bas et faire des petits boulots ici, le choix est vite fait. Je ne m?imagine plus repartir en Algérie. Vivre au crochet de mon père avec sa petite retraite est tout simplement impossible. Je sais qu?il y a peu de chances, sinon aucune, de voir ma situation régularisée, mais j?ai plus d?espoir ici qu?en Algérie. Mon présent est franchement plus rieur ici malgré tout », confie Akli. Constat partagé par tous les trois. Mourad, le plus âgé du groupe, est aussi le plus prudent. Jamais plus de quelques paquets de cigarettes sur lui. Des yeux qui balaient les environs à 360 degrés, très tendu, aux aguets, déjà expulsé en 2003 et revenu grâce à un visa court séjour pour l?Allemagne, le trentenaire s?est promis de ne plus se faire attraper. A un passant qui voulait acheter une cartouche, il lui demande d?attendre son retour. Il disparaît cinq minutes et revient avec sac caché sous la veste. « Secret industriel, pas d?autres commentaires », se contente-t-il de dire. Il ne regarde jamais ses interlocuteurs dans les yeux, occupé à scruter nerveusement la rue. Cette fois, il s?évapore rapidement. Un fourgon de police fait son apparition et se gare en double file devant la station de taxis. Plus personne à la sortie du métro. Rachid, lui aussi, a vu les policiers arriver de loin. La cinquantaine pas bien conservée, très maigre, avec une barbe qui mange le visage, l?ancien « technicien supérieur de la santé » a quitté Chlef en 1996. Père de deux enfants, « ni régularisable ni expulsable », selon ses propres dires, il vivote entre plusieurs petits métiers. Agent de sécurité la nuit, peintre en bâtiment, plombier, poseur de parquets, il garde un optimisme impressionnant. Aujourd?hui, il vend de vieux téléphones portables, des stylos kitsch, deux DVD sur le tourisme en Aquitaine et d?autres babioles dont une paire de chaussures usées pointure 42. « De marque, mon frère, Lorenzo, ce n?est pas n?importe quoi. » Prévoyant, il a sa propre technique pour déguerpir très vite à l?approche des policiers. « J?utilise toujours deux sacs sur lesquels j?étale ma marchandise. Sur celui qui est posé à même le sol, j?attache un bout de ficelle que je fixe aussi sur mon poignet. A la moindre alerte, il me suffit de le tirer vers moi et de prendre l?angle opposé. » Et comme il n?y a pas beaucoup de clients en ce samedi pluvieux, il se fait un plaisir à mettre en pratique ses explications savantes. L?opération lui prend une poignée de secondes. Il fait une nouvelle tentative, sous l??il amusé de sa voisine asiatique. « Elle est comme nous, sans-papiers. Je ne sais pas comment elle fait pour proposer des choses neuves à un prix aussi dérisoire. Cela dit, c?est de la pacotille, rien de solide », se rassure-t-il. Brice Hortefeux 1-sans-papiers 0. Quatre policiers encadrent un jeune et le font monter dans le fourgon. « C?est Abdel, l?Algérois épileptique », confie Mourad. Deux autres policiers font face à la foule de curieux, comme pour prévenir tout débordement. Les trois « collègues » regardent la scène de loin, de l?autre côté de la rue. « Abdel les a eus la dernière fois. Il a simulé une crise d?épilepsie et a réussi à leur fausser compagnie au moment où le Samu allait arriver. Cette fois, c?est direction Alger d?autant plus qu?il est fiché. Très difficile pour lui », le plaint Mourad. Le fourgon de la police démarre. Mourad et ses deux collègues reviennent à leur lieu de travail. « Marlboro, Marlboro », répètent-ils inlassablement, avec un peu tristesse dans la voix.
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