
Par Arezki Metref[email protected] /* */Des fois comme ça, tu te mets, soudain, à désespérer du genre humain. Tu broies du noir, rumines de l'ébène, et l'envie te prend presto de trouver une corde pour te pendre ou une arme pour dézinguer. Pfffft !... Le monde te paraît moche et la vie pas folichonne, voilà tout. Et puis, le miracle se produit. Dans les replis d'obscurité où tu te trouves cloitré, te parvient une lumière. Elle vient d'où, cette lumière ' Tu sais seulement qu'elle se met à chasser les miasmes de la lassitude et des moisissures”'oui, parfaitement, j'insiste, il y a des héros positifs ! Non, pas au cinéma. Pas ceux de la caricature taillée dans la glaise du Bien et du Mal détourés par les scénaristes et le final cut. Non, pas ça ! Trop facile ! Des héros positifs dans la vie. Des gens ordinaires, comme toi et moi sauf qu'eux, ils te filent le courage de te battre et celui de vaincre la bêtise.Dans ce monde rempli de noirceur et de désenchantement, on peut croiser çàet là ces personnes qui te redonnent le goût de l'humanité. Tu les reconnais au soleil invisible tatoué sur leur front. Rien d'ostentatoire. Juste quelque chose qui irradie. Et c'est l'un d'entre eux qui vient de nous quitter, ou plutôt l'une d'entre eux puisqu'il s'agit de Chantal Lefèvre. Une longue maladie, comme on dit. Elle décède à l'âge de 69 ans. Non, personnellement, je ne l'ai pas connue. Je l'ai croisée deux ou trois fois, comme ça, vite fait, mais en apprenant son histoire, je me suis dit : chapeau bas ! Voilà quelqu'un de bien. De courageux. Une passerelle qui relie le passé au présent mais en opérant la rupture de sens entre le passé colonial de sa famille et sa présence souveraine dans l'Algérie d'aujourd'hui.Qu'avait-elle donc d'héroïque ' Eh bien, elle a osé revenir en Algérie et quand ' Au début de la décennie noire. Lorsque des milliers d'Algériens prenaient la tangente dans le sens inverse. Ils partaient en catastrophe vers des cieux plus quiets, elle revenait se jeter dans la tourmente algérienne. Elle avait décidé de la faire sienne. Elle aurait pu rester en Europe et pleurer son Andalousie perdue comme beaucoup de pieds-noirs. Non, elle a décidé de franchir le pas.Fille de pieds-noirs, peu préparés à l'indépendance de l'Algérie, elle quitte son pays natal en 1962, à l'âge de 16 ans.Commence alors pour elle une longue errance à travers la France et l'Espagne où elle s'installe. En 1985, elle revient en Algérie. «En touriste», dit-elle.Une première fois. Puis l'année d'après. C'est le début du cycle du retour ponctué d'allers et venues entre l'Europe et l'Algérie. Et la période qu'elle choisit coïncide avec le début de la descente aux enfers en Algérie. Ce qui la rend héroïque, à mes yeux du moins, c'est qu'elle décide de revenir s'installer définitivement en Algérie en 1993, année de la grande hémorragie des Algériens vers l'Europe. Nous sommes en pleine période d'attentats. C'est le règne de la mort au petit matin. Tous les jours, des dizaines de personnes étaient abattues. Même des Algériens d'origine européenne, restés après l'indépendance pour partager le sort de leur peuple, ont dû, pour quelques-uns, partir à ce moment-là .Plus héroïque encore, c'est que Chantal Lefèvre revient à Blida, ville quasiment interdite à l'époque tant les islamistes en avaient fait leur fief. C'est là , dit-on, que Nahnah est venu la trouver pour la rassurer : «Vous n'avez pas à avoir peur, ma fille.»Ce à quoi elle aurait répondu : «Je n'ai pas peur. Je n'ai rien fait à personne.»Blida, en ces années-là , c'est le règne de la terreur. Les rues sont quadrillées par les islamistes, ils y font la loi. Européenne, Chantal Lefèvre vaque à ses occupations, au mépris de la mort. Le fait même de se rendre à son travail est chargé de périls. Mais Chantal Lefèvre brave le danger à Blida et dans le reste du pays puisque la nouvelle mission qu'elle s'est donnée – reprendre l'imprimerie et la librairie Mauguin — exige d'elle des déplacements à travers l'Algérie en proie à toutes les violences.Née à Alger, Chantal Lefèvre a un ancrage familial à Blida puisque son arrière-grand-père maternel, Alexandre Mauguin, y a fondé la première imprimerie d'Algérie en 1857. Et depuis, l'imprimerie a fonctionné sans discontinuer.Mais ça, c'est de l'histoire ancienne à laquelle elle a su superposer une nouvelle histoire. Celle qu'elle a filée avec l'Algérie qui espère. Elle a dû se battre pour remettre en route l'imprimerie, une véritable institution, croulant sous les dettes. Elle a su entrer en symbiose avec le personnel de l'imprimerie et redresser l'affaire avec lui.Elle se bat contre les blocages, rénove et modernise l'imprimerie, redonne du lustre à la librairie Mauguin, redevenue le cœur battant de la vie intellectuelle et artistique de Blida, et (re)lance les éditions du Tell qui alignent aujourd'hui un catalogue de qualité porté sur la réflexion sur la littérature et l'histoire. Lancer ' En fait, Alexandre Mauguin, l'aïeul, avait fondé un journal local, Le Tell de la Mitidja. L'héroïsme de Chantal Lefèvre est non seulement d'être revenue se jeter dans le brasier algérien au moment où tout le monde le fuyait, mais aussi d'avoir su conférer un sens nouveau à une vieille histoire. Celle de la colonisation.On peut descendre d'une famille de pieds-noirs, nous dit-elle dans un message limpide, tout en étant attaché à l'Algérie souveraine, surtout dans ces instants où elle devient le pays de la douleur.
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Posté par : presse-algerie
Ecrit par : A ”ˆM
Source : www.lesoirdalgerie.com